Mise au point sur les critiques du Code pénal

Suite aux nombreuses critiques et aux débats houleux, Le Nouvelliste publie ci-après la défense produite par les anciens membres de la Commission Présidentielle pour la réforme de la justice. Ils sont les auteurs du nouveau Code pénal. Maîtres Jean Joseph Exumé, Sibylle Théard Mevs, René Magloire, Jean Vandal, Williams Allonce, Florence Mathieu et Edwin Coq apportent des précisions sur le contexte qui a donné naissance au code et sur le texte lui-même. Cette pièce ne met pas fin aux échanges mais les éclaire d’un nouveau jour comme toute parole d’avocat.

 

 

 

Suite aux différentes prises de position suscitées tant dans la presse que sur les réseaux sociaux,  par la publication du Code Pénal, les membres de l’ancienne commission pour la réforme de la justice estiment opportun de fournir quelques éléments de réponse susceptibles de projeter la lumière sur le copieux document qui semble échapper à la compréhension de certains secteurs sociaux intéressés, malgré leur expertise dans les méthodes et les techniques d’interprétation des lois pénales et civiles. Cette démarche visant uniquement à faire avancer le débat, exclut toute forme de polémique et traduit la quête de vérité sur les points précis des critiques. Après un bref rappel des circonstances de l’élaboration du texte légal, seront examinées les principales critiques portées contre le nouveau Code pénal.

Rappel des circonstances de l’élaboration du Code Pénal

Deux entités chargées de réformer la justice pénale, l’une mise en place sous la présidence de l’ancien président René Préval, appelée Groupe de travail Magloire, l’autre, créée par arrêté du président Martelly, la Commission Présidentielle sur la Réforme pénale, ont fusionné et mis en commun leurs travaux respectifs. Une nouvelle entité, née de cette fusion a été créée: le Comité Technique Conjoint (CTC), chargé d’élaborer les avant-projets du nouveau code pénal et du nouveau code de procédure pénale. C’est une expérience exemplaire de la mise en commun, sans a priori, des compétences diverses haïtiennes au service de la République.

Le Comité Technique Conjoint, dans un ouvrage publié sous le titre « La réforme pénale, et le sous-titre Philosophie, Méthodologie, Sources formelles » a mis en exergue les principes directeurs et la méthodologie adoptée pour préparer les deux avant-projets de Codes Pénal et de Procédure Pénale, soumis au président Martelly respectivement en mars et octobre 2015, malgré de multiples sources internes de résistance. Cette mise au point à la fois philosophique et méthodologique est suivie de toutes les conventions internationales ratifiées par Haïti. Suivant le prescrit de la Constitution, les dispositions qui y sont contenues intègrent la législation nationale dès leur ratification. La réflexion du Comité a même porté sur la compatibilité de la culture haïtienne avec le contenu et les exigences de la philosophie des droits humains formulée à travers les Conventions internationales ratifiées par l’Assemblée Nationale.

Il a été procédé à l’inventaire de tous les textes à dispositions pénales en vue de leur intégration, avec modifications si nécessaires, dans le nouveau Code pénal. Tout au long de l’élaboration du Code, le Comité a examiné toute la documentation sur les mœurs haïtiennes, l’influence des religions, y compris du vodou sur la mentalité et les pratiques sociales haïtiennes, les dérives sociales dont le droit pénal ne saurait être tracteur, les forces créatrices de notre droit pénal incompatible avec le souci constant de l’impunité depuis l’indépendance nationale. En plus de cela, la réflexion du Comité Technique Conjoint a porté sur l’inexistence d’une doctrine haïtienne dans le domaine du droit en général, donc du droit pénal et parallèlement sur l’influence considérable de la doctrine française sur la pratique du droit en Haïti, et l’importance de la participation haïtienne à la francophonie.

La réforme pénale concerne au premier chef les valeurs partagées par l’ensemble de la société et qui, pour cela doivent être protégées. Ces valeurs doivent faire l’objet d’une appréciation au plan éthique. La sanction de leur inobservation est susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles. La fonction principale du droit pénal, c’est bien de protéger l’intérêt collectif contre les dérives individuelles et les atteintes à l’intégrité du corps social. Aussi, le Comité Technique Conjoint, en appui au Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, a animé des ateliers de restitution des deux avant-projets dans les chefs-lieux des cinq Cours d’appel de la République : Cap-Haïtien, Gonaïves, Hinche, les Cayes, Port-au-Prince. Ces ateliers ont réuni les représentants du monde judiciaire, ceux de la Police Nationale, des organisations de la société civile et des organisations religieuses. Toutes les interventions des participants ont été recueillies fidèlement dans un rapport transmis aux différents groupes pour toutes les rectifications utiles. Au-delà du monde judiciaire et de la société civile «avertie», le grand public a également eu l’opportunité de contribuer à l’élaboration des avant-projets en transmettant ses observations à la Commission à travers une adresse e-mail créée à cet effet.

Les membres de la Commission ont toujours répondu aux invitations à participer à des ateliers, des entrevues, à faire des présentations, à fournir des explications, à répondre aux questions et préoccupations individuelles, personnelles, corporatistes ou de groupes organisés intéressés à la réforme pénale.

Cette démarche éminemment participative et inclusive a permis à la Commission de recueillir les suggestions/observations des participants aux différents ateliers, sur des thèmes variés particulièrement dans des domaines comme la zombification, l’interruption volontaire de grossesse, le viol, le harcèlement sexuel, les discriminations, l’échelle des peines, la responsabilité pénale des personnes morales, les crimes et délits contre les personnes et les biens, les infractions environnementales, etc.

Le Comité Technique a, par la suite, procédé à la réécriture des avant-projets à la lumière des suggestions/observations, dans la mesure où celles-ci étaient techniquement recevables. Finalement, les deux avant-projets finalisés ont été remis en l’année 2016 une nouvelle fois à l’Exécutif mettant ainsi un terme à la mission dévolue à la Commission Présidentielle. Une année après, en avril 2017, le Ministre de la Justice, Me. Heidi Fortuné, a fait officiellement le dépôt des deux projets de Code au Parlement.

Le Sénat a constitué une commission d’examen du Code Pénal, et a lancé de nouvelles consultations à travers le payset dans certains pays d’Afrique. Malheureusement, la Commission sénatoriale n’a pas eu la possibilité de soumettre les résultats à la sanction du Sénat. Quant à la Commission Justice et sécurité publique de la Chambre des députés, un rapport aurait été préparé mais n’avait pas été soumis à l’Assemblée avant la fin de la 50ème législature. Le 24 juin 2020, l’Exécutif a pris la décision de faire publier le Code Pénal par décret.

Suite à cette publication, plusieurs voix se sont élevées pour dire que le Code Pénal est un Code de la déchéance, un Code libéral qui va à l’encontre de la morale et est à contre courant des traditions et des mœurs haïtiennes.  Le 1er juillet 2020, la Conférence Episcopale d’Haïti, dans une note de presse diffusée sur les ondes de plusieurs stations de la Capitale et de villes de province proclame que dans ce Code Pénal, «des dispositions de certains articles touchant l’essence même de notre humanité, de notre culture, de notre foi et de notre société ne devraient pas être promulguées sans une consultation préalable de ceux pour qui elles ont été élaborées, car il implique les difficiles et complexes questions de la vie humaine: de la majorité sexuelle, de l’inceste, des orientations sexuelles, du changement de sexe etc…» De leur côté, les fédérations protestantes emboîtent le pas et pointent du doigt les articles 209, 248, 264, 278, 277, 278, 298, 305, 362, 383, 384 qui contiendraient des autorisations légales sur l’homosexualité, le mariage entre des personnes de même sexe, la zoophilie, l’inceste, l’amnistie. Des partis politiques, des anciens parlementaires et des figures de la société civile ont mêlé leur voix au concert des critiques, ignorant ou oubliant les obligations internationales d’’Haiti découlant de la ratification de certaines conventions.

Les membres de l’ancienne commission présidentielle pour la réforme de la justice tiennent ici à rappeler que leurs travaux n’ont pas été guidés par des considérations pécuniaires ou politiques. Ils ont travaillé de façon méthodique et dans la plus complète indépendance, dans l’unique souci d’apporter leur contribution à la mise en place d’une réforme pénale authentique, indispensable à l’établissement d’un état de droit, respectueuse des libertés individuelles, mais où les dérives et les infractions nouvelles qui gangrènent les sociétés du monde moderne soient réprimées avec toute la rigueur nécessaire. A ce titre, il ne faut pas perdre de vue que la matière pénale étant d’interprétation stricte, il était indispensable d’introduire de nouvelles infractions si on voulait les sanctionner.

La philosophie qui sous-tend la réforme pénale se veut avant tout humaniste. Elle s’inspire de la nouvelle dynamique des droits humains et s’adapte aux réalités sociales, culturelles et économiques de notre pays, en se gardant de consacrer l’ambivalence culturelle constamment dénoncée et des pratiques culturelles liées aux religions vaudou et dont les modes de preuves doivent pouvoir être appréciées selon des critères objectifs.

Sans évidemment négliger la sauvegarde des institutions républicaines et de la paix publique, le projet de réforme du Code Pénal et du Code d’Instruction Criminelle a pour fin première la défense de la personne humaine, notamment des catégories vulnérables et tend à assurer son plein épanouissement en la protégeant contre toutes les atteintes, qu’elles visent sa vie, son corps, ses libertés, sa sûreté, sa dignité, sa propriété, son environnement ou encore la survie de l’espèce humaine.

Eclaircissements indispensables sur les points litigieux

Les anciens membres de la Commission présidentielle insistent pour informer qu’ils n’entendent nullement entrer dans une quelconque polémique avec qui que ce soit. Certes, l’analyse révèle que beaucoup de critiques sur certains articles du Code ne sont pas fondées.

L’ancienne Commission aurait de loin préféré débattre sur un plan proprement technique. C’est bien d’une œuvre de science qu’il s’agit. Les critiques sonores doivent consentir le sacrifice de lire le nouveau Code pénal en taisant leurs émotions et leurs rêves intimes d’une société en totale dégénérescence comme celle qu’ils voient s’édifier et se consolider de jour en jour, sous prétexte de respecter « l’essence même de notre humanité, de notre culture, de notre foi et de notre société ».

Si seulement cette mise au point offre à toutes et à tous l’occasion de rétablir la vérité sur les nombreuses mésinterprétations véhiculées dans la presse et sur les réseaux sociaux ! Notre société, notre culture, nos aspirations en tireraient d’énormes bénéfices. Le point sera fait sur l’essentiel des critiques, l’orientation sexuelle, l’interruption illégale de la grossesse, la majorité sexuelle, l’inceste, la zoophilie, l’amnistie.

La question de l’orientation sexuelle

Dans plusieurs articles du Code figure le terme « orientation sexuelle ». Pour ce seul motif, les critiques fusent de toutes parts. Pour les tenants de ce point de vue, « orientation sexuelle » signifie débauche, homosexualité, libertinage etc…». Le terme orientation sexuelle se retrouve dans les articles 248, 265, 273, 275,277, 278, 362. Les 6 premiers articles sont placés dans le titre deuxième sur les atteintes à la personne humaine (atteintes volontaires à la vie : meurtre, assassinat) atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (tortures, actes de barbarie).

Ces articles, loin de constituer une autorisation de l’homosexualité, prévoient plutôt une aggravation de la sanction lorsque l’infraction est commise sur toute une catégorie de personnes visées par ces dispositions. En effet, l’article 248 dans le Titre deuxième traitant des atteintes à la personne humaine n’a fait que prévoir une peine plus forte, la réclusion criminelle à perpétuité dans le cas d’un meurtre; « 1º sur une personne mineure âgée de quinze ans au plus; 2º sur un ascendant ou sur les père ou mère adoptifs 3º sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur; 4º sur un magistrat, un juré, un avocat, un officier public ou ministériel, un policier, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, un sapeur-pompier, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de l’auteur; 5º sur le conjoint, la conjointe, le concubin, la concubine, les ascendants et les descendants en ligne directe des personnes mentionnées à l’alinéa précédent ou sur toute autre personne vivant habituellement à leur domicile, en raison des fonctions exercées par ces personnes; 6º sur toute personne chargée d’une mission de service public, sur un professionnel de la santé dans l’exercice de ses fonctions, lorsque la qualité de la victime est apparente ou connue de son auteur ; 7º sur un témoin, une victime ou une partie civile, soit pour l’empêcher de dénoncer les faits, de porter plainte ou de déposer en justice, soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition; 8º à raison de l’appartenance ou de la non appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race, une religion déterminée, ou à raison de ses convictions politiques; 9º à raison de l’orientation sexuelle de la victime; 10º par plusieurs personnes agissant en bande organisée; 11º par lapidation ou collier enflammé. »

Il résulte d’un tel énoncé que le terme d’orientation sexuelle de la victime dans l’article 248 n’est qu’une des circonstances aggravantes justifiant une peine plus sévère contre l’auteur d’une infraction grave commise sur une personne (meurtre, torture, acte de barbarie…) Il ne saurait être interprété comme une reconnaissance de l’homosexualité par le Code Pénal.

Dans les mêmes conditions que celles prévues par l’article 248, les articles 265 et suivants employant le terme orientation sexuelle dans le chapitre II traitant des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne prévoient une circonstance aggravante. Le Code traite en outre dans le Chapitre V des discriminations (articles 362 et suivants). L’article 362 stipule que «constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, une religion déterminée.»

Il est fondamental de comprendre que la non discrimination à raison de l’orientation sexuelle est conforme à la doctrine et à la jurisprudence des systèmes interaméricain et onusien des droits humains, auxquels nous avons adhéré en ratifiant la Convention américaine et le Pacte International relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas possible de les ignorer. Quand on parle d’orientation sexuelle, en la détachant du contexte général des causes de non discrimination, on se met en porte à faux avec les avancées et la dynamique de la promotion et la défense des droits humains qui sont devenues une règle universelle. Les rédacteurs du projet du nouveau Code pénal ne pouvaient, quant à eux, oublier notre appartenance à ces systèmes qui font partie intégrante de notre législation conformément à l’article 276 de notre Constitution. Haïti peut-elle se payer ce luxe de rétrograder du courant mondial ? Le constat, c’est que nulle part le Code pénal n’aborde les questions de l’homosexualité, du mariage pour tous, de la transsexualité ou d’autres questions de ce genre. De toute façon, de pareilles questions ne rentrent pas dans le domaine du Code pénal qui se consacre essentiellement à identifier des infractions et à les sanctionner.

L’interruption illégale de la grossesse

Dans un communiqué de presse publié par plusieurs partis politiques, il est écrit « que la législation de l’avortement par exemple, sujet polarisé d’un débat national en vue de prendre le pouls de la société. En décider sans tout au moins s’inquiéter d’un consensus minimal, tient de l’outrage, et pourtant c’est ce qu’a fait le Président en l’article 238. (plutôt 328) »

Les dispositions du Code Pénal sur cette question ont été élaborées après de nombreuses consultations tant auprès des magistrats, avocats du pays, de secteurs féminins et de membres de la société civile en général. Il a fallu consulter plusieurs rapports des commissions féministes ayant travaillé sur cette question, regarder également ce qui se passe dans beaucoup de pays de l’Amérique Latine et Centrale, d’Europe et d’Afrique.

En considérant les restitutions de la société civile et d’autres groupes organisés, la Commission avait compris qu’il était impossible d’obtenir l’unanimité sur cette épineuse question de société. Deux courants dominaient, l’un qui était absolument contre l’interruption volontaire de la grossesse, le plus souvent pour des raisons de foi ou de morale chrétiennes et l’autre qui prônait même la liberté totale de la femme d’utiliser son corps comme elle l’entend. Rappelons que le Code Pénal de 1835 en son article 262 considérait l’avortement dans tous les cas comme un crime puni de la peine de la réclusion. Cette même peine était prévue contre la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même. Et même les médecins, chirurgiens et les autres officiers de santé qui auront indiqué ou administré des moyens pour se faire avorter étaient punis des travaux forcés à temps. Le Code de 2020, en son article 328 n’a fait qu’adopter une dépénalisation partielle de l’interruption volontaire de la grossesse. Cet article stipule ce qui suit :

« L’interruption de la grossesse pratiquée sans le consentement libre et éclairé de la gestante, ou au delà du délai de douze (12) semaines, ou en méconnaissance des exigences de la science médicale est passible d’un emprisonnement de cinq (5) ans à sept (7) et d’une amende de 50,000 gourdes à 100,000 gourdes »

Quiconque, en dehors des exigences de la science médicale, par aliments, breuvages, médicaments ou autres, aura provoqué l’avortement d’une femme enceinte sans son consentement, est passible des mêmes peines.

La peine est la même si l’avortement est provoqué par la violence physique.

Les médecins, chirurgiens, les autres officiers de santé et les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la même peine si l’avortement s’en est suivi.

Il n’y a pas infraction lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou lorsque la santé physique ou mentale de la femme est en danger. »

Il sera bien compris que la question de l’interruption de grossesse n’est pas uniquement liée à des conceptions religieuses, de morale ou de traditions. Elle est devenue chez nous comme dans la plupart des pays un problème de santé publique. Qui pourrait prétendre ignorer le nombre d’avortements clandestins qui se font chaque jour en Haïti avec des conséquences extrêmement dommageables pour des filles et des femmes, surtout dans les milieux défavorisés ? L’Etat, gardien de l’Ordre public, se doit de prendre toutes les dispositions pour protéger cette catégorie de personnes en dépénalisant l’avortement partiellement tout en l’encadrant comme l’a fait le Code Pénal de 2020.

La majorité sexuelle

Quoiqu’en disent les détracteurs du nouveau Code pénal, ce texte publié au Journal Officiel « le Moniteur », ne comporte aucune disposition traitant de la majorité sexuelle. Dans beaucoup de pays, ce concept en lui-même est un mythe car il se réfère en réalité à la sanction d’un adulte qui entretient des relations avec une mineure, étant entendu que l’âge de celle-ci joue un rôle déterminant dans la responsabilité de l’adulte en question.

C’est donc à tort que les critiques reprochent au nouveau Code pénal d’avoir abaissé l’âge de la majorité sexuelle à quinze (15) ans dans le but inavoué « d’encourager les détournements de mineurs, de décriminaliser la pédophilie et d’autoriser la prostitution des mineures ». L’article 384 auquel ils font référence stipule ce qui suit :

« Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération des relations de nature sexuelle de la part d’une personne mineure qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est passible d’un emprisonnement de deux ans à trois ans et d’une amende de 50,000 gourdes à 100,000 gourdes.

Est passible des mêmes peines le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange de rémunération ou d’une promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre même occasionnellement à la prostitution, lorsque cette personne présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ».

Peut-il être plus clair que cet article punit le fait de solliciter des relations de nature sexuelle d’une personne mineure même quand elle se livrerait à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, ou bien d’une personne présentant une particulière vulnérabilité. Cela ne peut raisonnablement être interprété comme une volonté exprimée dans le code Pénal de l’encouragement des mineurs à la prostitution. S’agit-il vraiment d’un débat juridique ? Si oui, il est important de lire intégralement le texte qui comprend, au Chapitre VII traitant des atteintes aux personnes mineures et à la famille » de nombreuses dispositions protégeant cette catégorie vulnérable.

Ces articles montrent clairement que, contrairement à l’opinion de ses détracteurs, le Code Pénal a fait l’effort d’intégrer toute une série de dispositions protectrices des mineurs (es), éparpillées jusque-là dans divers textes législatifs. C’est pourquoi, certaines pratiques sont punies : recours à la prostitution de personnes mineures ou de personnes particulièrement vulnérables (Articles 384, 385, 386), la pornographie enfantine (Articles 387, 388, 389, 390, 391, 392), l’exploitation de la mendicité (Articles 393, 394, 395), les conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité de la personne (Articles 396, 397,398, 399, 400). Chaque fois qu’il est fait référence à une personne mineure âgée de 15 ans au plus, c’est dans le cadre d’une aggravation de peine lorsque l’infraction est commise sur elle. Cette disposition n’est pas d’ailleurs nouvelle et se trouvait déjà dans le Code de 1835 dans les articles 278 et 279.

Article 278 (modifié par le Décret du 6 juillet 2005 art. 1) « Quiconque aura commis un crime de viol, ou sera coupable de toute autre agression sexuelle, consommée ou tentée avec violence, menaces, surprise ou pression psychologique contre la personne de l’un ou l’autre sexe, sera puni de dix ans de travaux forcés. »

Article 279 (modifié par le Décret du 6 juillet 2005 art. 3)

« Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au dessous de l’âge de quinze ans accomplis, la personne coupable sera punie de quinze ans de travaux forcés. »

En matière pénale, tout étant de droit strict, l’analogie n’est pas admise. S’il n’est pas prescrit que la majorité sexuelle est fixée à 15 ans, cette majorité n’existe pas. La majorité sexuelle inexistante n’a pas pu être abaissée.

L’inceste

Le public judiciaire a été surpris d’entendre sur les ondes que le Code pénal a dépénalisé l’inceste pour les cousins, cousines, les oncles, tantes, neveux et nièces, « ce qui libère des actes jusqu’ici jugés répréhensibles par l’ensemble de la société ». Et pourtant, dans le nouveau Code pénal, celui que nous connaissons, la dépénalisation de l’inceste n’a jamais été abordée. L’inceste, en droit haïtien, n’a jamais été pénalisé.

La violation de la prohibition de l’inceste entraîne des sanctions purement civiles. L’article 149 du Code civil stipule qu’en « ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants légitimes ou naturels, et les alliés dans la même ligne ». L’article 150 modifié par la Loi du 16 décembre 1929 prescrit qu’« en ligne collatérale, le mariage est absolument prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels; le mariage est aussi prohibé entre le beau-frère et la belle-sœur, l’oncle et la nièce, la tante et le neveu.

Mais ces prohibitions pouvaient d’ailleurs être levées pour des causes exceptionnelles, par le Président d’Haïti », en vertu de la modification apportée à cet article par la Loi du 24 septembre 1864 qui précise également en un troisième alinéa :

« Toutefois, la dispense relative au mariage entre la belle-sœur et le beau-frère ne pourra être accordée, que quand l’union aura été dissoute par le décès de l’un des époux».

Il faut plutôt considérer l’introduction de l’inceste comme infraction sanctionnée par le Code Pénal, comme une avancée.

La zoophilie

Les anciens membres de la Commission présidentielle sur la réforme pénale ont pris note des critiques formulées par différents secteurs, particulièrement religieux, relativement au fait que le Code Pénal n’a pas sanctionné les relations sexuelles entre êtres humains et animaux. Les enquêtes menées par la Commission ont révélé que de telles pratiques sont entourées de la plus stricte confidentialité. Les auteurs de ces critiques devraient lire sans émotion ni préjugé, l’énoncé de l’article 301 qui stipule que le « fait de forcer une personne à commettre un acte sexuel avec un animal est passible d’un emprisonnement de cinq ans (5) à dix ans et d’une amende de 50,000 gourdes à 100,000 gourdes ». Cet énoncé permet-il de conclure que les relations sexuelles d’un être humain avec un animal sont permises ? Le droit pénal ne permet nullement des conclusions par analogie ou par déduction. Voudrait-on qu’un animal devienne subitement un sujet de droit ?

Par contre, ce qui est légitime de sanctionner c’est le fait de forcer une personne à commettre un acte sexuel avec un animal. Et c’est ce que le Code Pénal a fait dans l’article 301. Une lecture plus attentive et plus complète du Code Pénal aurait permis de constater que les articles 1018, 1019 et 1020 du Décret traitent bien des atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité d’un animal, des mauvais traitements envers un animal, des atteintes volontaires à la vie d’un animal. La question des relations « sexuelles » avec un animal n’est abordée que dans le cadre de l’article 301. Les extrapolations ne sont pas permises en droit pénal.

Et parlant de mœurs et de coutumes haïtiennes, il sera facile de noter que ces dispositions punitives ne concernent pas les combats de coqs, non interdits par la nouvelle loi pénale !

L’amnistie

La critique principale contre les dispositions du Code Pénal s’appuie sur la présomption que, sur la base des articles 221 à 225, des personnes accusées de crimes financiers pourraient éventuellement bénéficier de l’amnistie et que ces dispositions seraient inconstitutionnelles pour avoir omis de dire qu’elle ne peut être accordée qu’en matière politique. Quant à la grâce présidentielle, il y aurait une nouveauté dans le Code Pénal, tendant à permettre à une personne graciée de devenir Président de la République ou d’occuper d’autres fonctions électives ou politiques.

C’est une interprétation erronée des dispositions sur l’amnistie et la grâce. En réalité, le nouveau Code pénal reprend presque mot pour mot les dispositions alors en vigueur sur l’amnistie et la grâce présidentielle et que l’on retrouve dans la loi du 26 septembre 1860, modifiée par la loi du 26 juillet 1906 et celle du 7 octobre 1994 (voir tableau ci-dessus). Ceci dit, s’agit-il vraiment d’un débat juridique ?

**TABLEAU COMPARATIF**

Nouveau Code pénal Vs Loi 26 septembre 1860, modifiée par les Lois des 26 juillet 1906 et 7 octobre 1994 (en vigueur)

A.- Amnistie

l’article 221 du Décret stipule:

« Le droit d’amnistie attribué au Chef de l’Etat ne s’exerce que dans les cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, de l’Etat et de la Paix publique. Il ne s’applique pas dans les cas de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

L’amnistie peut être prononcée soit avant, soit après les poursuites et même après les condamnations par défaut.

Dans l’article 3 de la loi du 26 septembre 1860 modifiée par celle du 26 juillet 1906 et celle du 7 octobre 1994 il est prévu que:

« le droit d’amnistier accordé par la Constitution au Chef de l’Etat ne s’exerce qu’en matière politique, c’est-à-dire dans tous les cas de crimes et délits tendant à troubler l’Etat et des crimes et délits accessoires tels que définis par le Code Pénal

L’amnistie peut être prononcée soit avant, soit après les poursuites et même après les condamnations par contumace»

Article 222 du Décret

L’amnistie efface les condamnations prononcées. Elle entraine, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice sur sursis qui avait pu lui être accordé lors d’une condamnation antérieure.

L’amnistie fait cesser toutes poursuites contre les personnes inculpées, prévenues ou accusées, et même les personnes condamnées par défaut, sauf les droits des tiers auxquels il n’est point porté préjudice et qui ne pourront être discutés que devant le Tribunal de Première Instance.

Article 223 du Décret

L’amnistie du fait principal efface la criminalité de toutes les infractions qui y sont liées.

Elle profite aux complices comme aux auteurs des faits amnistiés et met à néant toutes les condamnations pécuniaires obtenues par la partie publique.

Elle met à l’abri de la peine de la récidive les personnes qui ont pris aux faits pour lesquels l’amnistie aura été prononcée. Elle emporte  réhabilitation de ces personnes.

Article 224. L’amnistie ne préjudicie pas aux tiers.

Articles 6 et 7 de la loi du 26 -09-60

Article 6.- L’amnistie fait cesser toutes poursuites contre les inculpés, les prévenus, les accusés et même les condamnés par contumace, sauf le respect dû aux droits des tiers auxquels il n’est point porté préjudice et qui ne pourront être discutés que devant les tribunaux civils.

Article 7.- L’amnistie du fait principal détruit à la fois la criminalité de tous les délits accessoires. Elle profite aux complices comme aux auteurs des faits amnistiés et met à néant toutes les condamnations pécuniaires obtenues par la partie publique.

Elle met à l’abri de la peine de la récidive les individus qui auraient pris part aux faits pour lesquels l’amnistie aura été prononcée et dispensera ceux-là de la réhabilitation qu’elle représente et dont elle tient lieu.

B.- Grâce présidentielle

Article 216 du Décret

La grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine.

Elle fait rentrer la personne condamnée dans ses droits civils et politiques en faisant cesser immédiatement la peine quelle qu’elle soit, ou toutes poursuites déjà commencées par le Ministère Public en exécution de la condamnation prononcée.

Article 217

La personne graciée ne peut exiger le remboursement de ce qu’elle a payé, de dommages et intérêts acquittés ou de frais d’immeubles perçus par les tiers.

Article 218

La grâce ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction, aux intérêts civils des tiers ou aux droits par eux acquis.

Article 4 de la loi du 26 septembre 1860

La grâce fait rentrer le condamné dans ses droits civils et politiques, en faisant immédiatement cesser la peine quelle qu’elle soit, ou toutes poursuites déjà commencées par le Ministère Public en exécution de la condamnation prononcée.

Mais elle ne préjudicie nullement aux intérêts civils des tiers et aux droits par eux acquis.

Le gracié ne peut exiger le remboursement de ce qu’il a payé ni aucune restitution de frais, de dommages intérêts acquittés ou de frais d’immeubles perçus par les tiers.

Comme on peut bien le comprendre, la nouvelle formulation de l’article 221 n’accorde aucunement la possibilité à un Chef d’Etat d’amnistier un dilapidateur des fonds publics. Le droit d’amnistie ne s’exerce que dans les cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Il ne s’applique pas dans les cas de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre.

Ceux qui prétendent que le terme intérêts fondamentaux est quelque peu vague et pourrait cacher d’autres motivations ont l’obligation de se référer à l’article 608 du Code qui définit clairement les intérêts fondamentaux de la nation.

Article 608 : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre, de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en Haïti et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel».

On s’en remet à leur goût de raison pour une compréhension saine de ces dispositions légales qui n’ont fait que reprendre la législation en vigueur sur l’amnistie. Au sujet de la grâce présidentielle, contrairement à ce qui est dit, il n’y a aucune nouveauté. La grâce fait rentrer le condamné dans ses droits civils et politiques comme la loi du 26 septembre 1860 l’avait déjà prévu. Car si le Code Pénal édicte les règles concernant l’amnistie et la grâce présidentielle, c’est le Code de Procédure Pénale qui établit les conditions et les modalités suivant lesquelles le Chef de l’Etat accorde l’amnistie et la grâce.

En conclusion, les anciens membres de la Commission présidentielle réitèrent qu’ils n’entendent nullement s’engager dans la polémique. Ils apprécient l’intérêt porté au nouveau Code pénal. Nulle œuvre humaine n’étant parfaite, ils voudraient émettre le vœu que soit organisé un débat scientifique de haut niveau sur ce nouveau Code pénal.

Le remodelage social est une œuvre collective des gouvernants, des organisations de la société civile, des éducateurs sociaux et religieux. A l’œuvre donc tous ensemble pour la réformation du Code pénal vers une société plus juste !

Port-au-Prince le 19 juillet 2020

Anciens membres de la Commission Présidentielle pour la réforme de la justice

Jean Joseph EXUME………………………………………………….……

Sibylle THEARD MEVS……………………………………………..……

René MAGLOIRE…………………………………………………………

Jean VANDAL……………………………………………………………..

Williams ALLONCE……………………………………………………….

Florence MATHIEU…………………………….…………………………

Edwin COQ……………………………………..…………………………

Source: Le Nouvelliste

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