Haïti : Éducation pour tous, au mieux un discours…
Deux ans après l’arrivée de Michel Joseph Martelly à la présidence haïtienne, son programme de scolarisation universelle pour tous, marqué par des fraudes et une absence d’informations fiables, reste au mieux un discours, selon les constats de syndicats et d’organismes de défense des droits humains.
« Nous sommes en train de chercher ce qui a été amélioré sur le plan éducatif (dans le pays) », a déclaré, sceptique, Josué Mérilien, dans une entrevue accordée à AlterPresse.
Deux ans après, « les parents font face aux mêmes problèmes » d’augmentation des frais scolaires par les directeurs et propriétaires des établissements privés, critique-t-il.
Le coordonnateur de l’Union nationale des normaliens haïtiens (Unnoh) déplore particulièrement le fait qu’aucune nouvelle école publique ne soit construite et qu’il n’y ait pas une amélioration des matériels pédagogiques.
Mérilien croit que le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (Psugo) n’est qu’ « une manière pour Martelly d’amadouer la population ».
Antonal Mortimé, secrétaire de la Plateforme des organisations haïtiennes de défense des droits humains (Pohdh), abonde dans le même sens.
« On ne peut pas dire que le gouvernement a mis réellement de nouveaux enfants à l’école », signale-t-il, estimant qu’il n’y a pas d’indicateurs réels qui pourraient permettre de parler ainsi.
« La question s’est transformée en un slogan », regrette Mortimé.
Un slogan, mais peut-être aussi une épine dans le pied du gouvernement.
Car, deux ans plus tard, le gouvernement reconnait que le Psugo est entaché de corruption.
Entre fraudes et flou
Déjà 72 individus sont inculpés : 63 dans le département du Nord, 6 dans l’Artibonite et 2 dans l’Ouest, selon Antoine Atouriste directeur de l’Unité de lutte contre la corruption (Ulcc).
Le chef de l’organisme d’État a donné une conférence de presse, le 13 mai 2013, soit la veille du second anniversaire de Martelly au pouvoir pour faire le point.
Parmi les personnes arrêtées : plusieurs directeurs d’écoles, dont un pasteur, Roosevelt Augustin, aux Gonaïves (Artibonite, Nord), soulevant des manifestations de mécontentement.
Au total, 10 mille écoles se sont déclarées dans le cadre de ce programme.
Sur 500 écoles, contrôlées jusqu’ici dans le cadre d’une enquête de l’Ulcc, dans 8 des 10 départements géographiques du pays, 121 sont dans des situations flagrantes de fraudes ou n’ont pas d’infrastructures adéquates pour accueillir des élèves.
L’Ulcc, qui a démarré son enquête en mars dernier, espère l’achever en juillet 2013 et parvenir à « établir la base de données exactes du Psugo d’ici les mois de septembre et d’octobre (la prochaine rentrée scolaire) », ajoute la direction de l’Ulcc.
Cette actuelle enquête de l’Ulcc révèle l’existence d’écoles et d’élèves fantômes dans le Psugo. Des révélations, qui viennent encore plus effriter cette belle promesse du chef de l’État.
Michel Martelly n’a pas cessé de scander avoir scolarisé 1,2 million d’enfants, à travers le Psugo, des affiches géantes à l’appui. Le chef de l’Ulcc est beaucoup moins certain.
« Nous ne sommes pas en mesure de dire s’il [le nombre d’enfants nouvellement scolarisés] a augmenté ou diminué avant la fin de l’enquête. Je n’ai pas le droit de modifier le chiffre », a déclaré Antoine Atouriste, lors de sa conférence de presse.
Outre le flou entourant les bénéficiaires, ce qui inquiète aussi certaines organisations et syndicats, c’est la gestion du programme.
Le coordonnateur de l’Unnoh, qui n’y va pas par quatre chemins, parle de « véritable gaspillage ».
Fne ou fonds perdu ?
Entre mai et juin 2011, le président Michel Martelly a lancé le Fonds national pour l’éducation (Fne), alimenté par des prélèvements sur les transferts d’argent et les appels téléphoniques internationaux.
Seulement, ce fonds est créé sans aucun cadre légal, ce qui est constitutionnellement incorrect. Et aujourd’hui, les autorités n’arrivent pas à communiquer clairement son montant.
« Nous ne pouvons pas vous donner de chiffre », a déclaré Antoine Atouriste qui dit n’avoir aucune information sur le montant de ce fonds que la banque centrale gère en principe.
Les derniers chiffres, attribués au Fne, ne sont en rien unanimes.
Certaines institutions parlent de 60 millions de dollars américains (US$ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui), d’autres de 34 millions, voire de 28 millions, seulement pour les appels téléphoniques.
« Même la Banque de la République d’Haïti (BRH) et les autres institutions concernées dans la gestion de ce fonds n’ont pas le chiffre exact », a ajouté Antoine Atouriste.
Il explique cela par le fait que des rentrées se font chaque jour.
Entre-temps, il n’est pas encore dans ses intentions d’enquêter sur le mode de gestion du Fne, fait-il savoir.
Quand cela deviendra-t-il une intention ?
Deux ans après, est-il encore temps pour le président Martelly de revoir en profondeur son approche du problème de l’éducation ? (http://www.alterpresse.org)