Cité de Dieu n’est pas le paradis
Elle porte une robe noire, affiche un certain courage. Pour réconforter son petit frère d’environ dix ans, cette jeune femme -que nous appelons Rose*- frêle au regard parfois figé a décidé de cacher ses larmes. Au bout de plusieurs jours d’errance marqués par des arrêts au Champs de Mars et chez une amie quelque part à Martissant, elle sort de son silence. Sur Caraïbes Fm puis sur Magik 9, mercredi matin, elle raconte l’enfer à Cité de Dieu, son drame, la mort de sa mère, fauchée par balle, le samedi 9 juin, autour de 13 heures. Sa mère, une pauvre employée de restaurant au bas de la ville, profitant d’une accalmie au moment d’échanges de tirs entre les bandits de Armel et des policiers du BOID, a essayé de rentrer chez elle, sans savoir qu’elle allait se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Ma mère a été atteinte de projectiles. Quand j’ai vu le corps, j’ai pleuré. Lorsque j’ai essayé d’avancer pour le récupérer, un homme m’a retenu, arguant que cela tirait encore », confie Rose. Revenue sur place vers 5 p.m., Rose indique n’avoir pas trouvé le cadavre, appréhendant le fait que si ce sont les bandits qui ont enlevé le corps de sa mère, celui-ci finirait charcuté, démembré et livré en pâture aux porcs du littoral de Cité de Dieu. Elle dit n’avoir pas cherché à savoir si c’est la police qui a récupéré le cadavre de sa mère. Son instinct, explique Rose, la conduit au littoral, décrit comme un charnier à ciel ouvert, à trois minutes en voiture de la Primature, le bureau du Premier ministre au Bicentenaire. Elle affirme sans forcer sur les traits avoir vu des cadavres démembrés. Que les bandits brûlent souvent. « Je n’ai pas trouvé le corps de ma mère. Mon petit frère et moi, nous nous sommes résignés de ne pas pouvoir l’enterrer», explique la jeune femme, rapportant, dans la foulée, que ce sont 14 personnes qui ont été tuées le samedi 9 juin. « 14 personnes sont tombées ce jour-là. Des hommes et des femmes », dit-elle.
« J’ai vu trois hommes dans les parages du Théâtre national et les gens qui dénombraient les victimes ont indiqué que quatorze personnes sont mortes », poursuit-elle. Interrogée sur la véracité de ce bilan non officiel, non confirmé, non communiqué par la police, non confirmé non plus par des journalistes à cause du risque plus qu’élevé de se faire descendre en allant sur ce terrain contrôlé par des assassins, elle maintient son témoignage.
Un agent de la BOID est tombé aussi ce jour-là. La police n’a pas confirmé cette information. Ni celle en rapport à la mort de sa mère que nous appelons J.D. Pour Rose, la police ne sait pas nécessaire ce qui se passe parce que leurs rares incursions à Cité Dieu, un dédale de corridors, ne dépassent pas les limites du marché.
Cette jeune femme, avec un luxe de détails, dresse aussi un portrait de Armel, un nouveau seigneur de guerre qui se vante d’être à la fois juge, avocat et morgue. Ce bandit distribue à la population du riz volé de camions empruntant l’entrée Sud de Port-au-Prince. Ceux qui refusent de recevoir le riz volé sont taxés d’indicateurs de la police. Il n’en faut pas plus pour se faire descendre avec cette étiquette.
Rose indique que le gang dispose d’armes lourdes et d’armes équipées de télescope. Elle confie avoir vu une dizaine de jeunes femmes, armées, encagoulées dans les rangs du gang de Armel. La population du littoral est prise en otage. Ceux qui laissent Cité de Dieu perdent leurs maisons, témoigne cette jeune femme. Ce sont des maisons meublées que Armel distribue à ses comparses, explique-t-elle. Rose dont le père est mort lors du séisme du 12 janvier 2010, veut partir, laisser Port-au-Prince, retourner vivre avec les siens en province. Loin de cet enfer, des bandits armés, du charnier à ciel ouvert, de ces morts sans sépultures que les chefs ne comptent pas, ne savent pas ou ne veulent peut-être pas compter…
*Rose est un prénom d’emprunt
Source LE NOUVELLISTE