Des personnes handicapées oubliées dans un camp depuis 2010

Il est 11 heures du matin quand, accompagné de notre facilitateur, nous sommes arrivés au camp Lapis. Le soleil brille de mille feux. Une chaleur torride crée de la surprise à cette période hivernale. Comme si par cette chaleur ardente l’astre du jour voulait gommer les empreintes de la précarité retrouvées à tous les coins du camp. Apparemment, ce n’est pas ce soleil qui rendra moins pénible la misère qui prévaut dans ce milieu. D’ailleurs, au camp Lapis, elle est plutôt manifeste. La misère respire. Elle se meut comme pour ne pas passer inaperçue. Elle est visible dans chaque regard croisé, dans chaque voix entendue, dans chaque silhouette qui bouge dans ce camp du bas Delmas.

Ici, ils sont environ 200 handicapés qui essaient, dépourvus de moyens, de ne pas mourir. Ils sont là dès le lendemain du cataclysme du 12 janvier 2010. Leurs maisons sont des « Chelters » construits depuis 2010 et qui ne devaient durer que deux ans. Après 11 années, ces maisons de fortune ne sont que des taudis incapables de servir réellement d’abris quand il commence à pleuvoir. Pour la plupart, les toits sont couverts de bâches abîmées alors que les enceintes en bois sont rapiécées à plusieurs reprises.

La route principale tracée au milieu de ce camp est jonchée de toutes sortes de déchets. La poussière qui se lève sous les pieds des enfants qui courent de part et d’autre est une calamité. Pourtant Télémaque Altesse y passe ses journées assis sur une chaise en paille qui ne cache pas non plus la précarité de la zone. C’est un manchot. Avant même d’ouvrir la bouche, ses vêtements délabrés en disent déjà long sur sa situation. Larmes aux yeux, cet homme nous raconte ses déboires.

Le camp des oubliés

« Personne ne pense à nous ici. Je n’en peux plus. Je ne vis plus », se plaint-il, incapable de suspendre les larmes qui viennent mouiller son visage. Sa femme est morte au camp, il n’a plus personne. Sa maison de fortune a été incendiée, il a tout perdu. Ce sont des voisins qui l’hébergent depuis. Ses trois enfants sont placés çà et là chez des membres de sa famille qui acceptent de lui venir en aide.

Au camp Lapis, les personnes vivant avec un handicap  sont privées de presque tout. Ce sont des oubliés, à en croire Luckner André, coordonnateur général de l’Association des personnes handicapées pour la promotion du sport (APHAPS). Sur ses béquilles, Luckner a l’air de se passer de sa jambe droite dont il est amputé. C’est un homme bourré d’énergie qui nous a reçus. Mais s’il a suffisamment de courage pour vivre avec son handicap, il n’en a plus assez pour vivre au camp lapis. « Après 11 ans, je dois dire que la vie n’est plus possible ici », lâche-t-il avec l’espoir que le sport va améliorer ses conditions de vie.

Il n’y a pas une période de l’année où ils reçoivent la visite des autorités, confie Dieufaite Joseph. Dans son bloc, il est un vrai leader; tout le  monde le respecte au point qu’il peut commander à ses voisins d’éteindre leur appareil de radio pour nous parler paisiblement. Il est en effet coordonnateur de la Cellule de réflexion des handicapés de l’Ouest pour le développement (CEREHAOP) et président de Plaisir rara des handicapés de l’ouest (PRHO). L’homme, âgé de 56 ans, ne voit rien, mais il a trois enfants à sa charge.

Abandonnés face à la Covid-19

Pour être là depuis 2010, il connaît bien les problèmes du camp. « À côté de la pénurie d’eau, nous n’avons même pas de latrines ici. Les gens doivent se soulager à l’air libre dans le camp », déplore-t-il dans un charisme qui plaît à tous les autres riverains qui nous entouraient. Depuis le début de l’épidémie du nouveau coronavirus, ils n’ont guère reçu de soutien des autorités, fustige Dieufaite Joseph, avant de rectifier que la secrétaire d’État à l’Intégration des personnes handicapées leur a fait un don de 150 masques pour se protéger de la pandémie. Une fondation de la place a installé un point de lavage des mains à l’entrée du camp, mais cela n’a servi que de jeu pour les enfants. Une fois qu’il n’y a plus d’eau dans les cuves, elles ne sont plus que décoration.

Si au début le camp Lapis était le camp des handicapés, actuellement ce n’est plus le cas. Au contraire, les handicapés y sont bien minoritaires maintenant. Le camp est même contrôlé par des hommes armés jusqu’aux dents. Au moment où l’on interroge Dieufaite Joseph, l’on a pu voir une sorte de démonstration d’un jeune dans la vingtaine . L’air fier, le jeune homme a défilé devant tout le monde avec une arme de guerre en main. Pas moins de quatre enfants d’environ 8 à 12 ans le suivent, déterminés, comme des apprentis qui cherchent à appliquer chaque leçon de leur mentor.

Vivre dans la peur

Ces individus armés sont maîtres et seigneurs dans ce camp, confient les habitants. Guermann Otilus regrette cela. Il a dû abandonner les activités socio-éducatives qu’il avait l’habitude d’organiser au profit des enfants à cause des individus armés qui viennent s’installer dans le camp. « Quand je travaille avec les enfants, ils pensent que j’ai de l’argent pour ça. Ils commencent à poser des questions. Je me sentais en danger,  j’ai dû abandonner », déplore ce jeune homme apprécié de tous les handicapés du camp. Son père est d’ailleurs un handicapé, l’un des pionniers du camp Lapis. Une vingtaine d’enfants circulent dans ce camp, sans pouvoir aller à l’école.

À côté des autres problèmes, les handicapés sont donc plongés dans une insécurité alarmante. D’ailleurs, au mois de mai 2020, des individus armés ont incendié pas moins de 18 maisons de fortune dans le camp. Ils vivent pour l’instant dans la peur, souhaitant être relocalisés. Au fait, 50 handicapés ont été relocalisés et placés au village Lumane Casimir. Ils espèrent tous que ce jour arrivera où ils seront eux aussi envoyés là-bas. Mais ce qu’ils ignorent, c’est que la vie n’est pas vraiment rose au village Lumane Casimir.

Visite au village Lumane Casimir

Nous sommes épargnés de la poussière et des odeurs putrides. Nous pouvons même trouver de l’ombre pour nous abriter du soleil. Au village Lumane Casimir, situé non loin du Morne-à-Cabris, l’on peut croire que la situation des handicapés est différente. Mais quand on commence à leur parler, on s’aperçoit vite qu’il n’a de différence que la configuration de la zone. Mais ils sont placés au village avec leur lot de problèmes tout comme au camp Lapis.

Antonise Blanc vivait au camp Lapis avant d’être placée au village Lumane Casimir. Cette mère de trois enfants a perdu une jambe lors du tremblement de terre. Depuis qu’elle est ici, dit-elle, elle vit de l’aide de certains membres de sa famille. Elle n’a pas de mari. « Ils m’ont placée ici, mais depuis je ne vois personne », se plaint-elle.

Se souvenir du 12 janvier 2010 représente un supplice pour Antonise. C’est le jour qui a fait basculer sa vie. « Rien n’est plus comme avant », soutient-elle, elle qui n’arrive pas à s’en remettre. De son côté, Jean Robert Joseph est arrivé au village depuis 2014, tout comme Antonise. Cet homme qui a des problèmes visuels dénonce qu’il n’a jamais rien reçu depuis son arrivée. Au total, ils sont environ 50 à être placés au village Lumane Casimir.

Ce 12 janvier 2021 marque le 11e anniversaire du tremblement de terre qui a fait près de 300 000 victimes selon les chiffres officiels. Si le séisme est déjà loin derrière nous, il n’en est pas autant pour ses séquelles qui sont encore bien visibles dans le pays.

 

 

 

 

 

Source: Le Nouveliste

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