Le gouvernement redonne au dollar vert ses lettres de noblesse
Sept mois après avoir pris un arrêté présidentiel pour consacrer la gourde comme la seule et unique monnaie de transactions commerciales sur tout le territoire, le gouvernement rapporte cet arrêté mais maintient l’obligation de libeller et d’afficher les prix des biens et services sur le territoire dans la monnaie nationale.
La décadence accélérée de la gourde par rapport au dollar américain rendait la situation économique du pays insoutenable. Du 1er mars à cette première semaine du mois d’octobre 2018, le taux de change est passé de 64 à 72,50 gourdes pour un dollar. Face à cette situation, le gouvernement est contraint de redonner au dollar de l’oncle Sam ses lettres de noblesse dans l’économie haïtienne en rapportant l’arrêté présidentiel du 1er mars dernier interdisant la circulation sur le territoire national d’autres devises que la gourde.
Selon l’article 1 de cet arrêté paru le 9 octobre dans Le Moniteur nous lisons : « Le présent arrêté porte obligation de libeller et d’afficher les prix des biens et services sur le territoire dans la monnaie nationale. » Le deuxième article stipule : « Les transactions de change s’effectuent à travers les institutions financières autorisées, conformément à la loi ».
« Aucun paiement d’une transaction au moyen de la gourde ne peut être refusé », a exigé l’article 3 de l’arrêté alors que l’article 4 indique que « des mesures coercitives seront prises pour faire respecter les présentes dispositions ».
Le plus important des articles de cet arrêté est l’article 5 : « L’arrêté du 28 février 2018, portant obligation de libeller et d’effectuer les transactions commerciales sur le territoire dans la monnaie nationale qui est la gourde, est rapporté ».
Il convient ici de rappeler les interdits de l’arrêté sur la dédollarisationdu 28 février 2018. Il disait dans son article 1 que « Le présent arrêté porte obligation de libeller les transactions commerciales sur le territoire dans la monnaie nationale ». Article 2. « La gourde est la seule monnaie qui a cours dans le pays. Toutes les transactions commerciales sur le territoire national sont exigibles dans la monnaie nationale. »
Dans l’article 3, le premier arrêté stipulait que « tous les contrats à titre onéreux conclus par l’État haïtien avec des tiers sont libellés et payés en gourdes, conformément aux lois de finances et qu’il était interdit de réclamer à quiconque le paiement en devises étrangères ou son équivalent en gourde pour des transactions dont le règlement effectue sur le territoire, selon l’article 4.
Dans l’article 5, l’article de l’ancien arrêté, le gouvernement était formel : « Les prix des biens et services sont obligatoirement et uniquement affichés et payés en gourdes ».
Comme pour montrer qu’il était résolu à faire appliquer l’arrêté du 1er mars, le gouvernement avait invité : « tous les citoyens à dénoncer et à porter plainte contre tout individu ou entreprise qui réclame le paiement en devise étrangère ou son équivalent en gourde suite à des transactions commerciales ou achat de biens ou services ».
Tout ceci n’est que l’histoire ancienne maintenant. Le gouvernement s’est ravisé et a rapporté l’arrêté du 28 février 2018 qui, selon plusieurs économistes, a déjà fait beaucoup de dégâts dans l’économie haïtienne.
Selon le président de la Chambre du commerce et de l’industrie d’Haïti (CCIH), Bernard Craan, dans une interview accordée au Nouvelliste mercredi : « C’est une bonne décision. L’arrêté de mars dernier avait provoqué beaucoup d’incertitudes. Il est sage que le gouvernement ait décidé de le rapporter. »
Pour sa part, l’économiste Etzer Émile a réagi en ces termes : « Ce nouvel arrêté est opportun et s’est révélé utile dans ce contexte de surchauffe du marché des changes. Il devrait pouvoir calmer un peu les anticipations de certains agents économiques qui étaient paniqués par le premier arrêté. Le premier arrêté avait renforcé les velléités de thésauriser en dollars et les rendre plus rares. Cela explique en partie la dégringolade ajoutée au déficit budgétaire de l’année fiscale écoulée et les déséquilibres au niveau de la balance des paiements ».
L’auteur de Haïti a choisi de devenir un pays pauvre, les 20 raisons qui le prouvent’’, a rappelé qu’il l’avait déjà dit : « Je le répète encore, le principe de monnaie unique est correct, cependant pour y arriver, un acte juridique ne suffira pas. Le combat pour atteindre la confiance dans la monnaie locale prendra du temps. Aucun acteur ne se sentira confortable de facturer, d’épargner ou de mettre des actifs dans une monnaie qui perd près de 15% de sa valeur annuellement. Donc, la gourde aura sa force quand la production haïtienne sera substantielle, quand les devises seront plus importantes par l’exportation et les investissements étrangers ».
Aujourd’hui, tous les indicateurs macroéconomiques sont au rouge. Le pays connait un déficit budgétaire de plus de 20 milliards de gourdes, un taux d’inflation compris entre 14 et 16%, une balance commerciale déficitaire de plus de 4 milliards de dollars et un taux de change de 72 gourdes 50 pour un dollar contre 64 gourdes pour un dollar en mars dernier.
La première décision du gouvernement de Céant était de créer une task force pour essayer de faire baisser les prix des produits de première nécessité en faveur des couches les plus vulnérables. Mais le tremblement de terre du 6 octobre dernier, qui a fait 17 morts et beaucoup de dégâts dans les départements du Nord, de l’Artibonite et du Nord-Ouest, semble capter le plus pour le moment l’attention du gouvernement.
Robenson Geffrard
Le Nouvelliste