Le secteur touristique se relève très lentement
Un peu plus de cinq mois après l’épisode peyi lòk, ayant valu le retour d’Haïti sur la liste noire du tourisme mondial et des tour-opérateurs, l’industrie touristique a toutes les peines du monde à se refaire une santé. Malgré quelques légères éclaircies, le taux d’occupation des chambres d’hôtel reste en berne, les réservations de billets d’avion ne décollent pas…
« La situation est encore très fragile », résume la ministre du Tourisme, Marie-Christine Stephenson, jointe par téléphone par la rédaction pour un point complet sur l’évolution de la situation dans l’industrie touristique, des mois après l’opération peyi lock qui a eu des effets dévastateurs pour le secteur.
La ministre en a profité aussi pour effectuer un retour sur son passage à la tête du ministère de la rue Légitime, qui n’a pas été de tout repos.
« Depuis mon arrivée à cette date, il y a eu une grosse perte pour l’industrie touristique […] On a eu le « travel warning » qui est passé à 4, de gros chocs pour l’industrie avec des taux d’occupation [de chambres d’hôtel] extrêmement bas, proches de zéro, dans certaines régions et globalement entre 3 et 4% en février », concède la titulaire du ministère du Tourisme, pour qui la situation demeure fragile et mitigée, par régions.
A en croire la ministre Stephenson, Jacmel souffre encore beaucoup, le Sud aussi, à cause de la situation à Martissant. A Port-au-Prince aussi, l’hôtel Le Plaza souffre énormément des manifestations. « L’amélioration qu’on a connue sur la Côte des Arcadins et au Cap-Haïtien ne se traduit pas encore à Port-au-Prince », reconnait Marie-Christine Stephenson, attribuant cette amélioration, observée aux mois de mai et de juin, à des dispositions prises par le gouvernement sur l’axe routier Port-au-Prince-Côte des Arcadins.
Par ailleurs, la ministre Stephenson estime que l’avis de voyage du Département américain qui est descendu à 3 constitue un bon signal pour le secteur.
En effet, la diplomatie américaine a émis, le mardi 11 juin 2019, un avis de voyage niveau 3 qui recommande à ses ressortissants de « revoir » leurs projets de voyage en Haïti, en raison de crimes, de troubles civils et d’enlèvements, le ramenant un cran en-dessous du niveau 4, « Ne pas voyager ».
Pour Richard Buteau, à la tête d’un groupe propriétaire de quatre hôtels établis dans la zone métropolitaine, « on n’est pas encore sorti de l’auberge ».
Malgré l’abaissement du niveau d’alerte pour Haïti par les Etats-Unis, l’hôtelier, contacté par la rédaction, dit ne pas constater encore d’amélioration substantielle car, poursuit-il, les touristes, de même que les tour-opérateurs, planifient un an à l’avance leurs vacances.
Et, pour cause, le mois de juin qui vient de s’écouler, comparé à l’année dernière, montre combien le sous-secteur hébergement est sur le déclin, du point de vue de Buteau.
« On a descendu toute la pente […] En 2018, la diaspora était quand même rentrée et le taux d’occupation des chambres tournaient autour de 40 à 50% contre 10% cette année », se désole Richard Buteau confiant que les hôtels faisant partie de son groupe accusent un taux d’occupation variant entre 10 et 15%.
Une source qui connait assez bien le secteur a fait savoir au Nouvelliste que le taux d’occupation des chambres à Decameron pour le week-end écoulé tournait autour des 40%, mais pour ce début de semaine, il est redescendu à 10%.
« Sur la Côte des Arcadins, pour le mois de juin, on compte deux tiers de clients en moins par rapport à l’année dernière », poursuit cette source dénonçant les routes bloquées à répétition et pointant du doigt également l’incapacité des institutions hôtelière à payer leurs employés.
« Les taux de réservation dans le secteur des locations de voiture ont également chuté », note Raina Forbin, présidente de l’Association touristique d’Haïti (ATH), qui se dit contente du passage du niveau d’alerte de 4 à 3, même si les activités dans le secteur ne reflètent pas ce changement.
« Les activités n’ont pas réellement repris […] Au niveau des arrivées à l’aéroport international Toussaint Louverture, on constate moins de vols vers Haïti […] Dans les provinces, ça va tout aussi mal », énumère la présidente de l’ATH saluant au passage le retour d’Haïti sur les plateformes en ligne même si les réservations pour l’instant « ne suivent pas ».
« Le mois de juin n’a pas été bon », balance Raina Forbin, qui croise les doigts pour une éclaircie en ce mois de juillet et qui parie sur le mois d’août, coïncidant avec la saison des fêtes champêtres.
« On augure quand même un été relativement chargé, attrayant pour la diaspora en particulier […] Avec l’abaissement de ce « travel warning », on est revenu sur Expedia, sur les grands sites de vente en ligne », assure la ministre Stephenson, annonçant « pas mal de programmations culturelles » pour la période estivale.
« On espère que l’été va pouvoir être mieux parce que la diaspora est vraiment en attente », avance Marie-Christine Stephenson.
Loin de partager l’optimisme de la ministre, Marie-France Petoia, présidente de l’Association haïtienne des agences de voyages, n’y va pas par quatre chemins pour déclarer que le sous-secteur voyage se porte très mal.
« La diaspora ne veut pas rentrer. Les gens qui sont ici ne peuvent pas partir. Des deux côtés, les affaires ne marchent pas. C’est triste », lâche-t-elle laconiquement suppliant les autorités de mettre de l’ordre dans le pays.
« L’impact sur le trafic aérien pour cet été reste timide […] L’aéroport n’est plus ce qu’il était auparavant », tempère un professionnel de l’industrie sous le couvert de l’anonymat.
« C’est la diversification du produit touristique qui lui permet de se maintenir un peu mais la situation est fragile et très mitigée encore », admet la ministre Stephenson, arguant qu’un pan très dynamique dans le secteur demeure en attente d’une solution politique définitive qui aura un impact direct sur la sécurité.
« Les infrastructures touristiques sont là […] On a beaucoup plus de chambres d’hôtel qu’on n’en a jamais eues à la suite de la reprise de ces dernières années mais en même temps il y a tous ces avertissements qui empêchent le secteur de prendre tout son envol », souligne la ministre qui n’entend pas pour autant baisser les bras.
« De par son caractère transversal, le tourisme devrait être une priorité nationale », rappelle Raina Forbin, qui en a profité pour adresser un message de ralliement à la diaspora. « J’espère de tout cœur qu’ils ne nous lâcheront pas. »
Patrick Saint-Pré
Le Nouvelliste