Haïti/Les amendements constitutionnels : entre nouveautés et anomalies
Le président Michel Martelly, au terme d’intenses négociations entre les trois pouvoirs, a annoncé officiellement, mardi dernier, la promulgation de la constitution amendée, reproduite pour « erreurs matérielles ». Cependant, les débats autour de la question semblent loin d’être clos. Depuis cette annonce, les commentaires pullulent autour des acquis de la révision constitutionnelle et de certaines anomalies voire des intentions inavouées relevées dans le document reproduit et acheminé aux Presses nationales.
Que ce soient le Président Michel Martelly, le sénateur Dieusseul Simon Desras, ou le député Levaillant Louis-Jeune, lors de la cérémonie organisée au Palais national pour annoncer l’entrée en vigueur de la constitution amendée, ils ont tous brandi les acquis de cet amendement en matière du renforcement institutionnel et en ce qui a trait à l’épineux problème de la double nationalité.
Ca va de soi, d’aucuns sont unanimes à reconnaitre ces acquis. Mais, cette réforme constitutionnelle controversée auraient caché certaines anomalies voire des intentions inavouées.
Ces amendements ont pour vertus d’apporter des nouveautés ou propositions dites intéressantes de cet amendement :
Sur le plan institutionnel : La formation du Conseil électoral permanent. Suivant les prescrits de la constitution de 87 dans sa version originelle, il faillait passer par des élections indirectes pour camper cette institution. Malheureusement, 25 ans après, ces élections indirectes n’ont jamais été réalisées. Aujourd’hui, grâce à l’amendement, ce devrait être une simple formalité. Les 9 membres du CEP permanent seront donc désignés par les trois pouvoirs, à raison de trois membres par pouvoir. Référence article 192 de la nouvelle constitution amendée.
Le Conseil constitutionnel : Il est l’organe chargé d’assurer la constitutionnalité des lois. En d’autre terme, c’est le juge de la constitutionnalité de la loi, des règlements et des actes administratifs du pouvoir exécutif. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours.
Là encore, les 9 membres de cet organe seront désignés par les trois pouvoirs. Ces derniers nommés par arrêté pris en conseil des Ministres, seront inamovibles pendant la durée de leur mandat qui est de 9 ans. Le Conseil constitutionnel dont le président est élu par ses pairs pour trois ans se renouvelle par tiers tous les trois ans.
Outre son rôle de veiller et statuer, lorsqu’il est saisi, sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation ; des règlements intérieurs du Sénat et de la Chambre des députés avant leur mise en application et sur les arrêtés, le conseil est appelé à se prononcer sur les conflits qui opposent le pouvoir exécutif au pouvoir législatif ou les deux branches du pouvoir législatif. Il se prononce aussi sur les conflits d’attribution entre les tribunaux administratifs, les tribunaux électoraux et les tribunaux judiciaires.
Qu’en est-il du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ?
Etant donné que c’est le CSPJ qui devra désigner les représentants du pouvoir judiciaire aux deux organes précités, à savoir le Conseil électoral permanent et le Conseil constitutionnel, logiquement cet état de fait hâte la mise en place de cette instance garante du bon fonctionnement et de l’indépendance du pouvoir judiciaire et dont le processus est confronté à de sérieuses difficultés.
Autre innovation de la constitution amendée : elle concerne la reconnaissance de la double nationalité voire la multiple nationalité. Sauf que les concernés ne pourront toujours pas faire prévaloir leur nationalité étrangère sur le territoire national.
Aujourd’hui, tout haïtien, hormis les privilèges réservés aux haïtiens d’origine est soumis à l’ensemble des droits, devoirs et obligations attachés à sa nationalité haïtienne.
Mais, force est de souligner que certaines restrictions restent entières. Les haïtiens ayant acquis la nationalité étrangère ne pourront pas occuper les postes de Président de la République, Sénateur, Député, et Premier ministre.
Autre changement opéré dans la charte fondamentale et qui attire l’attention concerne l’article 149 traitant de la vacance présidentielle. A présent, si le pays a à faire face à une telle situation qui peut être découlée soit de la démission, destitution, décès ou incapacité physique ou mentale permanente dument constatée, il n’est plus question de se référer à la cour de cassation. Maintenant, c’est le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier ministre, qui exercera le pouvoir exécutif jusqu’à l’élection du nouveau Président.
Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu 60 jours au moins et 120 jours au plus après l’ouverture de la vacance.
Un autre point important à signaler en cas de vacance présidentielle c’est que si elle survient à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée nationale se réunit d’office dans les soixante jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau président provisoire de la République pour le temps qui reste à courir.
S’il faut maintenant parler d’anomalies : la plus flagrante semble celle constaté dans l’article 137.
Avant la révision on lisait ainsi cet article : « Le président de la République choisit un Premier ministre parmi les membres du parti ayant la Majorité au Parlement. A défaut de cette majorité, le Président de la République choisit le Premier ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la chambre des députés. Dans les deux cas le choix doit être ratifié par le Parlement. Cette dernière phrase de si grande importance a donc été omise. De ce fait, comment le Parlement va-t-il savoir ou s’assurer que ce Premier ministre répond aux exigences de l’article 157 de la constitution de 1987 gardé sans la moindre modification.
D’autre part, alors que d’aucuns se félicitent déjà de la formation des institutions telles le Conseil électoral permanent et le conseil constitutionnel, des parlementaires voient difficile le déroulement de ces processus étant donné que les représentants du Parlement dans ces institutions doivent être approuvés par l’Assemblée nationale à la majorité des deux tiers des membres de chacune des deux chambres et puisque le Sénat est amputé d’un tiers de ses membres.
Certainement après plus d’un an de polémique autour de la publication ou pas de l’amendement, le président de la République a tranché. Mais cette décision est loin de clore les débats qui semblent prennent d’autres formes.