Haïti au Salon du livre de Paris
Par Valérie Marin la Meslée | Source Le Point | radiotelevisioncaraibes.com
Les heureux «élus», qu’il s’agissede Dany Laferrière (bientôt sous la coupole de l’Académie française et en signature au Salon) ou de Yanick Lahens (prix Fémina pour Bain de lune, grand entretien dimanche à 11 heures) ou encore de la nouvelle secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, Michaelle Jean, pour un débat sur la francophonie (dimanche sur le stand de l’Institut français), seront présents pour la grande fête du livre qui se tient jusqu’au 23 mars à Paris porte de Versailles. On y croisera aussi Lyonel Trouillot ainsi que le poète James Noël, actuellement en résidence en Pays de la Loire (samedi, 18 heures).
Mais Haïti se lit aussi à travers les regards que les écrivains d’ailleurs portent sur l’île : Laurent Gaudé, Danser les ombres (Actes Sud, lire ci-dessous), revient dans son dernier roman sur le séisme de janvier, tout comme la Guadeloupéenne Gisèle Pineau dans un retour magnifique en librairie avec Les voyages de Merry Sisal, tout juste paru au Mercure de France, et dont elle parlera sur le stand outre-mer (dimanche à 16 heures). Son compatriote Ernest Pépin, lui, offre sa prose à Jean-Michel Basquiat. Ces trois plumes se retrouvent dès samedi pour un débat sur le stand de l’outre-mer à 17 heures pour une rencontre sur « Haïti portraits croisés ». Trois livres à découvrir. L’occasion de présenter leurs livres.
Danser les ombres, de Laurent Gaudé
«Où sommes-nous ?» demande Lucine. «Dans la ville tremblée», lui répond la fillette à ses côtés, quand l’héroïne du nouveau roman de Laurent Gaudé s’éveille d’un cauchemar pourtant bien réel : le séisme du 12 janvier 2010, qui a coûté plus de 200 000 vies à la terre haïtienne. Tout le monde se souvient de Port-au-Prince en ruines. L’écrivain a rapporté de ses voyages un roman qui rend hommage à ce peuple qui l’a touché. Il l’a construit comme un chant choral, où chaque personnage incarne une part de l’histoire récente du pays et dévoile un aspect d’une société profondément clivée. Gaudé a l’art de faire entrer son lecteur dans le quotidien haïtien, ses marchandes de rues, ses dialogues joyeux et pimentés de formules créoles, et très tôt d’en introduire les ombres, par cet «esprit» venu du monde des morts.
Aucun élément du décor haïtien ne semble manquer à l’appel, ce serait presque trop si l’écrivain n’avait réussi à faire battre au cœur de son livre l’histoire d’amour naissante entre Lucine et Saul. Elle, la jeune fille de Jacmel, est revenue à Port-au-Prince pour annoncer la mort de Nine, sa jeune sœur, à ce grand bourgeois qui l’avait mise enceinte. Nine, figure de la jouissance desespérée, femme-fleur presque de tradition dans la littérature haïtienne comme métaphore de l’île, Nine épuisée par les hommes, et qui laisse deux enfants. Sur sa route, Lucine croise celle de Saul, médecin sans diplôme, lassé de tout, et que le regard de la jeune fille va réveiller à la vie, jusqu’à s’engager totalement, le moment terrible venu, pour sauver ceux qui peuvent l’être encore sous les décombres.
Autour du couple, d’autres histoires se greffent, le chauffeur de taxi qui ne pourra pas cacher son passé de Tonton macoute, les vieux compagnons d’un ancien bordel où, de mémoire port-au-princienne, on a toujours refait le monde et préparé la révolution, sans oublier ces familles de grands bourgeois qui font aussi Haïti. Tous vivront la tragédie.
Le roman doit son titre à la danse finale, une variation fort réussie de cette frontière, si ténue dans cette culture imprégnée de vaudou, entre les esprits des morts et les vivants. Bien sûr, les auteurs haïtiens ont, pour la plupart, écrit sur la tragédie de leur pays, ou bien réuni des textes écrits sur le vif comme l’a fait Lyonel Trouillot – «la» référence de Gaudé – dans le recueil Haïti parmi les vivants. Cinq ans après, c’est Haïti vivante que chante Gaudé avec lyrisme, devenant ce passeur d’humanité qui ajoute sa voix de Goncourt au vaste lectorat, à toutes celles qui ont donné aux morts sans sépulture le linceul des mots. Éditions Actes Sud, 250 pages, 19,80 euros.
Les voyages de Merry Sisal, de Gisèle Pineau
Juste après le séisme de janvier 2010, l’écrivaine guadeloupéenne qui vit à Marie-Galante avait été sollicitée pour écrire sur la tragédie. Mais c’était trop tôt pour elle, beaucoup trop tôt. Gisèle Pineau s’est rendue depuis à trois reprises à Port-au-Prince, et en revient avec un livre porté par un magnifique personnage : Merry Sisal, jeune haïtienne orpheline, marginalisée par un handicap décrit comme «une jambe fine», pour ne pas dire qu’elle est boiteuse, et qui se laisse déflorer encore adolescente, «prendre» par un jeune homme dont elle va peu à peu s’éprendre.
François-Jean est plein d’ambition. Il a fait deux enfants à Merry mais ne lui a rien promis, surtout pas le mariage, pas plus que la fidélité. Celle-ci espère secrètement qu’il s’attache, mais finit par se rallier au rêve de son homme qui ne pense qu’à quitter Haïti. Il y parvient enfin. Et décolle pour la France. Or, quelques mois plus tard, la terre haïtienne tremble. Et si Merry, ses enfants et marraine Augustine ont la vie sauve, plus rien ne sera comme avant. La jeune femme trouve moyen de s’échapper sur l’île de Bonne Terre, comme beaucoup d’Haïtiens cherchant une vie en dehors des ruines, et se retrouve employée de maison chez un couple de blancs. Pas «tout à fait» blanc, puisque la femme, Anna, qui a longtemps refoulé ses origines sénégalaises, en est au point de sa vie où il lui faut à tout prix les assumer.
Pour Anna, le séisme haïtien est venu comme un révélateur de sa «dette» à l’égard de sa «part noire», et de la souffrance d’un peuple si voisin. Sa relation à Merry se transforme quasiment en thérapie, tandis que la jeune Haïtienne qui «revient de loin» cherche à survivre à ses cauchemars en faisant chaque geste au quotidien comme si ses deux enfants, Tommy et Florabelle, étaient à ses côtés, souriants et joyeux. Il ne faut pas dévoiler lire la suite sur radiotelevisioncaraibes.com