Dans les assiettes des Haïtiens
« On ne parle pas d’avoir faim parce qu’on n’a pas mangé depuis un moment. On parle de quelqu’un qui n’a jamais mangé à sa faim de tout temps, ou juste assez pour survivre et en être obsédé. »
Dany Laferrière, «L’énigme du retour »
Comme je l’écrivais dans l’article précédent, l’assiette type d’un Haïtien n’est pas celle que l’on trouve dans la riche Pétion Ville, ou même à Port-au-Prince, où les habitudes de consommation ne sont pas représentatives du reste du pays. Quand les revenus sont sous la barre d’1$/jour, donc sous le seuil de pauvreté, la préoccupation principale n’est pas de se nourrir, mais de faire taire les maux du ventre jusqu’au lendemain. Ainsi pour combler l’estomac de sa famille, l’Haïtien lambda se tourne vers les produits disponibles en grande quantité pour un faible coût, le riz étant le choix numéro 1.
450 000 tonnes de riz sont consommées chaque année en Haïti, pour une production locale de seulement 100 000 tonnes. Les importations annuelles de riz venant des Etats-Unis s’élèvent à 300 000 tonnes/an. Ce chiffre révèle la dépendance du marché haïtien au riz américain, vendu à des coûts plus bas que la production locale, qui vient principalement du département de l’Artibonite.
Petit retour historique. Dans les années 1990, le FMI et l’administration Clinton imposent à Haïti des plans d’ajustements structurels comprenant l’ouverture à la concurrence du marché haïtien et la baisse des tarifs douaniers, ce qui favorise l’importation en masse de riz des Etats-Unis et donc irrémédiablement la baisse des ventes pour les paysans haïtiens et très vite la ruine de la filière. Le prix bas du riz a contribué au changement de l’alimentation des Haïtiens qui n’en mangeaient pas à chaque repas avant la vague libérale.
Mais le riz n’est pas le seul aliment à être importé en masse. Il en est ainsi des oeufs et du poulet que l’on peut trouver dans nos assiettes, bien en chair et tendre, comparé à la « poule pays » plus coriace et rachitique, mais nettement plus gouteuse. Haïti représente le second marché d’exportation pour la République Dominicaine, d’où proviennent oeufs et poulets. Cela explique la bataille entre les deux pays débutée il y a quelques mois : face à des cas de grippe aviaire identifiés dans le pays voisin, l’Etat haïtien a demandé l’interdiction de ces importations. Est-ce que cela va permettre de privilégier la production de la filière haïtienne? Pas sûr au vu de la contrebande qui a pris le relai à la frontière!
De fâcheuses conséquences sur la santé
Cette consommation en trop grande quantité de riz blanc augmente le risque de développer un diabète de type 2, une des maladies endémiques en Haïti.
La consommation de sucre est également un facteur aggravant. En effet, on comprend d’autant mieux le fléau que représente le diabète, et ce dès le plus jeune âge en observant les enfants se désaltérer de leur boisson préférée : le Tampico, jus concentré fluo plus au goût de sucre que de fruit. D’ailleurs, il est courant de voir des marchands ambulants proposer des boissons devant les écoles primaires, et parfois même directement dans la cour. Relativisons : avant qu’une loi ne les interdise, les distributeurs de barres chocolatées étaient les stars de nos collèges et lycées ! Cependant, notre système de santé scolaire permet de diagnostiquer des pathologies chez l’enfant, tandis qu’en Haïti, un tel système public est inexistant. Lire la suite sur liberation.fr