Le colloque annuel de l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore (ACEF) a eu lieu à University of Prince Edouard Island (UPEI), du 25 au 27 mai 2018. Le patrimoine d’Haïti a été mis en débat le vendredi 25 mai 2018, de 10h 30 à 12h, dans une séance qui a été présidée par le professeur Laurier Turgeon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique et grand passionné de la culture haïtienne.
Dieufort Deslorges, doctorant en ethnologie et patrimoine à l’Université Laval et membre depuis 16 ans de la Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO (CNHCU), a fait une intervention autour du thème « Patrimoine et biodiversité en Haïti : défis, potentialités et perspectives ». Se référant à un rapport de fonds de partenariat pour les écosystèmes critiques (CEPF), il a rappelé, d’entrée de jeu, qu’Haïti héberge deux réserves de biosphère de grandes valeurs reconnues par l’UNESCO, faisant partie de l’un des plus grands centres de biodiversité et d’endémisme du monde. Pour lui, il est temps de prendre conscience de ces potentialités et d’œuvrer ensemble, de manière responsable, à l’édification de communautés prospères en harmonie avec la conservation de la diversité biologique et culturelle. Dans sa communication, il a abordé les différents défis de la conservation et de la mise en valeur patrimoniale des réserves de biosphère, dans la perspective du développement socioculturel et économique durable des communautés.
Certes, il n’est plus à démontrer qu’Haïti détient une grande richesse historique et culturelle : des connaissances traditionnelles spécifiquement liées à la biodiversité, des sites historiques et culturels et un patrimoine immatériel assez divers. Mais, le pays fait de plus en plus face à des difficultés énormes. C’est dans cette dynamique de trouver des alternatives à ces difficultés que s’inscrivaient les propos de Kesler Bien-Aimé, doctorant en ethnologie et patrimoine à l’Université Laval et spécialiste du programme Culture à la Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO. Du débrouillement de « La route de l’esclave » aux difficultés de penser un circuit de mémoire historique dans le vieux Port-au-Prince, tel était le titre de sa communication. Il a rappelé la fondation de la ville de Port-au-Prince par ordonnance royale le 13 juin 1749, au moment des grandes récoltes résultant des trafics du «bois d’ébène», captif de l’économie esclavagiste à Saint-Domingue au début du 16e et 19e siècles. Paradoxalement, dans le champ visuel haïtien, en dehors du monument Marron inconnu « Nèg mawon » au Champ de mars (ISPAN : 2018), il n’y a aucun effort officiel de rendre présentes les luttes des esclaves dans les lieux publics du centre historique de la Capitale, faisait-il remarquer. Dans son intervention, il a mis en lumière les tâtonnements, voire la mise à mort du projet de « La route de l’esclave » (Unesco, 1994) en Haïti afin de tenter de comprendre les brouillements qui sont mobilisés quand il s’agit de citer le passé de ce groupe social considéré comme acteur principal du démantèlement de l’ordre esclavagiste à St-Domingue.
Autour du sujet « Les mécanismes de sauvegarde et de mobilisation du patrimoine culturel immatériel haïtien en contexte d’urgence », Ricarson Dorcé, doctorant en ethnologie et patrimoine à l’Université Laval et membre de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique, a pris la parole pour démontrer qu’Haïti fait l’objet d’un patrimoine culturel immatériel inestimable. Ce dernier, selon lui, peut bien offrir des occasions considérables aux populations locales de s’affirmer en vue de répandre leur vision du monde. Malheureusement, il existe encore peu de recherches sur des situations pratiques dans ce domaine, notamment sur le patrimoine immatériel dans des moments d’urgence associés à des catastrophes dues à des aléas d’origine naturelle ou humaine, affirmait-il. Or, « il est évident qu’un fragile développement urbain, des réchauffements climatiques et autres catastrophes naturelles constituent des moments difficiles pour les différents patrimoines de partout à travers le monde, particulièrement le patrimoine culturel immatériel. Haïti n’est pas exempte de ces éventuels événements malheureux. En témoignent les dégâts causés sur notre patrimoine par le séisme du 12 janvier 2010 et l’ouragan Matthew en 2016 », poursuit-il. Donc, deux questions fondamentales ont servi de pivot à l’intervention de Ricarson Dorcé : « comment le patrimoine culturel immatériel pourrait-il être mis en péril dans des situations d’urgence et quels devraient être les mécanismes à mettre en place pour sa sauvegarde ? comment le patrimoine culturel immatériel pourrait-il être mobilisé comme facteur de solidarité, de rapprochement et de redémarrage pour les collectivités affrontant des crises de différentes natures ? »
Il y a eu beaucoup d’échanges entre les participant.e.s et les panélistes sur les différentes facettes du patrimoine d’Haïti. C’était une rencontre très fructueuse. Il faut enfin rappeler que l’Association canadienne d’ethnologie et de folklore (ACEF) est une structure sans but lucratif fondée en juin 1976 dans le but de mettre en valeur l’éducation et la recherche dans le champ de l’ethnologie, « d’augmenter les compétences dans le domaine, de coopérer avec les autres associations et institutions qui poursuivent les mêmes objectifs que l’Association ».