Odette Roy Fombrun, 103 ans : « Je suis triste d’être sur le point de partir en laissant mon pays en lambeaux »

J’ai 103 ans. Inutile de vous dire qu’après avoir tant lutté pour mon pays et sa jeunesse, combien je suis triste d’être sur le point de partir en laissant mon pays en lambeaux, nos élites divisées et la majorité dans la misère, à la merci de gangsters et d’assassins sans foi ni loi.

Tous les jours, il est question de « kraze-brize », de brûler biens publics et privés, même des écoles et centres universitaires, d’énumérer les noms de nouvelles victimes ou groupes de victimes comme ceux des drames de La Saline et de Saint-Louis du Nord où des centaines de maisons sont détruites et les habitants tués par deux gangs qui s’affrontent.

Comment envisager l’avenir ? Des élections et meetings politiques sont-ils possibles au milieu de cette débâcle et de ce virus du Covid-19 qui impose distanciation et port de masque ? Pourra-t-on produire et distribuer aux électeurs les millions de cartes d’identité indispensables dans cette atmosphère de troubles et de destruction ?’

Quelles options sont souhaitables ou même possibles ? Pour répondre à ces questions, j’affirme qu’il est indispensable de planifier et d’organiser une vraie konbit nationale, l’incontournable conférence nationale tant souhaitée qui décidera de la voie à prendre pour l’avenir du pays.

Quelles que soient vos convictions politiques, vos options actuelles, que vous soyez du gouvernement, de l’opposition, de la société civile, de confessions religieuses diverses ou malheureusement de gangs, vous êtes tous des citoyens haïtiens et vous avez l’obligation d’appuyer et de participer à cette rencontre nationale, sans exclusion ni exclusive. Vous pouvez vous inspirer des propositions de la Conférence épiscopale des évêques des 17 et 18 août 2002. Etaient présents Turnep Delpé, les évêques Mgr Pierre André Dumas et Mgr Nunez, Joseph Amary Noël, Dr Josette Bijou, moi et tant d’autres… Nous étions sur la bonne voie. Mais, hélas, malgré les avancées, le «kraze-brize», le « boulé » généralisé, le «peyi lòk» ont pris le dessus ! Aujourd’hui, je suis convaincue qu’il nous faut en plus la participation intelligente de modérateurs expérimentés, neutres et déterminés pour conduire les échanges et faciliter la préparation et le suivi des accords. J’affirme que la présence de tels modérateurs est indispensable à la réussite de toute conférence nationale.

J’affirme aussi qu’il faut que chacun s’élève à la hauteur de vrai citoyen en acceptant de faire des sacrifices personnels en faveur du pays, de la stabilité politique et économique, du retour à la voie constitutionnelle et au renforcement des institutions. Il est impératif d’arrêter cette descente aux enfers en ayant chacun de nous l’humilité de reconnaître que, seuls, ni en petits groupes dispersés, nous ne pouvons rien ; qu’aucun de nous ne détient la solution idéale pour remettre le pays sur les rails de la paix et du développement. Qu’il faut le « tèt ansanm » ! Ce n’est plus le moment de penser «peyi lòk», renversement de gouvernance ou décisions unilatérales d’autorités. L’histoire nous a prouvé à maintes reprises qu’elles sont toutes des options qui ont échoué et plongé le pays et les citoyens dans la misère. La sagesse et l’amour du pays nous imposent de travailler ensemble à freiner la violence et la destruction inadmissible de nos institutions, de nos valeurs morales et civiques, de notre intelligentsia, de notre patrimoine historique et culturel pour entamer enfin, avec honnêteté, les échanges constructifs indispensables.

Il nous faut nous accorder ! Il vous faut vous accorder sur des options de sagesse pour un avenir constructif et inclusif !
Je vous dis au-revoir avec tous mes vœux de PAIX et de BONHEUR pour tous.
 

 

Source: Le Nouvelliste

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