Haïti-Culture: Le graffiti haïtien, sensibiliser à travers l’art
Photo : Igor Rugwiza – UN/MINUSTAH
Il y a près de 30 ans, à la fin du régime des Duvalier, le graffiti à fait son apparition sur les murs d’Haïti. A Port-au-Prince, un nouveau concept est né dans ce domaine. Il s’agit non seulement de mobiliser, mais aussi de sensibiliser la population à partir des graffitis. L’initiateur de ce mouvement, Jerry Rosembert Moïse nous parle de cet art révolutionnaire.
Des bombes aérosols, un peu d’imagination et en quelques minutes une œuvre d’art est née. C’est ainsi que Jerry, depuis 2007, révolutionne le graffiti sur les murs de la capitale et des villes de province. « Au début je ne savais même pas si mes graffitis allaient connaitre un tel succès », avoue ce jeune Port-au-Princien qui a commencé à dessiner dès l’enfance.
Cinq minutes suffisent pour qu’il dessine une caricature. « Parfois il m’arrive de prendre beaucoup plus de temps – soit une heure – parce que je travaille dans la majorité des cas la nuit… je dois surveiller les va-et-vient de la police », sourit-il. En Haïti comme ailleurs dans le monde, il est en effet interdit d’écrire sur les murs sans autorisation de l’Etat. Pourtant, son objectif n’est pas de détruire mais plutôt « de faire passer des messages de sensibilisation à travers des graffitis comiques ».
Le dessin a toujours été sa passion, le poussant à entrer à l’Ecole Nationale des Arts de l’Université d’Etat d’Haïti. Laissant les portraits papier de stars du football et du basketball de son adolescence, il plonge en 2001 dans un tout autre genre, le graffiti. Ses premiers pas sur les murs de la capitale consistaient à dessiner à la bombe aérosol « des lettrages à l’effigie des rappeurs, des DJs et des bandes de rara du moment », se souvient-il.
En 2007, il entame une autre étape dans sa carrière de graffeur, à savoir le graffiti social. « A partir de cette année-là, j’ai voulu faire passer le message des gens vivant dans des ghettos, de la situation politique, et de la vie de tous les jours », argumente-t-il, sensible à la condition des frères haïtiens.
Le graffiti, un long héritage
« Jerry est le premier à donner son vrai sens à ce mouvement », reconnait Oldy Joël Auguste, plasticien et cinéaste haïtien, faisant référence aux graffitis à tendance politique qui ornent les murs de Port-au-Prince et des villes régionales.
Un mouvement qui trouverait ses origines, selon M. Auguste, dans les grottes ou sur les murs des forts de l’histoire ancienne. Déjà, les ‘apprentis-graffeurs’ décrivaient une scène de la vie quotidienne ou écrivaient leur nom à l’aide d’un morceau de charbon de bois – « ce qui, au fil du temps, conduit à détruire ce patrimoine-même », reconnait-il.
Cependant, c’est le soulèvement populaire de 1986, causant la chute de la dictature Duvalier, qui a précipité l’essor du genre sur les murs des villes d’Haïti. « C’est à ce moment-là que les gens ont commencé à exprimer leurs revendications, leur soif d’indépendance et de démocratie », avance-t-il. Un mouvement que des politiciens ont par la suite adopté pour faire campagne.
Pour Jerry, le graffiti sur les murs va plus loin que cela. « Le graffiti n’est pas là pour écrire ‘vive ‘ et ‘à bas’ untel. Au contraire, on peut s’en servir pour faire passer des messages de sensibilisation », explique-t-il.
Quelques jours avant le séisme, un graffiti évocateur
En décembre 2009, Jerry réalise un graffiti – aujourd’hui célèbre – montrant un Père Noël en pleurs assis sur une représentation de la carte d’Haïti à l’envers. « Je l’ai dessiné ainsi sans savoir que quelques jours plus tard, le pays allait être frappé par un terrible séisme », soutient le jeune homme qui, après le séisme du 12 janvier 2010, multiplie les représentations d’une Haïti meurtrie. La nation entière se retrouve dans ses visages de femme aux couleurs du drapeau national, bleu et rouge, en pleurs, les mains jointes.
Un téléphone portable fouettant son utilisateur, une abeille enfonçant un clou dans la langue d’un homme, Haïti en train d’être crucifiée par deux hommes, une femme couchée par terre serrant un drapeau en lambeaux dans sa main… Les graffitis de Jerry attirent le regard des curieux et des touristes, et suscitent la réflexion de tous.
«Ses dessins sont très évocateurs, puisqu’on peut les interpréter dès le premier coup d’oeil et en donner la signification », commente Charlemagne, rencontré devant un graffiti représentant une femme muette, la bouche fermée par un cadenas.
Mais un seul graffiti peut avoir plusieurs significations. Pour Charlemagne, « cette femme représente Haïti forcée d’être muette face à sa situation politico-économique ». Un autre passant, lui, voit plutôt « la femme haïtienne dont les fardeaux quotidiens la forcent au silence».
Dans une autre rue de la capitale, dans le quartier commerçant de Pétionville, les vendeurs ambulants de téléphones portables sont perplexes. Sur le mur juste en face d’eux, une femme fait le signe « V » de ses doigts. « Le tambour à son oreille, la couleur du drapeau sur ses lèvres et ce signe bizarre avec ses doigts ont une portée mystique », s’excite l’un des marchands. Pour Jerry, toutes ces réactions prouvent que le citoyen peut être amené à réfléchir, sur soi-même et sur son pays, grâce à ses graffitis.
Déjà plusieurs jeunes artistes ont commencé à lui emboiter le pas sur les murs de la capitale. Et pour lui, c’est un signe positif.
En plus de ses graffitis dans la région métropolitaine de Port-au-Prince et en province, il a également prouvé son talent aux Etats-Unis et en Europe. « Je ne vais pas abandonner, et je vais faire encore beaucoup plus de graffitis pour mieux présenter Haïti au monde », rêve-t-il.
Jonas Laurince (http://minustah.org)