«Je me souviens», lettre ouverte de Joverlein Moïse

Lundi 7 février 2022 fin du mandat du défunt Président Jovenel Moïse est l’occasion pour son fils Joverlein Moïse, de se souvenir dans une lettre ouverte, de l’accession au pouvoir le 7 février 2017 de son père comme Président d’Haïti élu et partage plusieurs souvenirs et réflexions sur son mandat.

« Haïtien,

Je ne saurais m’identifier autrement.

Je suis un fils de la liberté, symbole de la souveraineté noire, natif de la Perle des Antilles, fruit du courage de mes ancêtres et gardien de l’autonomie de mon peuple. Comme tel, je suis béni et bénéficiaire d’un immense héritage. Comment pourrais-je me débarrasser de tel privilège ?

Je suis aussi un père de famille, dont le père Jovenel Moïse Président élu démocratiquement à la présidence d’Haïti fut massacré.

Aujourd’hui, je me souviens que le 7 février 2017, j’avais le cœur lourd face à l’inconnu.

J’étais submergé par l’émotion. Pourtant, je garde en mémoire la fierté d’être témoin d’un acte d’amour. J’assistais au mariage d’un homme à son pays. Ce jour-là, Jovenel Moïse, devenait Président de la République d’Haïti.

Humble de cœur, aimant et souriant, il était conscient des responsabilités qui lui incombaient, mais aussi de la puissance de ses ennemis. Ses paroles résonnent encore en moi “Fils pourquoi être peureux chez soi, quand tes objectifs sont que la volonté du peuple qui t’a choisi soit faite ?”.

Cinq années plus tard, le 7 février 2022, devaient être la fin de son mandat présidentiel, puis de son service public. Nous devrions, en ce jour, assister au passage démocratique du pouvoir d’un Président de la République d’Haïti à un autre.

Cependant, un autre cinq ans sans nouveau président démocratiquement élu nous guette. Cinq ans de crise politique profonde sans lueur d’espoir pour un peuple meurtri nous pendent au nez. Cinq longues années à agoniser pour le plaisir de nos oppresseurs passés, mais toujours présents. Un autre quinquennat pour ceux qui se donnent le devoir de tuer notre espérance. Il est honteux pour tout être humain de voir que ces oppresseurs sans scrupules qui depuis toujours se camouflent en secouriste pour poser de petits pansements sur un cancer qui gangrène sont encore et toujours là.

L’illusion de l’aide serait-elle plus importante que l’aide ?

Dans un monde juste, tous ceux qui de près ou de loin auraient participé à mettre en place ce plan bien réel, soit : tué, assassiné, défiguré, brisé, humilié, un Président élu au suffrage universel serait mis au banc des accusés et condamnés pour crime contre l’humanité. À quand ce monde ? Mon souhait le plus cher est de le voir naître.

Laissez-moi et tous les peuples qui souffrent de cette situation accablante faire notre deuil dans la dignité.

L’impunité en ce qui a trait à l’exécution systématique de présidents noirs et afro-descendants doit cesser.

Qui que vous soyez, vous ne pouvez continuer à maintenir cette injustice planétaire. Tout Président a pour devoir de poser des bases solides pour le développement de son pays. Le Président d’Haïti faisait partie de ces dirigeants. La Patrie haïtienne mérite son indépendance depuis deux cent dix-huit ans maintenant.

L’assassinat de notre Président est le symptôme d’une maladie qui nous affecte depuis beaucoup trop longtemps.

Pour ce peuple qui a amorcé la fin d’un système esclavagiste lucratif, la pauvreté, la corruption, l’insécurité, la dégradation environnementale, le système éducatif défaillant, la structure précaire du système sanitaire, etc… Ce ne sont pas des fruits du hasard.

Le rêve d’un empire et de ses acolytes doit-il primer sur le développement sain de toute une planète ?

Haïti a souffert quatre cents années d’esclavage et de maltraitance. Deux cent dix-huit années d’oppression politique, sociale et économique.

En 1825, une ordonnance de la France obligeait notre pays à payer [NbHL – 150 millions de francs or] l’équivalent aujourd’hui de 28 milliards de dollars US en compensation de dommages causés aux colons français lors de notre libération de l’esclavage. Pour eux c’était un exercice financier qui n’avait rien à voir avec une quelconque reconnaissance du tort causé à tout un pan de l’humanité.

Cette ordonnance, fut escortée d’une armada de quatorze bâtiments de guerre armés de 528 canons.

Le montant de cette dette fut financé par des banques françaises et américaines avec intérêts, puis totalement remboursée par Haïti en 1952. Soit, 127 années plus tard.

Le 28 juillet 1915, occupation de notre République libre par les États-Unis d’Amérique, soi-disant pour “protéger les intérêts économiques américains”, a aussi laissé des traces indélébiles dans l’infrastructure organisationnelle des institutions de notre pays.

Sommes-nous maîtres chez nous ?

Mon père savait qu’il était une image peu populaire en Haïti. Sa présence à la tête du pays prouvait qu’il fut bel et bien possible qu’un homme ou une femme issue d’une famille modeste, fils ou fille de la paysannerie, de couleur foncée, pût devenir le président de son pays.

Il ou elle, pouvait prétendre à ce poste sans être au service des puissants garants du système et faire le choix de servir le bien commun. Ce choix lui a couté la vie.

Par son assassinat, les garants de ce système pourri et corrompu ont envoyé un message à tous les jeunes hommes et femmes de notre pays. Ils nous disent “Si tu penses être le prochain Jovenel Moïse, voilà comment ça va se terminer”.

Mon père disait aussi “Rien ne s’obtient sans sacrifice”. Il est maintenant le dernier Président d’Haïti en date à s’être fait assassiner, mais bien qu’il ne soit pas le premier, nous devons tout faire pour qu’il soit le dernier.

N’oublions pas ce que profondément nous sommes.

Nous sommes haïtiennes et haïtiens ! Nous sommes de vaillants défenseurs de la liberté pour tous.

Rien ne saurait nous séparer de notre volonté de vivre libre ou mourir, de notre amour pour nos frères, puis de notre noble objectif qui est depuis toujours la base même de toute vie humaine:

“Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Nul ne sera tenu en esclavage physique, mental, ou économique ni en servitude”.

L’UNION FAIT LA FORCE.

Joverlein Moïse »

 

 

 

Source:  HaïtiLibre

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