Haïti – Économie: Investiture d’un nouveau premier ministre face à des défis socio-économiques de taille
Comme toute la presse en parle, le président provisoire Jocelerme Privert a nommé et ensuite procédé ce weekend dernier à l’investiture d’un nouveau premier ministre à la tête de la primature, conformément à l’accord politique du 5 Février dernier, cet accord qui n’avait malheureusement pas mesuré les enjeux sociaux et économiques qui attendent un gouvernement provisoire et qui pourraient avoir de graves conséquences sur l’avenir d’un tel gouvernement.
En fait, si pour certains secteurs avisés, les tâches qui incombent un gouvernement provisoire ne vont pas au-delà de la poursuite du processus électoral, d’autres secteurs, notamment ceux des couches les plus défavorisées ont des attentes bien différentes et très ambitieuses qui reflètent leur situation de pauvreté, de misère et leur vulnérabilité face à l’insécurité alimentaire. Il faut rappeler que cette dernière risque de toucher près de 5 millions de personnes dans les mois à venir si on perd la campagne agricole de printemps.
Si la politique générale du premier ministre est ratifiée au parlement, suite à un consensus politique avec les acteurs concernés, les défis socio-économiques qui attendent ce nouveau gouvernement provisoire sont vraiment de taille et ne manqueront pas de susciter des débats au sein de la classe politique, en dehors des préoccupations pour la poursuite du processus électoral. Le malaise de plusieurs économistes nationaux et avisés qui réfléchissent sur la situation réside dans le fait qu’il n’y a vraiment pas moyen de résoudre dans 120 jours les problèmes socio-économiques majeurs que confronte le pays, contrairement aux attentes d’une bonne partie de la population qui continue de végéter dans la misère et qui espère un apaisement social.
En fait, si on avait besoin de quelques mois pour constater une inflation à deux chiffres dépassant maintenant les 13%, la dégringolade de la gourde par rapport au dollar américain et la montée vertigineuse du nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire, il nous faudra bien sur des années pour définir et implémenter des politiques publiques viables dans tous les secteurs porteurs du pays et apporter des solutions durables face à ces problèmes. Nous ne devons pas nous faire d’illusions ; un gouvernement provisoire dans 120 jours et dans cette conjoncture précaire ne peut pas améliorer le pouvoir d’achat des ménages haïtiens, soit en réduisant l’inflation ou en créant des emplois et augmenter les revenus dans l’économie. Un gouvernement provisoire dans 120 jours ne peut pas contenir durablement le cours de la gourde par rapport au dollar américain, il ne peut pas non plus améliorer l’accès à l’eau potable, à l’énergie et réduire le nombre de personnes vivant en insécurité alimentaire ou encore éviter, à travers des mesures durables, que ces 5 millions de personnes tombent en insécurité alimentaire si la campagne de printemps ne réussit pas.
Tout ceci pour dire clairement que l’on ne peut pas attendre grand-chose sur le plan économique pendant soit disant 120 jours d’un gouvernement provisoire, car les défis sont vraiment de taille, d’autant plus que le président Privert était clair sur les 4 grands axes prioritaires sur lesquels est fondée sa présidence, des éléments qui n’ont rien à voir avec des questions de palliatifs économiques, pendant que les incertitudes politiques pèsent lourdement sur l’avenir économique du pays.
Il faut dire que des demain nous serons évidemment au beau milieu de l’exercice fiscale 2015-2016, donc les prévisions qui ont été fixées dans le budget en cours sont dans l’eau et on risque de connaitre le taux de croissance le plus décevant depuis 2010 ; il n’y a presque pas d’investissements dans l’économie, pas de grandes activités économiques et la consommation devrait en principe baisser en raison de cette instabilité inquiétante des prix dans l’économie qui échappe au control de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et qui continue d’empirer la vulnérabilité des personnes les plus marginalisées.
Riphard Serent, M.P.A (Policy)
Economiste
Radio Vision 2000