Lettre ouverte à la nation de Reginald Boulos

Chers concitoyens,

L’heure est grave. La nation est en péril. Le tissu social est déchiré. L’économie est en lambeaux. La République est fissurée dans tous ses compartiments politiques et institutionnels. L’insécurité a envahi nos rues et nos demeures, et l’inquiétude nos esprits. Rares sont les moments de notre histoire où le fondement de notre pays s’est retrouvé autant ébranlé. La crise est d’un caractère tellement inédit et d’une telle sévérité que chacun se demande avec anxiété : Quo Vadis, Haïti ? Où va Haïti ? Ki kote peyi a prale ?

La crise fait peur. Des Haïtiens de la diaspora à ceux vivant dans le pays, les préoccupations sont de tous ordres : L’enfant incapable ou empêché de se rendre à l’école. Les jeunes livrés à l’oisiveté chronique et sans perspective de meilleurs lendemains. La femme enceinte qui ne peut se rendre à l’hôpital. Le malade dans l’impossibilité d’obtenir des soins médicaux. La mère et le nourrisson affaiblis par la faim. Les foyers durablement privés d’eau, de nourriture et d’électricité. Se nourrir et se loger sont encore plus difficiles et demeurent, plus qu’avant, des luxes inabordables pour la majorité de la population. Ici, la vie n’est pas que chère ces temps-ci. Elle est comme devenue impossible.

Cette crise pluridimensionnelle met en lumière les limites du leadership politique et économique qui préside aux destinées de la nation. Elle révèle l’handicap de ces élites à bien cerner les causes profondes du drame social haïtien et à instituer un modèle de gouvernance et d’équité économique à même de garantir la mobilité sociale des jeunes par l’éducation et le travail, et de remédier aux multiples souffrances du peuple. Des souffrances qui ont trop duré et qui sont trop négligées.  Le peuple crie parce qu’il a faim. Le peuple hurle parce qu’il exige des opportunités pour tous. Le peuple manifeste parce qu’il rejette ce système sociopolitique « peze souse », inhumain, mensonger, et faussement démocratique. Le peuple réclame le changement et n’acceptera rien d’autre. Nos élites dirigeantes et dominantes doivent se mettre à l’écoute et au service de la nation tout entière. La légitimité des revendications des masses l’exige. Le temps est mûr pour mettre à bas ce système inique, foncièrement criminel, et engager une révolution tranquille qui refondera la nation sur de nouvelles bases faites de justice sociale, d’éthique citoyenne et républicaine. Une nouvelle République édifiée à partir des idées de lumières, de progrès et d’humanisme. Sinon, nous périrons tous comme d’inutiles insensés, de vulgaires profiteurs, de vilains rentiers, et d’insensibles prébendiers antinationaux.

La solution à nos maux ne viendra pas du dehors. Le salut national réside dans le réveil citoyen collectif et dans l’effort conjoint de tous pour un nouveau départ. Il est urgent que des femmes et des hommes de bonne foi de la vie nationale se portent volontaires pour une médiation entre les différents secteurs antagoniques de la crise politique. Le dialogue multisectoriel s’impose comme une nécessite incontournable dans le contexte actuel de violentes agitations sociales et de forte polarisation politique. Il est grand temps que le président de la République sorte de sa posture conflictuelle pour tendre une main sincère et honnête à ceux qui le combattent et réclament vigoureusement son départ. Il est temps que nos leaders comprennent que l’avenir du pays et de sa jeunesse importe davantage que leurs ambitions politiques partisanes. Les acteurs de l’opposition ne doivent point assimiler les cris de rage d’un peuple dans la misère à une validation de leurs positions de refus systématique des règles du jeu démocratique.

La société civile élargie, les syndicats, les associations patronales et professionnelles, le secteur religieux, les instances politiques d’obédience diverse, doivent se dynamiser, comprendre que l’heure est au dialogue non seulement avec le pouvoir mais aussi entre eux. Ils doivent accompagner le peuple haïtien dans son éternel combat pour un mieux-être et un autre Haïti juste et prospère ; rejeter publiquement les déclarations incendiaires des anarchistes antirépublicains, notamment les actes violents venant de groupes armés et dirigés contre les demeures et les entreprises de paisibles citoyens. Le débarquement au pays de mercenaires étrangers équipés d’armes de guerre n’est pas pour rassurer les esprits. Ce fait, à la fois condamnable et surprenant, témoigne d’une volonté maléfique et ténébreuse à régner par la terreur et à davantage semer la panique dans nos rues et le deuil dans nos familles. La justice se doit d’instruire cette affaire en toute liberté et impartialité, et surtout avec sérieux et diligence. La nation attend d’en être édifiée.

Nous devons tous crier : halte là ! Le peuple a trop souffert de l’incivisme de ses élites, de l’impréparation et de l’aveuglement de nos politiques. Les protagonistes politiques de la crise sont comme deux « ploum » dans une gaguère qui, fatigués de se battre et incapables de vaincre l’adversaire, se retrouvent en panne d’initiatives gagnantes et porteuses d’avenir. Le gouffre dans lequel gît actuellement le pays est la résultante de ces déchirements perpétuels et sans grandeur entre ses fils et filles sous le regard amusé de l’étranger calomniateur. Le Chef de l’État doit tout entreprendre pour que le dialogue national se tienne dans les meilleurs délais dans l’honnêteté et avec civilité, ce, dans le respect des valeurs de liberté, de dignité et de fierté qui caractérisent notre nation. L’intérêt national bien compris, nous devons tous nous rendre à l’évidence que le temps de la diversion et des stratégies du dilatoire est révolu.

  1. Ce dialogue passe d’abord par des pourparlers entre le Chef de l’État et son Premier ministre aux fins d’harmoniser les rapports institutionnels entre ces deux hautes autorités, des rapports aujourd’hui ouvertement conflictuels. Ces discussions pourraient être conduites sous les bons offices des présidents des deux Chambres du Parlement.
  1. Je propose, en cas d’impasse dans les pourparlers, la formation d’une commission présidentielle chargée d’initier des négociations politiques entre les différents secteurs de la vie nationale. Cette commission sera constituée de tous les anciens Chefs d’État d’Haïti, et coordonnée par l’ex-président Ertha Pascale Trouillot. Les négociations entamées devront aboutir à une résolution définitive de la crise dans l’intérêt supérieur de la nation, des masses souffrantes et de la population en général.
  1. En cas de boycott systématisé et provoqué des initiatives proposées, et dans le dessein de toujours favoriser une solution institutionnelle, il reviendra ultimement au Parlement d’assumer ses prérogatives et de déclencher la procédure constitutionnelle de destitution d’un président défaillant, non soucieux de ses responsabilités de gardien de la paix, de la bonne marche des institutions et de la stabilité globale du pays.

L’avenir est aux Haïtiens patriotes qui disent non à la violence, à la déchéance sociale et économique de leur pays, et qui embrassent les valeurs de modernité, de prospérité, de paix, de justice et de réconciliation pour l’avènement de la Nouvelle Haïti.

Vivre Haïti !

Dr. Réginald Boulos

Entrepreneur / Citoyen engagé

Port-au-Prince

20 février 2019

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