Incapables de traiter la grippe, nos autorités veulent guérir le cancer
En 2007, le ministre de la Santé publique et de la Population d’alors, le Dr Robert Auguste, confiait à un groupe de journalistes internationaux en visite dans le pays qu’Haïti allait construire le plus grand centre de traitement du cancer de la Caraïbe. À cette époque, l’hôpital Saint-Michel de Jacmel était quasidysfonctionnel parce que son groupe électrogène était tombé en panne. Après avoir visité l’hôpital Saint-Michel et pris connaissance du projet du ministre, l’un des membres de la délégation se demandait comment un pays qui n’était pas capable de traiter la grippe allait traiter le cancer.
Les deux derniers décrets de l’administration Moïse/Jouthe illustrent bien cette mentalité des autorités haïtiennes de surfer dans les nuages. Le décret portant sur le renforcement de la sécurité publique se propose de combattre le terrorisme sur tout le territoire national. Ce document annonce un ensemble de dispositions, les unes plus surprenantes que les autres, contre des délits ou des crimes que ce dernier qualifie de terrorisme. Il y a aussi le décret portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence nationale d’intelligence (ANI) qui surprend tout le monde, peut-être même les signataires en relisant le document. Saviez-vous que, par le passé, des autorités savaient signer des documents sans les lire ?
Les deux décrets sont liés. Celui créant l’ANI va permettre aux autorités de chercher des informations et celui portant sur le renforcement de la sécurité prévoit les peines – amende ou durée d’emprisonnement pour les coupables d’actes de terrorisme. Les deux décrets sont adoptés à un moment où l’insécurité, notamment le kidnapping prend des proportions alarmantes. Visiblement, les autorités sont dépassées par les événements tandis que la population est désespérée. Dans un tel contexte, les décrets devraient être les bienvenus s’ils visaient vraiment à ramener la paix dans le pays.
Cependant, quand on remonte à la dictature des Duvalier et observe la gouvernance du pays depuis 1986, il y a de quoi s’inquiéter d’un pouvoir qui veut créer une agence d’intelligence dont les membres pourront travailler dans l’anonymat, et ceci, sous de faux noms.
Ceux qui ont préparé tout comme ceux qui ont signé le décret portant création de l’ANI savent que la situation actuelle n’est pas liée à une absence ou une carence d’informations sur les auteurs des actes de banditisme. Les bandits sont identifiés. Ils sont dénoncés par les organismes de défense des droits humains et d’autres groupes de la société. Ils opèrent à visage découvert. Ils sont présents sur les réseaux sociaux, entretiennent dans le meilleur des cas des rapports avec des officiels. Les auteurs intellectuels des crimes même quand ils sont identifiés par la justice jouissent de l’impunité qui est la norme dans le pays. De quelles autres informations les autorités ont-elles besoin pour agir ?
À quoi peut servir le décret pour le renforcement de la sécurité publique ? On se rappelle que les autorités haïtiennes (l’administration Martelly) avaient pris un décret interdisant l’importation et l’utilisation des produits en polyéthylène et en styrofoam. Ces produits continuent à circuler librement sur tout le territoire. Voilà des autorités qui ne peuvent pas faire respecter un décret sur l’interdiction d’utilisation des produits en styrofoam qui veulent combattre le terrorisme. Définitivement, ceux qui ont les oreilles des autorités doivent les conseillers à redescendre sur terre.
Source: Le Nouveliste