On tue à Canaan
Déjà des dizaines de personnes ont été exécutées dans le cadre d’un conflit opposant un présumé chef de gang prénommé Valès à un habitant de Canaan 50 (Désilio est son prénom). Renaud, qui s’est marié il y a juste un mois, est la dernière victime de ce Valès, défiant l’autorité, qui tue selon son humeur. 54 personnes seraient déjà assassinées ou portées disparues d’octobre 2018 à aujourd’hui.
Un panneau de circulation sur la route nationale numéro 1 indiquant une limite de vitesse de 50 km/h sert d’adresse. Comme il faut entrer par là, les habitants dénomment la zone Canaan 50. Après Canaan I, II et III, des gens se sont réfugiés dans cette partie de ce vaste terrain déclaré d’utilité publique par le feu président René Préval. A la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010, ils sont nombreux à avoir jeté leur dévolu sur « Canaan 50 ». D’importants investissements ont été engagés pour former ce qui est devenu le plus grand bidonville formé après le séisme. Aujourd’hui, ils sont aussi nombreux à avoir déjà abandonné résidences, boutiques, véhicules…
Un conflit pour le contrôle des territoires est à la base de cette situation. Valès, ainsi connu, qui habite « Lanmè Frape », à une dizaine de kilomètres de Canaan 50, tue pour le plaisir. Selon des riverains, ce présumé chef de gang adore tuer et veut avoir le contrôle de Canaan 50, « dirigé » par Désilio, l’un des premiers habitants du quartier. Souhaitant mettre Valès hors d’état de nuire, un ingénieur civil, résident du quartier, a eu l’idée d’organiser une réunion à cet effet. Des espions de Valès prenaient part à la rencontre à l’insu des organisateurs. Dans la soirée, l’ingénieur civil et son épouse sont abattus. La plupart des personnes qui avaient pris part à la fameuse réunion sont abattues les jours suivants.
Selon des habitants, depuis cette fameuse réunion, Désilio est devenu l’ennemi numéro un de la bande à Valès. Et toutes les personnes proches de Désilio ou qui habitent le même quartier que lui sont considérées comme ennemis déclarés. Il suffit de se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. « Deux jeunes garçons qui rendaient visite à leurs parents dans la zone ont été exécutés par ce gang il y a quelques mois », indique un riverain sous couvert de l’anonymat. Selon ce dernier, des dizaines de personnes ont été enlevées puis conduites à Saint-Christophe où se trouve le Mémorial 12 janvier pour y être exécutées.
« 54 personnes sont déjà assassinées ou sont portées disparues par la bande de Valès et d’un certain ‘Black Satan’, avance un autre riverain qui habite la zone depuis trois ans. Alors qu’il n’habite pas la zone, quand bon lui semble, Valès amène ses troupes et abat parfois tout ce qui bouge. La faute à ne pas commettre est de citer le nom de Désilio ou se retrouver dans son quartier. La liste des personnes abattues par ce bandit de grand chemin est vraiment longue », ajoute ce riverain qui dit avoir vu la mort en face il y a quelques jours.
Renaud est la dernière victime de cette longue liste. Ayant fui la zone vendredi après une nouvelle attaque de la bande à Valès, le jeune marié a décidé d’aller chercher ses vêtements samedi. Si deux de ses camarades qui l’avaient accompagné avaient eu la chance de s’échapper, Renaud, par contre, est tombé sous les balles assassines. Les tueurs sont repartis en toute quiétude comme d’habitude. Le cadavre est resté plusieurs heures abandonné dans la zone funeste. Personne ne voulait s’y aventurer, pas même la police nationale. « On n’a pas pu trouver un juge de paix pour le constat légal. La police ne voulait pas non plus nous accompagner. Le poste de police le plus proche nous a même soutiré 5 000 gourdes pour nous octroyer un laissez-passer avec le cadavre, fustige une proche de la victime. Sans ce laissez-passer, les policiers en poste ont expliqué qu’ils pouvaient arrêter le conducteur du véhicule. »
Le maire Rony Colin impuissant
Contacté par Le Nouvelliste, le maire de Croix-des-Bouquets est «touché du problème » de banditisme dans la zone. Il est informé des actions de ce Valès qui sème la terreur. « Dave Colin, mon fils aîné, qui est un militaire américain, a failli aussi laisser sa peau dans la zone, en juillet de l’année dernière en revenant de Decameron avec des amis, indique le maire. Il a dû abandonner in extremis son véhicule dont le moteur a été atteint de projectiles. »
Rony Colin évoque l’absence des autorités pour expliquer une telle situation dans le pays. « Le pays n’est pas dirigé, crache le maire. Moi personnellement, j’ai entrepris beaucoup de démarches pour une éventuelle opération policière dans la zone, mais cela n’a jamais abouti. La zone pose des problèmes du point de vue stratégique. Du fait qu’elle est située en hauteur, toute opération terrestre est comme vouée à l’échec. Les forces de l’ordre seraient repérées avant même leur arrivée », explique Rony Colin, impuissant. « Je suis maire pas président du CSPN (Conseil supérieur de la police nationale) », rappelle l’édile de Croix-des-Bouquets. « Ce qui se passe traduit tout simplement l’absence de l’Etat », résume le maire dans ce qui ressemble à un film hollywoodien. Des scénarios qui se déroulent à quelques kilomètres du Palais national, de la Primature ou encore des bureaux des autorités judiciaires et policières.
Valéry Daudier
Le Nouvelliste