Haïti, vibrations sonores
Ti-Coca sera en concert demain à Toulouse et dimanche à Paris. – Photo Caroline Mardock
Par FRANÇOIS-XAVIER GOMEZ Envoyé spécial en Haïti
Tropical. Le festival toulousain Rio Loco programme deux groupes de l’île. Panorama d’une scène musicale aussi riche qu’en friche.
En plein cœur meurtri de la capitale, le Champ-de-Mars est un immense espace anarchique et biscornu qui sent bon le dioxyde de carbone et le poulet grillé. Le palais présidentiel est resté à l’état de ruine depuis sa destruction, le 12 janvier 2010, lors du séisme qui a tué 230 000 personnes. Un peu plus loin, une porte de tôle invite (en créole) à stationner ailleurs : «Tanpri pa tanké la.» C’est l’entrée du Bureau national d’ethnologie (BNE), une institution créée en 1942.
Virevoltant en veste Alexander McQueen, son directeur, Erol Josué (Libération du 13 avril), sort d’un préfabriqué, téléphone à la main, fonce vers le petit bâtiment en forme de temple, en ressort pestant contre un véhicule éternellement en panne et se lance dans des pas de danse virtuoses au milieu d’un groupe de femmes tambourinaires qui répète dans le jardin. Outre sa fonction officielle, ce feu follet est aussi chanteur et houngan (prêtre vaudou). Pour nous parler de la musique en Haïti, il a demandé à un des meilleurs observateurs du sujet, le journaliste Dominique Domercant, de passer au BNE. A l’ombre d’un arbre à pain, entre bambous et lataniers, petit état des lieux d’un paysage musical dont le public du festival Rio Loco à Toulouse aura un aperçu à travers deux invités : le kompa de Tabou Combo, et le style twoubadou de Ti-Coca (lire page suivante).
Président Zouk. Si Gilberto Gil (au Brésil) ou Youssou N’Dour (au Sénégal) ont hérité de portefeuilles ministériels, Sweet Micky est le seul chanteur vedette à avoir été élu à la fonction suprême. En reprenant son identité, Michel J. Martelly est devenu en avril 2011 président de la «Repiblik Ayiti», née en 1804 d’une révolte d’esclaves contre le colonisateur français. Dominique Domercant raconte qu’il avait eu, quelques années auparavant, une prescience de l’élection. «C’était en plein carnaval, Sweet Micky devait se produire devant le palais national, ici même, sur le Champ-de-Mars. La foule a attendu plus de deux heures, ce qui est insolite à Haïti. Sitôt arrivé, il a lancé une diatribe contre le président René Préval, sous ses fenêtres. La foule exultait, j’ai vu dans cette scène une sorte de prise de possession du palais.»
Tét kalé ( «crâne rasé», le surnom de Martelly) a été une star dukompa, musique inspiratrice du zouk, et son habileté dans l’allusion et le double sens, politiques ou sexuels, l’a rendu extrêmement populaire. Le journaliste ajoute : «Sa musique est engagée, motivante, consciente de l’histoire de Haïti, par exemple la chanson En avant grenadier, qui évoque la guerre d’indépendance. C’est rare dans le kompa, où la majorité des textes sont pauvres et stéréotypés.» Depuis qu’il a prêté serment, le président Martelly a abandonné son activité musicale.
Carnaval de Méringues. Le carnaval est le temps fort du calendrier musical haïtien. Dès janvier, chaque week-end, les DJ installent des scènes dans les quartiers et passent les 300 à 400méringues (chansons de défilé) composées pour l’occasion. «Seules trois ou quatre deviennent des tubes, celles en général des groupes les plus médiatiques», explique Dominique Domercant. Les formations modestes s’en plaignent, soupçonnent des pots de vin (de rhum ?) versés aux animateurs. D’autres mettent en cause les commissions qui examinent les candidatures aux défilés de chars. Cette année, Boukman Experyans, un groupe «rasin»(racines), c’est-à-dire utilisant les rythmes du vaudou, s’est vu refuser un char à Port-au-Prince et à Cap-Haïtien. Son tort, d’après le leader Théodore Beaubrun Junior, c’est d’avoir présenté la chanson Puipuit, dont le titre évoque par sa sonorité «une sorte de diarrhée verbale, comme font les poules quand elles chient». Pour le chanteur, ce sont avant tout les marques (téléphonie mobile, transfert d’argent, alcool, tabac…) qui dictent leur loi en finançant les chars.
Des anciens héroïques. Au carnaval 2013, un des groupes les plus acclamés a été l’inusable «Septen», l’Orchestre septentrional né en 1948. Avec l’autre doyen de la scène nationale, lire la suite sur http://next.liberation.fr