Kenneth H. Merten prêche l’évangile du dialogue

L’ambassadeur Kenneth H. Merten multiplie les rencontres, prend le pouls de la situation politique, écoute les « préoccupations », les raideurs et prône le dialogue politique entre les acteurs pour sortir de la crise et éviter que la situation ne s’envenime…

La position de principe des États-Unis est connue. Ils sont pour le respect des mandats de tous les élus. L’un de leurs diplomates, Kenneth H. Merten, l’a dit il y a quelques jours dans une interview accordée à la Voix de l’Amérique. Fin connaisseur d’Haïti, de ses hommes et femmes politiques, l’ambassadeur Merten n’est pas resté dans le confort de son bureau au département d’État à attendre que les lignes bougent d’elles-mêmes. Il est en Haïti pour entendre les préoccupations, multiplier les rencontres et pousser, a appris le journal, pour que se tienne un vrai dialogue politique entre les protagonistes.

L’ambassadeur Kenneth H. Merten, lors d’une rencontre sollicitée auprès de l’Association des industries d’Haïti (ADIH) le 6 décembre, a pesé les « préoccupations » des membres de cette association dont la branche textile représente presque un milliard de dollars américains d’exportations par an. « L’instabilité politique et l’insécurité découragent tout investissement en Haïti et mettent en péril ceux existants », ont indiqué des membres de l’ADIH dont les appréhensions, l’exaspération suintent dans un bulletin spécial 2018 reçu par le journal, vendredi 7 décembre 2018.

« La République est en train de disparaître et l’État de droit doit être rétabli. On a vu cette situation dans d’autres pays, comme la Somalie et tout le monde craint que cela ne se produise ici », lit-on dans ce bulletin de l’ADIH qui y va de sa première égratignure de cette administration. « L’État de droit est la base de tout et doit être appliqué. Les États-Unis d’Amérique, jouissant de beaucoup d’influence en Haïti, devraient instamment encourager le gouvernement à accomplir son travail », poursuit ce bulletin spécial pour le moins mordant.

« Le budget est inacceptable vu la disproportion des montants alloués aux politiques par rapport à ceux alloués aux secteurs clés comme l’éducation, la santé et les travaux publics. La population n’a pas d’autre choix que de manifester car elle a totalement perdu confiance en ses dirigeants », selon ce bulletin qui souligne que « le secteur privé est fatigué de le répéter et peut-être que les représentants d’un pays étranger pourraient mieux se faire entendre ».

La surdité de l’équipe au pouvoir est étalée. Plus que la surdité, il y a de l’exaspération. « Personne n’est convaincu que la volonté politique soit présente pour solutionner les problèmes », précise le bulletin spécial de l’ADIH. « Les représentants des États-Unis ainsi que ceux du secteur privé présents sont très concernés par la gravité de la situation car le gouvernement haïtien tarde à agir et à remettre la population en confiance », lit-on dans le bulletin, qui annonce dans la foulée « qu’une rencontre sera planifiée par l’ADIH avec le Premier ministre, M. Jean-Henry Céant, dans un délai pas trop lointain, pour lui faire part des préoccupations du secteur privé et partager avec lui la vision de solutions viables ».

« La gestion du pays, qui constitutionnellement revient au Premier ministre, n’est pas appliquée », selon ce bulletin spécial qui a appelé à lutter contre les effets néfastes de la contrebande pour l’État, la production nationale, les emplois locaux. « La contrebande est un sujet concernant la sécurité nationale car elle permet le passage de toutes sortes de marchandises illicites. Il faut trouver au plus vite une solution pour combattre ce fléau qui dessert les intérêts de l’État, et les investisseurs de la production nationale, mettant en péril les emplois créés dans ce secteur. (…) Le déficit fiscal accroit la pauvreté et provoque une instabilité sociale, en plus de fragiliser le secteur privé et le système bancaire », selon le bulletin de l’ADIH. Le président de l’ADIH, Georges Sassine, interrogé par le journal vendredi soir, a confié que les membres présents à cette rencontre « ont exprimé leurs préoccupations ».

Quelque 24 heures après la réunion avec l’ADIH, l’ambassadeur Kenneth H. Merten s’est entretenu avec des responsables politiques de premier plan et des acteurs de l’opposition. Au Parlement, vendredi 7 décembre, le diplomate américain s’est entretenu avec les présidents et vice-présidents des deux chambres sur les problèmes conjoncturels, a confié au journal Joseph Lambert, président du grand Corps.

« Nous avons évoqué la non-rupture de l’ordre constitutionnel, le respect des mandats électifs et la nécessité que se tienne un dialogue porteur, pas uniquement sur l’intégration au cabinet ministériel. Nous avons discuté de la situation socioéconomique du pays, de l’amendement de la Constitution, du désarmement », a expliqué Joseph Lambert.

Le président du Sénat, interrogé sur le motif de la série de rencontres de Kenneth Merten, a indiqué à chaque fois qu’Haïti fait face à ces problèmes politiques que cela suscite « toujours une certaine préoccupation » à cause notamment de la proximité des États-Unis avec Haïti. L’instabilité préoccupe, a poursuivi Joseph Lambert, qui dit avoir aussi relevé « une fatigue de l’international par rapport à Haïti ».

Le président de la Chambre des députés, Gary Bodeau, interrogé par le journal, a surtout retenu le souhait de l’ambassadeur Kenneth H. Merten que se tienne le dialogue, au plus vite, autour d’une table, entre les acteurs, pour discuter de la conjoncture, des dispositions à adopter dans le sens d’un dégel, d’un apaisement de la situation pour aller aux élections.

Pour le « Secteur démocratique et populaire », Me André Michel a confirmé la tenue, vendredi après-midi, d’une rencontre avec l’ambassadeur Kenneth H. Merten qui a « exprimé la préoccupation des États-Unis sur l’incertitude politique et sociale » en Haïti. Les sénateurs Évalière Beauplan et Nenel Cassy ont profité de cette rencontre pour exprimer la position du Secteur démocratique et populaire consistant en « la mise en place d’une transition politique apaisée avec la participation de tous les acteurs de la vie nationale face à l’effondrement du leadership politique moral de Jovenel Moïse, la réalisation du procès PetroCaribe, l’une des principales revendications actuelles de la population haïtienne , la réalisation d’une Conférence nationale haïtienne souveraine pour jeter les bases de l’émergence d’une nouvelle société haïtienne basée sur l’inclusion socioéconomique des masses populaires ».

« Tout ceci passe bien entendu par un dialogue politique responsable avec pour toile de fond la démission de Jovenel Moïse pour éviter le chaos en Haïti. Après cette réunion, le Secteur démocratique et populaire reste attaché, plus que jamais, à sa position », a insisté Me André Michel. « Évidemment, nous avons réitéré à l’ambassadeur Merten notre volonté de participer à un dialogue politique serein et ouvert où tous les sujets sont sur la table, notamment et surtout la démission du président Jovenel Moïse lorsque les conditions politiques auront été réunies », a ajouté Me André Michel, qui a dénoncé la détention d’une cinquantaine de partisans de l’opposition, dont deux agents de sécurité du sénateur Cassy, l’émission d’une vingtaine d’interdictions de départ à Miragoâne contre des proches du Secteur démocratique et populaire, le refus de faire avancer le procès PetroCaribe. « Les conditions ne sont pas encore réunies pour le dialogue politique », a indiqué Me André Michel.

Alors que l’ambassadeur Kenneth H. Merten multiplie les rencontres, encourage les acteurs à dialoguer, vendredi, des acteurs du secteur privé, des parlementaires ayant requis l’anonymat ont souligné une tension entre le Palais et la Primature autour de la conduite du dialogue. « La sortie dans la presse de Gabriel Fortuné, actuel maire des Cayes, proche allié du président Jovenel Moïse qui dit avoir reçu mandat du chef de l’État pour dialoguer avec l’opposition sur tout, sauf le mandat du président et la tenue du procès PetroCaribe, sème la confusion », a confié un homme d’affaires inquiet du triomphalisme et de l’incapacité du président à capitaliser sur ce moment de répit pour poser des actions efficaces. « On a l’impression qu’il ne s’aide pas. Cela tend à renforcer la perception de certains qu’il fait tout pour faire partie du problème », a-t-il fait savoir, soulignant qu’un conflit ouvert avec le Premier ministre Jean-Henry Céant serait préjudiciable.

« Le président ne peut pas couper les jambes de celui qui l’aide à traverser au beau milieu de la rivière en crue », a-t-il poursuivi. « Il est impératif qu’il n’y ait pas de suspicion entre le président et son Premier ministre. Jouer au chat et à la souris n’est bon pour personne. Il faut que le président et le Premier ministre jouent franc jeu », a confié un parlementaire.

Le président Jovenel Moïse joue sur une position de principe de l’international, favorable au respect des mandats électifs et de l’absence « d’alternative crédible sur le terrain ». Cependant, la politique est dynamique et 2019, à cause des échéances politiques et de la dégradation de la situation économique du pays, le temps risque d’être un très mauvais allié pour le chef de l’État, a expliqué un autre parlementaire, lui aussi préoccupé. Pour lui, la tête du Premier ministre Jean-Henry Céant, supporté par des acteurs du secteur privé contre lesquels le chef de l’État a des griefs, peut se retrouver sur la table des négociations. L’ambassadeur Kenneth H. Merten s’est entretenu avec le chef de l’État, Jovenel Moïse, et le Premier ministre Jean-Henry Céant. Il a aussi rencontré d’autres acteurs pendant son séjour.

Roberson Alphonse

robersonalphonse@lenouvelliste.com

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