Monde/Crise Économique et Alimentaire: Des stocks proches de la faim

La baisse des réserves alimentaires pourrait provoquer une crise l’année prochaine.

Cinq ans après les émeutes de la faim de 2008, la planète s’achemine-t-elle vers un remake en 2013 ? Alors que le Comité de sécurité alimentaire s’est réuni à Rome la semaine dernière, de nombreux faisceaux convergent en faveur d’une crise alimentaire majeure l’année prochaine. Pour trois raisons au moins : certains stocks de céréales sont au plus bas, les conditions climatiques restent aléatoires et la spéculation sur les matières premières agricoles continue de déstabiliser les marchés.

Sécheresse. L’alerte a été donnée cet été alors qu’une météo critique a entraîné de mauvaises récoltes aux Etats-Unis, en Ukraine et dans d’autres régions exportatrices. Conséquence : les prix se sont envolés et les Etats ont commencé à puiser dans leurs stocks. Ceux-ci sont à leur plus bas niveau depuis 1974. En Russie, où une sécheresse dévastatrice a compromis les récoltes, les stocks de céréales ont chuté de 26,2% par rapport à 2011. Aux Etats-Unis, les réserves de maïs ne représentent plus que 6,5% de ce qui sera consommé l’année prochaine. En toute logique, les prix explosent. Entre septembre 2011 et septembre 2012, ceux du maïs et du blé ont augmenté de 25%, et celui du soja de 17%.

Cette situation tendue peut-elle déclencher une crise alimentaire mondiale ? Pas sûr, d’après certains experts de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) qui refusent de verser dans le catastrophisme. «Il y a toujours une menace, notamment quand les stocks de céréales sont insuffisants et que le climat n’est plus fiable, mais les dés ne sont pas encore jetés»,tempère l’économiste de la FAO Abdolreza Abbassian.

En matière d’agriculture, il est vrai que l’ouvrage est remis chaque année sur le métier. D’après Abbassian, il suffit d’une météo «normale» dans l’hémisphère Sud cet hiver pour que l’étau se desserre sur les prix des matières premières agricoles. «L’agriculture est une question de cycles, si les cultures plantées en Amérique du Sud ou en Australie donnent de bonnes récoltes en mars, les prix chuteront.» Mais le meilleur n’est jamais sûr en matière de climat. «En effet, l’inverse, à savoir de mauvaises récoltes supplémentaires en 2013, est aussi très probable. Il faudra alors recourir aux stocks. Or, on les entame déjà cette année et le faire deux années de suite sera très problématique»,reconnaît l’économiste. Quelles que soient les récoltes à venir, la consommation de denrées alimentaires a dépassé la production six fois au cours des onze dernières années. Si les stocks représentaient 107 jours de consommation il y a dix ans, ils ont chuté à 74 jours en 2012.

Dans ce contexte, le Comité de sécurité alimentaire n’est pas parvenu à prendre des mesures fortes contre la volatilité des prix, notamment en imposant l’instauration de stocks stratégiques de nourriture. France, Japon, Corée du Sud ou Espagne défendent ce dispositif qui hérisse d’autres pays. «La suspicion est compréhensible , note le rapporteur des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Olivier de Shutter, dans les années 60-70, de nombreux pays entretenaient des réserves à des fins politiques ou de corruption.»

Actuellement, il n’existe que des stocks privés, et presque aucun dans les pays les plus vulnérables, notamment en Afrique de l’Ouest. «Aucune décision concrète n’a été prise pour lutter contre la volatilité des prix alimentaires», martèle Thierry Kestheloot, d’Oxfam International.

Agrocarburants. Depuis plusieurs années, la tendance est à la hausse des cours. Différents facteurs mettent les marchés alimentaires mondiaux sous pression mais pour les ONG, l’explication des mauvaises récoltes est «partielle». «Les aléas climatiques ne font que révéler des marchés déjà sous pression», d’après Clara Jamart, de l’ONG Oxfam. D’après elle, c’est d’abord la politique de promotion des agrocarburants dans le monde qui est responsable de la hausse des prix. «En Europe, 65% des huiles végétales et presque la totalité du maïs cultivé aux Etats-Unis sont destinées au marché énergétique.» Depuis qu’il existe une compétition entre marchés alimentaire et énergétique, les cours des oléagineux ont tendance à s’aligner sur les prix volatils du pétrole. Voilà pourquoi on peut saluer la proposition de la Commission européenne consistant à plafonner à 5% l’incorporation d’agrocarburants de première génération dans les réservoirs – contre une incitation à atteindre 10% auparavant. «C’est un premier pas, pour la première fois, conclut Clara Jamart, la Commission reconnaît que les politiques de soutien aux agrocarburants ont un impact négatif sur l’environnement et la sécurité alimentaire mondiale.»

La photo en vedette représente un épi de maïs victime de la canicule, à Bruceville, dans l’Indiana, le 16 août dernier. Les réserves de céréales sont en chute aux États-Unis, comme en Russie et en Ukraine. (Photo Saul Loeb. AFP)

Par LAURE NOUALHAT

Source et image: http://www.liberation.fr

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