Afghanistan et Haïti, deux visages de l’échec américain

Par Frédéric Thomas*

 

D’un côté, des humanitaires venant en aide à un pays frappé de plein fouet par un nouveau séisme ; de l’autre, des militaires dépassés par une foule prenant d’assaut un aéroport, cherchant désespérément à fuir la terreur qui vient. Les deux visages de la politique états-unienne ? En réalité, de l’Afghanistan à Haïti, se donne à voir une stratégie unique et un échec commun.

Deux drames se télescopent à la une des médias : la prise rapide de Kaboul par les talibans, précipitant le retrait américain et provoquant des scènes de panique, et les images de destruction et de désolation du Sud d’Haïti, frappé à nouveau par un séisme, suivi par le passage de la tempête tropicale Grace. Par lâcheté, on accuse la malédiction ou l’atavisme. Plus honnête – plus honnête et pertinent – est d’interroger la responsabilité des États-Unis.

D’un côté, l’image d’humanitaires venant au secours d’un pays appauvri en proie à une énième catastrophe naturelle. De l’autre, celle d’une foule apeurée et déboussolée, prenant d’assaut un aéroport, cherchant désespérément à s’échapper du piège qui se referme sur elle. Plutôt que les deux visages de la politique états-unienne, de l’Afghanistan en Haïti, se donne à voir une stratégie unique et un échec commun. Aussi différentes que soient les situations afghane et haïtienne, elles sont marquées par une dépendance commune envers Washington, qui n’a de cesse d’intervenir dans ces pays, en fonction de ses priorités.

Tirer les leçons ?

Washington n’abandonne pas plus l’Afghanistan qu’il ne sauve Haïti. Ce sont avant tout ses intérêts et son agenda politique qui le poussent à intervenir militairement là-bas, à se désengager ici, à aider ailleurs. Mais, avant et après Trump, c’est toujours America first. Si les problèmes dans ces deux pays trouvent leurs racines dans les rapports sociaux qui structurent la vie en commun, et, en conséquence, préexistaient à l’ingérence américaine, celle-ci n’a fait que les exacerber, et compliquer un peu plus toute résolution pacifique.

En ce sens, le retrait d’Afghanistan ne constitue pas une erreur, mais la démonstration d’un échec préalable, vieux de vingt ans. La guerre contre le terrorisme a contribué à ce que se démultiplient et se renforcent les actes terroristes et les conflits armés. Qu’ils restent ou qu’ils partent de Kaboul, les États-Unis avaient déjà perdu. Mais ce sont les Afghans et Afghanes, pas les Américains, qui paient, aujourd’hui, au prix fort cet échec.

Mépris néocolonial

De même, pour réconfortantes ou spectaculaires qu’elles soient, les images d’enfants sauvés des décombres n’enlèvent rien au fait que l’aide humanitaire est d’abord et avant tout le signe d’un échec : celui des mécanismes de prévention et de planification, des institutions et politiques publiques. Or, les États-Unis portent une lourde responsabilité dans cet état de fait, en soutenant contre vents et marrées, et plus encore, contre les protestations de la majorité de la population, une classe politique qui condamne Haïti à un cycle de crises et de catastrophes, de dépendance et d’ingérence.

Des Afghans et des Haïtiens, de leurs histoires et de leurs sociétés, de leurs idées et de leurs rêves, l’administration américaine n’a rien vu, rien voulu voir, sinon un fatras de tribus plus ou moins barbares et de fanatiques religieux, d’un côté, de nègres incapables ou dangereux, de l’autre. Mélange de mépris néocolonial, d’idéologie et de refus de remettre en cause sa politique et ses intérêts.

Malheureusement, les États-Unis n’apprennent rien de leurs erreurs, n’en tirent aucune leçon. La faute demeure celle de leurs « clients », qui n’ont pas été à la hauteur de l’aide et des ambitions américaines. En réalité, Washington arrive à vaincre – momentanément –, mais pas à convaincre. Encore moins à contribuer au relèvement de ces pays. Et ses victoires par la force constituent le terreau même de ses défaites.

Les cliques au pouvoir qui accaparent l’État et ses ressources à Kaboul, Port-au-Prince et Bagdad sont le fruit et la condition du state building américain. Enfermé dans son tête-à-tête avec ces oligarchies, corrompues et mafieuses, Washington s’aveugle complaisamment, découvrant, toujours trop tard, que sa stratégie n’a aucune assise. Bien sûr, la puissance des États-Unis n’a d’égale que l’impuissance et l’hypocrisie de l’Europe, dont le seul héroïsme consiste à s’aligner sur la Maison-Blanche, à dénoncer le cynisme russe et chinois, et à tenir à distance les flux migratoires.

Un avertissement

Ce qui se passe en Afghanistan doit nous servir d’avertissement. Moins du caractère versatile de la politique américaine, que de sa faillite impériale. Et de notre refus de voir monter ces vents d’insatisfaction et de colère, à mesure que s’étendent la faillite des services sociaux, la déliquescence des institutions publiques, le gaspillage des ressources et la mise en coupe réglée de nations.

*Sociologue

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *