« Port-au-Prince, dimanche 4 janvier » : un autre regard sur Haïti
Amoureux du roman de Lyonel Trouillot Bicentenaire, où la jeunesse manifeste pour renverser Aristide en 2004, François Marthouret l’a porté à l’écran.
Source lepoint.fr
Comment François Marthouret, le grand acteur que l’on sait théâtre, cinéma, télévision (connu du grand public pour son rôle d’ex-mari de Julie Lescot) et réalisateur, a-t-il croisé le destin d’Haïti ? Au point de se lancer dans l’aventure d’un film en partie tourné sur place ? Une seule réponse : son coup de foudre pour un roman : Bicentenaire de l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot. L’histoire de ces deux frères que tout oppose se déroule dans une période charnière d’Haïti : l’année 2004.
Aristide, prêtre défroqué devenu président puis tyran, est toujours au pouvoir en cette année du bicentenaire de la révolution qui a fait d’Haïti, en 1804, la première république noire indépendante. Mais comment fêter les idéaux de liberté de Toussaint Louverture et de Dessalines quand on vit sous la dictature ? La jeunesse de Port-au-Prince ne l’entend pas de cette façon, et manifeste, bravant les « Chimères », bandes armées au service du pouvoir, pour réclamer le départ d’Aristide. Qu’elle obtiendra. À quel prix ? Lequel des deux frères, Lucien, manifestant pour la liberté, ou Ezechiel, dit Little Joe, délinquant devenu membre des Chimères, en sortira vivant ?
« Je ne connaissais pas Haïti , j’en avais une image à la fois mythique et terrible, confie Marthouret, mais après avoir lu ce livre, il me semblait intéressant de faire découvrir au cinéma la révolte, la lutte d’une jeunesse qui partage au fond les mêmes enjeux, dans un contexte différent, que celle du Maghreb, de la Chine ou du Québec, et dont on ne sait rien en Europe. »
Danser avec l’épicier de Port-au-Prince
Port-au-Prince, dimanche 4 janvier s’ouvre sur ce qu’on ne montre jamais : la beauté de la capitale haïtienne quand l’aube s’éveille, et même sur le bidonville qu’habitent les deux frères : étudiant sage, Lucien vient d’obtenir une bourse pour poursuivre ses études en France et reçu son billet d’avion. Ezechiel, lui, envoie les livres en enfer, et construit le sien dans la délinquance, proie parfaite des bandes armées qu’Aristide, à l’instar de ses prédécesseurs Duvalier et leurs Tontons Macoutes, a recruté à son service. Deux mondes d’emblée s’opposent, l’éducation et la réflexion contre la violence, l’argent gagné au jour le jour sans foi ni loi, deux mondes nés sous un même pauvre toit et du même ventre : celui d’Ernestine, la mère devenue aveugle mais pas au gâchis de la transmission des valeurs profondes. Le roman de Lyonel Trouillot se déroulait en une seule journée, le film, lui, plante les univers et développe l’action en créant des épisodes et en s’installant sur deux jours, tendus vers ce dimanche de manifestation.
Dans son trajet pour s’y rendre, Lucien (Emmanuel Vilsaint, comédien haïtien vivant à Paris) fait halte chez le médecin et son épouse dans une belle demeure bourgeoise où il donne des cours à leur enfant gâté. Puis chez l’épicier, un des plus beaux personnages du roman, et l’un des plus beaux moments du film aussi, où l’Haïtien Daniel Marcelin donne tout son talent à danser sur les vieux airs d’un Port-au-Prince disparu. Malgré des faiblesses de casting ici et là, de dosage des scènes et de rythme, ce film est à voir. Pour la puissance de certaines images, des paysages jusqu’aux intérieurs les plus modestes, pour les rires et l’énergie, pour ce regard simplement à hauteur d’homme, que l’on ne pose jamais sur une île condamnée à vivre sous le terme de « maudite ». On s’étonnera de l’accent plus français que créole de certains comédiens ? Mais Little Joe, le formidable petit frère voyou est haïtien, le réalisateur l’a découvert en visitant des associations pour jeunes en difficulté en Guadeloupe, et y a recruté toute la bande d’amateurs !
Je pleurais de n’être pas Kubrick
Lyonel Trouillot ne se mêle en rien du scénario, librement adapté de son livre (et cosigné notamment par Peter Kassovitz et Marc Guilbert), mais ouvre au réalisateur tout un réseau d’amitiés, et son centre culturel, pour faciliter la préparation du tournage. Marthouret vient repérer début 2012 et tourne en lire la suite sur lepoint.fr