Haïti/Santé – Choléra en Haïti: l’ONU alerte sur la détérioration de la situation
Le centre de traitement du choléra dans le quartier Carrefour à Port-au-Prince, le 10 décembre 2014. AFP PHOTO/Hector RETAMAL
Source Stefanie Schüler | rfi.fr
Avec près de 740 000 malades et plus 8 800 morts depuis 2010, l’épidémie de choléra en Haïti est l’une des pires au monde. Depuis plusieurs mois, le nombre de nouvelles infections est en forte hausse. La raison : beaucoup d’ONG ont quitté le pays, des centres de traitement ont fermé alors que débute dans quelques semaines la prochaine saison pluvieuse. Face à ces chiffres alarmants, l’ONU tire la sonnette d’alarme. Entretien avec Pedro Medrano, coordinateur principal de l’ONU pour la réponse choléra en Haïti.
RFI : L’épidémie de choléra connait une nette recrudescence en Haïti. Les Nations unies ont recensé 11 721 nouvelles infections et 113 morts rien qu’entre le 1er janvier et le 28 mars de cette année. Et les perspectives pour les prochains mois ne sont guère plus optimistes. A quoi est due cette nouvelle et forte hausse de cas de choléra dans le pays ?
Pedro Medrano : Il y a deux raisons principales. La première est la saison pluvieuse. Il y a toujours une hausse des cas durant cette saison. Durant les huit premiers mois de l’année dernière, il y a eu mille nouveaux cas de choléra par mois. Après ces huit mois, le taux a grimpé à cinq mille nouveaux cas par mois. Ce taux de nouvelles infections n’a pas baissé depuis. Cela fait mille nouveaux cas chaque semaine. L’autre raison, c’est que Haïti a la couverture la plus basse en infrastructures sanitaires et eau potable de toute la région. Et le choléra est principalement transmis par la nourriture et l’eau. Plus d’un tiers de la population vit sans sanitaire, et moins de la moitié a accès aux soins médicaux. Le choléra est très lié à la pauvreté.
Mais comment expliquer qu’il y a cette recrudescence maintenant ?
Parce que nous avons moins de ressources. Parce que le choléra en Haïti n’est pas considéré par la communauté internationale comme une urgence. Pour nous, c’est inacceptable. N’importe quel pays avec plus de 30 000 nouveaux cas de choléra par an considérerait cette situation comme une urgence. Comme il n’y a pas d’enveloppe humanitaire, nous ne pouvons plus gérer ni le traitement ni la prévention.
Vous dites qu’il n’y a pas suffisamment de ressources financières de la part de la communauté internationale. Comment ce manque de moyens se traduit-il concrètement sur le terrain ?
C’est simple. Habituellement nous avons des équipes mobiles, des experts en eau potable, en installations sanitaires, en soins. Nous avons des centres de traitement du choléra. Nous avons des partenaires sur le terrain. Quand nous avons plus de 200 centres de traitement de choléra, nous pouvons traiter les malades et même prévenir l’épidémie. Mais sans moyen, il n’y a plus de partenaire. Et désormais il nous est parfois même difficile de soigner correctement les malades qui arrivent encore à un centre de traitement.
Selon vous, quelles sont les mesures à prendre concrètement pour stopper cette recrudescence ?
Nous avons besoin de choses simples : des perfusions, du sel, des antibiotiques. Aux médecins cubains j’ai demandé par exemple des pastilles de purification de l’eau. Ce sont des mesures d’urgence. Après, nous devons faire des efforts sur prévention : les vaccins peuvent jouer un rôle important. Nous prévoyons de vacciner 300 000 personnes cette année. Ce n’est pas une solution, mais cela peut aider parce que ces personnes seront immunisées pour les quatre années à venir. Toutes ces mesures ne sont ni compliquées ni chères.
En même temps nous devons renforcer la capacité du gouvernement. Parce que la communauté internationale a trop investi dans des organisations internationales et des ONG locales. Mais à long terme Haïti a besoin d’un système de santé, d’eau potable et d’infrastructures sanitaires. Construire ces infrastructures d’avenir et permettre à Haïti d’être au même niveau que les autres pays de la région va prendre dix ou quinze ans. D’ici là, nous allons devoir gérer de nouveaux cas de choléra parce que le pays est très faible. Et donc nous avons besoin d’interventions immédiates.
Pedro Medrano, dans votre rôle de coordinateur de l’ONU, vous êtes actuellement en tournée pour demander de l’aide aux pays donateurs. Une tournée qui vous a déjà amené à Cuba, en Suisse et en Autriche, et là vous êtes donc à Paris. Qu’attendez-vous concrètement de la France ?
Je pense que la France peut jouer un rôle très important pour renforcer les capacités du gouvernement haïtien dans le secteur de la santé et des infrastructures sanitaires. Mais ce qui est peut-être encore plus important, c’est de continuer à mobiliser sur le choléra en Haïti. Il est inacceptable d’avoir un pays avec 30 000 nouveaux cas de choléra par an sans obtenir l’attention de la communauté internationale.
Haïti est depuis plusieurs mois secoué par une grave crise politique. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Michel Martelly, aucun scrutin électoral n’a été organisé. En conséquence, le pays n’a aujourd’hui plus de Parlement, plus d’élus locaux. Un véritable marathon électoral doit avoir lieu d’ici la fin de l’année, même si certains doutent de la faisabilité du calendrier qui a été fixé. Est-ce que cette incertitude politique joue un rôle dans vos efforts de mobiliser des pays donateurs de s’engager en Haïti ?
Il n’y a aucun doute, ça n’aide pas. Parce que pour la communauté internationale il est extrêmement important d’avoir des institutions politiques et un gouvernement stable. Pourtant, je pense que cela ne devrait pas être une excuse. Nous sommes face à une crise humanitaire. Je ne peux pas accepter qu’à cause d’une crise politique nous ne prêtions pas d’attention à ceux qui en souffrent. C’est la double peine. Les victimes ne méritent pas ça. Parce que ce sont les plus pauvres qui sont les plus touchés.
Le choléra avait disparu d’Haïti pendant 150 ans avant de frapper le pays en 2010, après le tremblement de terre. Plusieurs études ont confirmé que l’épidémie a été importée en Haïti par des casques bleus népalais, dont les déjections avaient pollué une rivière au nord de Port-au-Prince. Trois plaintes ont été déposées contre les Nations Unies. Mais l’ONU se réfugie derrière son immunité. Est-ce que l’immunité veut dire l’impunité de l’institution et du coup, l’injustice pour les victimes ?
Merci pour cette question. Laissez-moi clarifier ceci lire la suite sur rfi.fr