Par quoi ou par qui sera financé le budget des Forces armées d’Haïti ?
Source Riphard Serent, MPA / Economiste / riphardserent@gmail.com | Le Nouvelliste
La défense nationale a toujours été un facteur institutionnel clé dans la préservation des ressources naturelles, le renforcement de la stabilité sociale, la sécurisation et la consolidation des grandes valeurs économiques, dans le renforcement de la résilience économique et environnementale d’un pays et même, dans un certain sens, dans la protection des investissements.
C’est la raison pour laquelle, dans beaucoup de pays, le budget alloué à la défense nationale ou encore au fonctionnement de l’armée représente une part importante du budget national. Selon l’hebdomadaire US Defense News cité par l’hebdomadaire Jeune Afrique, les dépenses militaires explosent en Afrique et devraient atteindre les 60 milliards de dollars dans les 5 à 10 prochaines années.
Aujourd’hui, la balle est ambitieusement lancée en Haïti, conformément aux prescrits de la Constitution. Le président donne le ton concernant la remise sur pied des forces armées du pays dissoutes depuis plus de 20 ans, en dépit de la distance de la communauté internationale à l’égard d’une telle initiative. En analysant la structure de l’économie haïtienne, les enjeux ou les faiblesses des finances publiques, les maigres ressources du ministère de la Défense et l’évolution des dons officiels au cours de ces 5 dernières années, la grande question que tout économiste pourrait se poser : par quoi ou par qui ces forces armées seront financées ? Plus loin, quels en seront les impacts sur l’économie du pays ?
En République dominicaine, tout près de nous, par exemple, les autorités ont mobilisé pour l’année 2017 plus de 19 milliards de pesos dominicains, soit environ 414 millions de dollars américains, pour la défense nationale. Cette enveloppe représente à peu près 3% du budget dominicain et 0,5% du produit intérieur brut (PIB) du pays.
Ainsi, la République dominicaine dépense environ 40 dollars américains par tête d’habitant pour la défense nationale, soit à peu près le même montant qu’on dépense en moyenne dans le continent africain. Alors qu’Haïti, jusqu’ici, dispose d’environ $0,70 par tête d’habitant pour la défense nationale, si l’on veut croire que le budget du ministère de la Défense pour l’exercice en cours qui ne dépasse même pas 520 millions de gourdes, soit environ 8 millions de dollars américains.
Nos recherches sur les dépenses militaires dans le monde montrent que ces dépenses par tête d’habitant varient entre $10 à $50 pour les pays à revenu faible ou intermédiaire faible et entre $50 à $150 pour les pays à revenu intermédiaire élevé. Tandis que pour les pays à revenu élevé, le budget alloué à la défense nationale par tête d’habitant varie entre 500 à 2000 dollars américains.
Si Haïti veut rentrer véritablement dans ce schéma de remobilisation des forces armées et suivre la tendance observée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire faible, en termes de coût de fonctionnement de ces forces par tête d’habitant, on devrait multiplier le budget du ministère de la Défense au moins par 10 dans les années à venir.
À l’heure de cette remobilisation des Forces armées d’Haïti et dans ce contexte de contrainte budgétaire où les recettes de l’État ne peuvent même pas couvrir 70% des dépenses, où le taux de pression fiscale est très faible (12.7%), un ensemble de questions doivent se poser pour analyser l’initiative de cette remobilisation, sa faisabilité et sa durabilité :
1- Par quoi ou par qui le budget de ces Forces armées d’Haïti sera financé ?
2- Quelles seront les alternatives, les politiques ou les approches des autorités pour mobiliser des fonds devant financer les forces armées du pays à partir du budget du ministère de la Défense ?
3- Assisterons-nous dans le prochain budget 2018-2019 à de nouvelles augmentations de taxes pour financer le budget des Forces armées d’Haïti, ou du moins y aura-il très bientôt une lutte véritable contre la corruption en Haïti ou contre la contrebande ainsi qu’une meilleure gestion des finances publiques en vue de mobiliser plus de fonds et rattraper les manques à gagner ou les pertes de recettes fiscales au bénéfice du budget de ces forces?
4- Considérant que la remobilisation des Forces armées d’Haïti s’inscrit dans le cadre d’une initiative de politique publique, les autorités ont-elles déjà procédé à une analyse coût-bénéfice (ACB) de la remobilisation des Forces armées d’Haïti, en fonction de certains paramètres socioéconomiques avant même l’implémentation d’une telle décision ?
Un ensemble de questions importantes qui doivent surgir sur cette remobilisation des Forces armées d’Haïti pour lesquelles on espèrerait avoir les réponses dans un avenir proche.
À suivre…