Bientôt plus de sang pour les malades, si rien n’est fait
Le Fonds mondial qui finançait depuis plusieurs années les activités de collecte, de traitement et de distribution du service du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) a cessé cette subvention. Pour cause, le service est bancal, les employés n’ont pas perçu leur salaire depuis trois mois. L’État, qui était pourtant informé, n’a pas anticipé, a laissé des vides, des inquiétudes au point même que plus d’un s’interroge sur l’avenir du CNTS. Les parents des malades en quête de sang doivent désormais endurer un calvaire pour en trouver une pochette et affronter la mauvaise humeur des employés.
Le Fonds mondial a mis fin à la subvention du programme de renforcement de la sécurité transfusionnelle depuis décembre 2018. À travers ce programme, le Fonds mondial mettait à la disposition du ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), via le Programme national de sécurité transfusionnelle (PNST), des ressources financières pour les activités de collecte, de traitement et de distribution des produits sanguins. Ce financement se faisait à travers le PSI/OHMASS jouait le rôle de récipiendaire principal, assurant la gestion de ce fonds. Le PNST occupe la fonction de sous-récipiendaire (SR) avec pour mission l’élaboration des normes et des procédures techniques et administratives, tandis que la Croix-Rouge haïtienne (CRH), sous-sous-récipiendaire (SSR), représentait le bras opérationnel.
L’État n’a ni anticipé ni préparé à temps l’après-Fonds mondial
Cette interruption, bien que la décision était connue d’avance, laisse un Centre national de transfusion sanguine fragilisé. L’État n’a ni anticipé ni préparé à temps l’après- Fonds mondial. La Croix-Rouge haïtienne, de son côté, s’en est lavé les mains. « Dans un communiqué publié le 13 février 2019, la CRH a informé que le personnel du Programme national de sécurité transfusionnelle (PNST), affecté au CNTS, est sous la responsabilité et la supervision du directeur du PNST, le Dr Ernst Noël. » Joint par téléphone le mardi 19 mars, le directeur du PNST avance qu’il ignorait que le décret du 3 novembre 1986 réglant le prélèvement, la conservation et la distribution du sang humain et du plasma sanguin, qui a confié la gestion du CNTS à la Croix-Rouge, a été rapporté. Cela voudrait dire, selon le médecin, que la CRH gère encore le Centre national de transfusion sanguine.
Confusion sur qui gère actuellement le CNTS
Pour le président de la CRH, il ne fait aucun doute que la CRH ne se charge plus de ce dossier. « Nous pouvons toujours aider dans la promotion, la sensibilisation au don volontaire de sang. Mais nous ne pouvons pas aider dans les opérations. On ne dispose pas de budget pour le faire ni d’un personnel», a expliqué le Dr Guiteau Jean-Pierre lors d’une interview exclusive au journal le 19 mars dans son bureau à Maïs-Gâté. « Mettre du sang sûr à la disposition de la population est coûteux. Il y a un investissement massif à faire».
« L’État haïtien doit accompagner le ministère de la Santé publique pour la mise en branle du renforcement de la sécurité transfusionnelle », a-t-il ajouté, profitant pour esquisser l’historicité du service du CNTS. Au départ, il y avait des banques de sang établies dans certains hôpitaux. À ce moment, il existait la possibilité de faire le commerce du sang. Avec le décret de 1986, le MSPP a confié à la Croix-Rouge haïtienne le soin d’établir un Centre national de transfusion sanguine. Le bureau se trouvait à la rue des Miracles avant le tremblement de terre. Le CNTS est une entité du ministère de la Santé. Le MSPP avait mis à la disposition de la CRH des employés contractés par le Trésor public.
Avec la création du Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR) au cours des années 1990, le gouvernement américain a décidé de renforcer la sécurité transfusionnelle. Il y a entre trois et quatre ans depuis que le PEPFAR ne finance plus le programme. Les fonds ont tari. Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) a pris le relais, puis le Fonds mondial », a détaillé le spécialiste en santé publique, soulignant que les autorités du MSPP savaient que le Fonds mondial allait suspendre son financement. « C’était annoncé que cet argent allait tarir. Il y avait un reliquat à payer, on a dû accepter de prolonger pour trois mois», a-t-il ajouté, insistant sur le fait que le Fonds mondial ne finance plus les activités du Centre national de transfusion sanguine.
Le renforcement du CNTS est une obligation. Pour le médecin, il a fallu, dès la prise de connaissance du tarissement des fonds, lancer des mécanismes pour faire passer le personnel du centre sous le chapeau de l’État. « Nous devons tous travailler pour que cela se fasse. Je suis pour le renforcement de l’État. Je suis médecin, je ne peux que travailler pour le renforcement du système de santé de mon pays. Quelles que soient les décisions qui sont prises en vue du renforcement de système de santé, si cela va dans l’intérêt de mon pays, je ne peux que l’appuyer », a déclaré le président de la Croix-Rouge haïtienne.
Après le Fonds mondial, les employés dans la merde
On est mardi 19 mars. Il est près de 8 heures p.m. L’employée de garde au Centre national de transfusion logé au premier étage du building de la Digicel, à Turgeau, est entouré de gens qui viennent pour une demande de sang. Les nombreuses demandes ne lui importent guère. Elle plie bagages. « Mon service est terminé. Je ne reçois plus de dossier», répond-t-elle sur un ton hargneux. L’autre employé qui devait la remplacer a mis du temps, laissant des gens en quête de sang pour un proche dans l’inquiétude. Outre le problème de la disponibilité du sang, ils doivent désormais faire avec l’humeur des employés.
« On n’est plus sous la tutelle de la Croix-Rouge et on ne perçoit aucun salaire depuis décembre. On a eu une rencontre avec le ministre de la Santé, le Dr Marie Gréta Roy Clément, qui nous a promis de nous intégrer dans la fonction publique. On a reçu des lettres d’affectation, et plus rien », a raconté une employée sous le couvert de l’anonymat .
La position du MSPP
« C’est un dossier auquel le ministère accorde une importance particulière. Mais l’aboutissement d’un dossier de « nomination » ( l’intégration d’une personne dans la fonction publique ) répond normalement à tout un processus: le dossier doit être acheminé à la Primature ( via l’OMRH qui fait une étude de ce dossier). Après l’approbation du Premier ministre , ce dossier est retourné au MSPP et un formulaire rempli et signé par les responsables du ministère doit être envoyé au service concerné du ministère des Finances pour signature ( formulaire appelé communément feuille rose ) et, après un ensemble de procédures administratives, la personne recevra son salaire et, le cas échéant, des arriérés de salaire », a assuré le directeur général du MSPP, le Dr Lauré Adrien, affirmant que le ministère est très conscient du problème et que toutes les démarches administratives ont été faites.
Auprès de sources fiables, le journal a appris que le processus de nomination n’a pas encore démarré. L’ancien Premier ministre Jean-Henry Céant n’a signé aucune lettre de nomination pendant les six mois passés à la tête de la Primature. Elles expliquent que le processus est long et peut durer plusieurs mois. Tant que les procédures n’aboutissent pas, le ministère des Finances ne peut émettre aucun chèque. « Il s’agit d’un dossier de souveraineté nationale. L’État doit prendre ses responsabilités face à la population. L’État ne peut pas se désengager », a martelé notre source, expliquant que la sécurité transfusionnelle fait partie de la sécurité d’une nation. Ça doit être assuré par nos autorités.
Dans une lettre datée du 15 novembre 2018 adressée au Dr Guiteau Jean-Pierre, la ministre de la Santé a assuré au président de la Croix-Rouge haïtienne que le MSPP, vu la non-disponibilité des ressources qui doivent provenir du Fonds mondial, a pris les dispositions suivantes : poursuite du paiement du loyer au centre du CNTS; poursuite de l’acquisition des intrants et du matériel, des approvisionnements consommables; nomination du personnel. Cette lettre a aussi fait mention de l’acquisition des intrants afin de rendre disponible du sang sûr pour une valeur de 403 644 ,19 dollars américains.
Pour l’instant, nous apprend un responsable, les intrants sont disponibles pour traiter les produits sanguins. « Présentement, on n’a aucun souci. Mais demain n’est pas certain. Au plus haut niveau de l’État, les autorités doivent faire leurs les problèmes du Centre national de transfusion sanguine. « Si vous avez besoin de sang, il faut que l’État puisse vous garantir cet accès », a-t-il précisé.
Edrid St Juste
Le Nouvelliste