Les 12 personnalités de l’année 2021

Jean D’Amérique

Comme souvent quand tout va mal en Haïti, de nouvelles fournées de créateurs redonnent espoir. C’était le cas cette année avec l’émergence en littérature de Jean D’Amérique. Né en 1994, auteur de textes remarqués, il part en France en résidence et se fait rattraper par le confinement. Qu’à cela ne tienne, il écrit des pièces de théâtre, de la poésie, un roman et prend position dans les médias sur la situation en Haïti. Il capte l’attention et les distinctions pleuvent. Dans son œuvre aux titres inusités, on retrouve : « Petite fleur du ghetto », « Nul chemin dans la peau que saignante étreinte », « Atelier du silence », « Cathédrale des cochons », « Soleil à coudre ». En quelques années, entre 2015 et cette année, en Haïti et à l’étranger, Jean D’Amérique décroche des distinctions comme personne : lauréat du prix RFI théâtre pour «Opéra poussière» ; sélection Troisième Bureau / Regards croisés pour Cathédrale des cochons ; finaliste du prix Fetkann de poésie ; sélection Texte en cours pour avilir les ténèbres ; finaliste du Prix RFI-Théâtre pour «Avilir les ténèbres et Cathédrale des cochons» ; Lauréat du Prix de poésie de la Vocation ; finaliste du prix Révélation poésie de la Société des gens de lettres ; mention spéciale prix René Philoctète de la poésie. Mais c’est en 2021 que sa jeune carrière connaît une accélération fulgurante. Jean D’Amérique reçoit l’un après l’autre : le prix RFI Théâtre pour « Opéra poussière », le Prix Apollinaire Découverte pour son recueil de poésie «Atelier du silence» ; le prix Fetkann Maryse Condé de la poésie pour «Rhapsodie Rouge» ; le prix Dubreuil du premier roman de la Société des gens de lettres pour «Soleil à coudre» et le prix Fintro de littérature francophone, une bourse qui soutient les jeunes auteurs d’avenir.

Bedjine

Depuis quelques années, la musique haïtienne est bousculée par des femmes (Misty Jean, Rutshelle Guillaume, Darline Desca, Blondedy Ferdinand, Florence Duré, Danola, Tafa Mi-Soleil) qui grâce à leurs divers talents, accèdent aux plus hautes marches. 2021 a été l’année de Bedjine. Grâce à sa voix, le choix de ses textes, sa façon de se présenter sur scène et un marketing intelligent, Marie Bedjine Love David de son nom complet a su hisser ses musiques au rang de succès et ses collaborations avec K-dilak ou Richard Cavé au rang de mégahits. En 2021, c’est avec les succès comme « Pouki n te marye », « Engra » ou « Koupab » qu’elle s’impose. Mais c’est surtout avec « Koupe m sa » qu’elle réussit, avant la sortie officielle de ce morceau, un véritable coup de marketing. « Consciente de l’attrait et du scandale que pouvait provoquer un tel titre chanté par une femme, Bedjine, plus Madona que Adele, annonce la chanson en publiant un teaser ô combien provocateur. Des bribes de la vidéo postée sur les réseaux sociaux, notamment sur son compte Instagram, la montre à quatre pattes, en string et soutien-gorge, le regard affriolant, chantant ouvertement « M vle w koupe m ». Le choc est énorme. Certains s’empressent de critiquer le côté à la fois indécent, vulgaire et pas du tout féministe du refrain « M vle w koupe m ». Mais le coût marketing a réussi. Surtout que Bedjine aime bien miser sur ses courbes aérodynamiques et ses formes plantureuses pour jouer à l’aguicheuse. Ce qu’elle ne s’est pas privé de faire sur les premiers extraits de la vidéo diffusés. Le public à mordu à l’hameçon. Mieux, les curieux ont avalé l’appât, la canne-à-pêche, le bateau et la pêcheuse-pécheresse. Tout le monde a cru que Bedjine réclamait face caméra, image à l’appui, une partie de jambes en l’air. « Bien sûr que mon équipe et moi on s’attendait à une telle réaction de la part du public. C’était notre plan de bataille au niveau marketing. Je suis née et j’ai grandi en Haïti, je cerne assez bien les Haïtiens. Je sais qu’ils aiment agir sous le coup de l’émotion et avoir des opinions sur tout sans savoir en réalité de quoi il s’agit vraiment. Pour lancer la chanson, je leur ai donné un sujet de conversation. C’était assez simple. En marketing et relations publiques, je pense que c’est la meilleure façon de faire atterrir un projet quelconque », a expliqué Bedjine au micro de Guy Wewe, peu de temps après la diffusion du clip « Koupe m sa » que le teaser « M vle w koupe m » avait lancé dans le débat public. En fait, le refrain est tout simplement « M vle w koupe m sa ». Rien de sexuel. C’est même un texte moralisateur » (in Ticket), 2021 a été une belle année pour Bedjine. Que le succès continue de l’accompagner.

Daniel Foote

Rarement un diplomate américain aura marqué l’actualité en Haïti. Pas par son action ou son inaction comme envoyé spécial du gouvernement américain de Joseph Biden sur le dossier Haïti mais par sa démission et les déclarations qui ont suivi. Nommé après l’assassinat du président Jovenel Moïse, Daniel Foote semblait devoir remplacer l’ambassadeur Michele J. Sison sur le départ. Il n’en sera rien. Les deux diplomates, avec des vues diamétralement opposées sur le dossier Haïti, vont même s’affronter. Foote finira par remettre sa démission et Kenneth Merten, un ancien du dossier Haïti, reviendra en selle. La démission de Daniel Foote ne marque pas pour autant son retrait sur le dossier Haïti. Sa proposition de renforcer les forces de police haïtiennes avec hommes, formation et matériel est toujours en discussion. Sa proposition de trouver un accord entre les différents accords concoctés par les acteurs haïtiens est encore valide, ses critiques acerbes contre le Premier ministre Ariel Henry ou la politique américaine menée en Haïti sont encore d’actualité. Foote a même ouvertun compte sur Twitter pour exprimer ses points de vue, ces dernières semaines. Certains lui reprochent de s’ingérer dans les affaires haïtiennes tout en prêchant la non-ingérence américaine et en défendant le droit des Haïtiens de s’occuper seuls de leur pays. D’autres estiment qu’il est comme tous les diplomates américains sur le dossier haïtien et qu’il veut simplement imposer ses vues à tous. Daniel Foote en 2021 a surtout symbolisé l’embarras de l’administration démocrate du président Biden pour trouver une position sur le dossier Haïti et de s’y tenir.

Gabriel Fortuné

Le 14 août 2021. Quelques minutes après le séisme qui dévasta la presqu’île du Sud, le premier décès confirmé sera celui de Gabriel Fortuné. Ancien maire de la ville des Cayes, ancien député de la circonscription de ladite ville, ancien sénateur du département du Sud, ancien délégué départemental, celui qui avait eu en main un jour tous les leviers de pouvoir dans cette partie du pays assistait à une réunion politique quand le tremblement de terre frappa la région, ce samedi 14 août. Peu de participants échapèrent aux décombres de l’hôtel Le Manguier, propriété de Gabriel Fortuné. Il est décédé sous les murs de cet établissement qui faisait sa fierté et celle de la ville des Cayes. Ces derniers mois, Gabriel Fortuné, réputé pour ses déclarations incisives, lui qui a été tour à tour Lavalas, anti-Lavalas, PHTK et en bisbille avec le PHTK, racontait à qui voulait l’entendre que le président Jovenel Moïse avait été lâché par son parrain, sans jamais être plus explicite. Gabo est parti avec ses secrets et restera comme une victime emblématique des ravages du séisme du 14 août 2021 et de ses milliers de victimes, morts et blessés.

Frankétienne

Il est sans doute l’écrivain haïtien en activité avec la réputation la mieux assise. L’un des plus âgés aussi du haut de ses 85 ans. En 2021, il nous a fait peur car sa mort a été faussement annoncée sur les réseaux sociaux. Il nous a inquiétés car il a passé un long séjour à l’hôpital frappé par le Covid-19. Il nous a rendu fier quand l’Académie française lui a décerné le Grand Prix de la francophonie. Seul Jean Métellus avant lui avait eu droit à cet honneur décerné annuellement. Frankétienne et Haïti, c’est une longue histoire d’amour qui commence dans les années 50 alors qu’il était jeune professeur, puis on a découvert avec lui « Dezafi », le premier roman écrit en créole. La pièce « Pèlin tèt » (graphie de l’époque) fera de lui l’auteur le plus joué de sa génération. Ensuite, c’est l’intellectuel engagé, le peintre inspiré et le premier de nos ministres de la Culture qui marqueront la carrière de Frankétienne. Auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages et de centaines de tableaux, l’acteur, le chanteur comme l’homme impliqué dans la cité continue de nous émerveiller. Et dire qu’en plus il a donné toutes ses lettres de noblesse au créole quand personne n’osait mettre cette langue en avant.

Gessica Généus
Actrice depuis plus de vingt ans. Réalisatrice d’un documentaire primé, « Douvan jou ka leve ». Réalisatrice de « Freda » en 2021. Gessica Généus a ressuscité, à elle seule, le cinéma haïtien et fouetté l’orgueil de tous les Haïtiens qui ont parié sur elle comme rarement. Tout commence en juillet 2021 par un succès à Cannes, lors de la 74e édition du fameux festival. « Freda » reçoit une ovation debout du public après sa projection. Plus de huit minutes. Les ouvreuses demandent de vider la salle pour la projection du film suivant. L’ovation se poursuit dans le hall d’entrée. Il y a de la joie, de l’émotion et des larmes dans l’air. « Freda », tourné exclusivement en créole et en Haïti, est sous-titré et le courant passe. Le monde découvre l’histoire compliquée d’une famille haïtienne qui se débat dans les affres d’un pays en faillite totale. Fabiola Rémy, pour son premier rôle, joue Janette, la mère de famille, potomitan comme seules les mères peuvent l’être, et crève l’écran tant son jeu est juste. Si Gessica Généus ne compte plus les festivals auxquels le film a participé, «Freda» a déjà reçu la mention spéciale Découverte du prix François Chalais à la 74e édition du festival international du film de Cannes, Grand prix du jury et prix du public  du Festival Paysages de Cinéastes, deux prix au Festival international du film francophone (FIFF) de Namur (Belgique), à savoir le prix de la découverte et le prix du public. « Freda  » a aussi eu l’Étalon d’argent du Meilleur film et celui du Meilleur son à la 27e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco) et le prix du meilleur film TV5 Québec-Canada à la 27e édition du festival de films CINEMANIA.

Ariel Henry
Rien ne prédisposait le Dr Ariel Henry à devenir Premier ministre d’Haïti, encore moins Premier ministre absolu car il n’a ni président de la République ni Parlement pour tempérer son pouvoir. Ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités territoriales et des Affaires sociales et du Travail de l’administration de Michel Martelly, le neurologue réputé a pu non seulement s’imposer sur le Dr Claude Joseph qu’il a remplacé après une intervention remarquée du Core Group, mais il a su aussi prendre les rênes de toutes les institutions, les unes après les autres. Ariel Henry s’est rapproché d’une bonne partie de l’opposition à Jovenel Moïse sans couper tous les ponts avec le PHTK. Si 2021 a été l’année d’Ariel Henry, pour le pays le plus dur est à venir. Le Premier ministre n’a encore mis en place aucun mécanisme solide pour ramener Haïti sur le chemin de la démocratie et de la renaissance économique. Il n’a ni rétabli l’ordre ni jugulé l’insécurité ou conforté l’appareil judiciaire. Il n’a encore ni défini son mandat ni lancé les grands chantiers qui avaient échappé à Jovenel Moïse. Ariel Henry est, pour le moment, le Premier ministre du temps qui passe, pas encore celui de la construction du meilleur.

Jovenel Moïse
« Vers 1 heure du matin, dans la nuit du mardi 6 au mercredi 7 juillet 2021, un groupe d’individus non identifiés, dont certains parlaient en espagnol, ont attaqué la résidence privée du président de la République et ainsi blessé mortellement le chef de l’État. Blessée par balle, la première dame prend les soins que nécessite son cas. » C’est par un communiqué signé du Premier ministre a.i., le Dr Claude Joseph, que le pays et le monde entier apprennent officiellement, le 7 juillet à l’aube, l’assassinat du président de la République Jovenel Moïse. Ainsi, s’est achevé dans le sang et la solitude le règne du dernier en date de nos présidents élus. Plus d’un siècle que le pays n’avait pas vécu un tel traumatisme. Jusqu’à nos jours, l’enquête est à l’arrêt et la justice balbutie. Le président Jovenel Moïse, qui avait tenté de faire de la politique en instrumentalisant la violence et les menaces, a fini sous les balles d’assassins insaisissables et son dossier se trouve entre les mains d’une justice qu’il avait, pour des raisons politiques, affaibli comme jamais. Par ses actions, ses échecs, ses projets, Jovenel Moïse aura marqué non seulement l’année 2021, mais également l’histoire du pays.

Nous, les réfugiés
Si la photo du policier américain à cheval coursant un Haïtien, fouet et lasso en main, a marqué l’année, 2021 a été celle des Haïtiens réfugiés à travers le monde, particulièrement dans notre hémisphère. Partout en Amérique latine, les Haïtiens se sont dirigés vers les États-Unis en affrontant tous les dangers. Des milliers d’entre eux se sont retrouvés devant un mur ou face aux forces de l’ordre américaines. Peu de nos compatriotes ont pu concrétiser leur rêve de rejoindre un parent ou d’atteindre l’Amérique de Biden car de Trump à la nouvelle administration, rien n’a vraiment changé dans la politique migratoire de notre puissant voisin. Des dizaines d’autres ont pris la mer ou ont traversé la frontière avec la République dominicaine pour se retrouver aussi devant l’impossibilité de terminer leur voyage vers leur point de destination. Des milliers et des milliers de nos compatriotes en provenance de plusieurs pays ont été rapatriés par les autorités américaines, bahamiennes, dominicaines, mexicaines, des îles Turks and Caicos et autres. Les Haïtiens sont devenus, plus qu’avant, des réfugiés dans leur propre pays. Après les déplacements de populations de Bel-Air, c’est la zone de Martissant qui a fourni les plus grosses foules de déplacés en 2021 à cause de la guerre des gangs. Des milliers de familles ont dû trouver refuge chez un proche, un parent ou changer de quartier. Les départements du Sud-Est, des Nippes, du Sud, de la Grand-Anse et une partie du département de l’Ouest sont affectés par la situation sécuritaire à Martissant. Les hommes et les marchandises sont prisonniers de la guerre des gangs et le désespoir que cela provoque alimente le besoin de quitter le pays. Aujourd’hui en Haïti, les riches comme les pauvres sont tentés par le départ et chacun peut être un jour un réfugié ici ou ailleurs. À cause du désespoir ou de l’insécurité.

Le policier inconnu
Cette année, la liste déjà trop longue des policiers tués dans l’exercice de leur fonction ou parce que des bandits ont découvert qu’ils appartenaient à la Police nationale d’Haïti s’est encore allongée. Certains des martyrs de la Police nationale d’Haïti (PNH) sont demeurés sans sépulture comme ceux assassinés lors de la débâcle à Village-de-Dieu en mars 2021. Pour d’autres comme Pierre France Richard Étienne, tué alors qu’il poursuivait les bandits qui opérait le kidnapping du professeur Patrice Derenoncourt, jamais l’institution policière n’a présenté les résultats d’une enquête ni rendu hommage à la dimension de son sacrifice. Les policiers, en dépit de leurs faibles moyens, en dépit de la recrudescence des gangs, en dépit des échecs successifs qu’ils connaissent, restent et demeurent les seuls qui, au péril de leur vie, défendent les vies et les biens en Haïti. La Police nationale d’Haïti a du chemin à faire pour rétablir la confiance au sein de la population, les autorités politiques ont des moyens à mettre sur la table pour aider les policiers à bien remplir leur mission, mais le vrai défi pour sauver la PNH et préserver la vie de chaque policier passe par les ponts qui doivent tomber entre bandits de tout poil et politiciens en Haïti. Hommage au policier inconnu et à tous ceux qui servent la patrie et meurent en accomplissant leur devoir.

Emmelie Prophète-Milcé
En 2021, Emmelie Prophète-Milcé a reçu le prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises de l’Académie française et la médaille de vermeil qui va avec. Cette distinction souligne son apport à la langue de Voltaire à travers son œuvre de nouvelliste, de poète, de romancière, de journaliste et de haut fonctionnaire. En 2021, Emmelie Prophète-Milcé a aussi connu la consécration avec le succès de son ouvrage « Les Villages de Dieu ». Encensé par Dany Laferrière au lendemain de l’assassinat de Jovenel Moïse qui recommande le roman à ceux qui souhaitent comprendre un peu mieux Haïti, le livre connait un succès énorme en étant le livre d’un auteur haïtien le plus vendu en Haïti et à l’étranger cette année (3 mois en tête des ventes au Québec, des scores remarquables en France et en Belgique pour un livre publié par une maison d’édition canadienne),  mais le livre lui a permis d’être finaliste des Prix des 5 continents et Ivoire et surtout de décrocher le prix Fètkann Maryse Condé, catégorie Mémoire et une mention spéciale du Prix Carbet de la Caraïbe et du Tout Monde. En 2021, Emmelie Prophète-Milcé a aussi signé avec Amazon qui va distribuer sous le titre de « Blue » la traduction en anglais de son ouvrage « Le testament des solitudes ».

Soup joumou
Après une belle bataille initiée par le ministère de la Culture et de la Communication et finalisée par la Mission d’Haïti auprès de l’Unesco, le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, réuni à Paris le 16 décembre dernier, a décidé d’inscrire la soupe joumou (soupe au giraumon) d’Haïti sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Cette consécration symbolique ne va pas changer grand-chose pour la soupe dite de l’Indépendance que tout Haïtien qui en a la possibilité déguste chaque dimanche et certains jours de l’année comme le 1er janvier. La soupe fera encore le régal de ceux qui l’adorent quelle que soit la recette adoptée dans leur famille. Pour aller plus loin, il faudrait une standardisation de la formule et un vrai travail pour partager avec le reste du monde cette soupe qui identifie si bien Haïti.

Frantz Duval

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