Haiti – Société: Quand la richesse côtoie la pauvreté (Le cas de Gros-Morne*)

Par Myrtha Gilbert **

Soumis à AlterPresse le 1 er mai 2013

1- Gros-Morne une commune immensément riche

Gros-Morne est une commune du département de l’Artibonite composée de huit sections communales et de 93 habitations. 141 587 habitants vivaient en 2010 dans cette municipalité d’une superficie de 397 km2, baignée par sept rivières. Comme son nom le laisse comprendre, la commune est composée de sections à relief montagneux et la plupart d’accès difficile. La région demeure encore relativement boisée.

La commune est composée de 16, 739 (seize mille sept cent trente neuf) exploitations agricoles. La population rurale représente 78,45% de la population totale et contrairement à la tendance nationale, les hommes y sont plus nombreux que les femmes : 50, 19% d’hommes et 49,81% de femmes.

Gros-Morne possède une production extrêmement diversifiée reposant principalement sur : la mangue francisque, Le Pois Congo et le pois France, la canne à sucre, les vivres alimentaires, les citrus (citron, orange, chadèque), le gros et menu bétail (surtout les caprins), l’avocat. La commune de Gros-Morne produit également de l’échalotte, de l’ail, du maïs, du riz, de la pistache, du cacao, du café, du petit-mil, des légumes. L’élevage de volaille y est aussi pratiqué.

2- Les millions de la mangue ne vont pas aux producteurs

Gros-Morne est la région qui fournit le plus de mangues francisques à l’exportation. Entre le quart et le tiers selon certaines sources. La moitié selon d’autres. Pourtant, comme il en était pour le café, le paysan producteur ne tire presque pas de bénéfice de la mangue. L’essentiel des profits va à l’exportateur. Là encore, le pays reproduit une dérive semblable à celle que l’on a constatée pour le café jadis. L’exportation de mangues rapporte entre 10 et 12 millions de dollars américains l’an, dont environ US $ 3-4 millions, reviendraient à la commune de Gros-Morne. Malgré les millions que rapporte la mangue, le paysan producteur pressuré par le besoin, se voit contraint d’accepter des transactions où il est le grand perdant. Par exemple, en vendant le plus rapidement possible sa récolte pour se faire un peu d’argent.

Une bonne organisation des paysans devrait amener les instances de l’Etat, concernées par la production et la commercialisation agricole, à fournir un encadrement technique adéquat qui signifierait, de meilleures conditions de cueillette, d’entreposage, de conservation et de transport, la lutte contre les mouches et autres plaies, la construction et l’entretien des routes agricoles, ainsi que le financement nécessaire aux diverses phases de la production. Un ensemble de mesures qui auraient permis à la fois, une augmentation de l’exportation du fruit en évitant le pourcentage élevé de rejet actuel, lequel se situe selon les informations dans une fourchette comprise entre 25 et 50% de la récolte, réduisant considérablement les revenus des paysans producteurs.

Il faut souligner que la demande de mangues sur le marché mondial est en hausse selon des études récentes.

Si les paysans producteurs étaient organisés, ils pourraient aussi acquérir beaucoup plus de pouvoir de négociation face au spéculateur et à l’exportateur, la répartition des bénéfices aurait été plus équitable. Jusqu’ici, c’est l’exportateur qui fixe unilatéralement le prix de la mangue.

L’augmentation du pouvoir d’achat de milliers de paysans pourrait favoriser l’éclosion d’un formidable marché intérieur avec une forte demande pour des produits alimentaires frais et transformés, des produits artisanaux et industriels de fabrication locale, des vêtements, des chaussures, des matériaux de construction et toutes sortes de biens et services utiles à la communauté. L’Etat Haïtien tirerait largement partie de l’augmentation des activités productives qui signifierait de meilleures conditions de vie pour les divers agents économiques, notamment les producteurs et un élargissement de l’assiette fiscale. D’où, beaucoup plus de richesses créées et partagées et un renforcement de la stabilité sociale.

Ceci dit, les exportateurs de mangues auraient intérêt à diversifier leurs marchés pour éviter les mauvaises surprises comme ce qui était arrivé avec l’arrêt des exportations de mangues vers les USA en 2007 et plus récemment, le problème très controversé de l’anthracnose de la mangue francisque dans le Plateau Central.

3-Production et productivité : le drame du retard technologique

Grand producteur de canne, Gros-Morne disposerait de 80 siropteries, 9 guildives où l’on produit le clairin traditionnel. Pourtant, le rendement est bas faute de moyens techniques plus avancés. La traction animale utilisée dans la plupart des siropteries empêche un meilleur taux d’extraction du jus de canne. L’autre problème qui se pose avec acuité pour le distillateur c’est celui de l’énergie. Le bois est la première option, ce qui commence à causer des problèmes d’érosion dans certaines zones. Heureusement que la bagasse est de plus en plus utilisé par les nouveaux distillateurs. L’Etat Haïtien ne s’est guère penché sur la question des besoins énergétiques des producteurs du milieu rural. Comme nous le savons bien, les préoccupations des gouvernements haïtiens quand à la production d’énergie électrique n’ont jamais dépassé véritablement les besoins des industries de la sous-traitance et quelques rares industries locales et quelques services établis à Port-au-Prince et dans deux ou trois grandes villes. Aujourd’hui, les effets cosmétiques (style lampadaire) en province, représentent la dernière mode. Or, c’est vers ces riches zones à potentiel extrêmement élevé que l’Etat devrait concentrer ses efforts de production et de distribution d’énergie à des fins productives.

Si aujourd’hui, le marché du clairin est estimé à plus de 100 millions de gourdes dans l’Artibonite, un paquet technologique et un financement adéquat, pourrait facilement tripler ce rendement. Considérant la part substantielle de Gros-Morne dans ce marché, une part qui pourrait être évaluée au 1/6 de la production, cette commune pourrait engranger environ 48 millions de gourdes rien que pour son clairin. Comme mesure additionnelle, il faut impérativement que l’Etat interdise l’importation d’éthanol.

4-Tisser un réseau de PME

L’épargne et la production des paysans et artisans de Gros-Morne doivent être valorisées et protégées. Au-delà des discours, les efforts doivent donc se concentrer sur l’amélioration technologique et un encadrement technique de la part du MARNDR et du Ministère des finances. La création d’une banque agricole ayant ses guichets dans la commune, puis la réhabilitation et la mise sur pied de fermes pilotes visant la recherche, eu égard aux principaux produits cultivés, sont à inscrire dans les politiques publiques de court et moyen terme.

Par ailleurs, toutes les initiatives de transformation des produits agricoles, devraient être encouragées et encadrées par l’Etat Haïtien.

Il est extrêmement intéressant que l’initiative des mangues séchées démarre enfin à Gros-Morne. Elle devrait être suivie de la mise en boîte sur grande échelle de jus de mangues notamment de mangues Francisques, de pois France et de pois Congo. Un processus de transformation qui pourrait s’étendre au fur et à mesure à d’autres produits récoltés en quantité.

Cependant, la Protection et la valorisation de la production paysanne et de tout processus viable de transformation semi-industriel ou industriel demeurent incompatibles avec les tarifs douaniers destructeurs en cours aujourd’hui.

Disposant d’un cheptel varié, cette commune est bien préparée pour recevoir des charcuteries non seulement débitant de la viande fraîche mais aussi s’adonnant à la transformation en commençant par les plus simples. Ce cheptel devrait aussi permettre la création de laiterie (une dizaine au moins), de beurreries et de fromageries artisanales et semi industrielles plus tard. Non seulement pour la production du lait et du fromage bovins mais également du lait et du fromage de chèvre, un fromage très appétissant et un lait recommandé en cosmétique et en médecine, notamment pour les nourrissons. Dans des conditions de production bio, et considérant l’expansion de la demande pour ces produits à l’étranger, on pourrait en exporter une partie.

Par ailleurs, des métiers d’artisans devraient être encouragés avec les peaux. Rien n’empêche des tanneries artisanales et deux ou trois tanneries modernes de taille moyenne, de travailler les peaux de bœuf et de cabri, pour alimenter la tapisserie, la maroquinerie et la cordonnerie.

Grand producteur de canne, de clairin et de fruits, Gros-Morne est aussi appelé à multiplier les unités de production de liqueurs et autres boissons alcoolisées notamment un rhum saveur Artibonite. Pourquoi pas ?

Gros-Morne est véritablement un diamant brut qui ne demande qu’à être ciselé, afin de briller de tous ses feux, pour le plus grand bonheur de ses filles et de ses fils.

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** Enseignante, chercheuse

* Ayant vécu à Gros-Morne durant une partie de ma petite enfance, dans les années 50, j’ai toujours gardé de cette commune le souvenir d’un coin de paradis.

Documents consultés :

1-Colloque National sur la problématique des micros petites et moyennes entreprises du secteur agro-industriel en Haïti. 11-12 mai 2007.

2-Filières agricoles à Gros-Morne. Diagnostic et analyse de la situation des producteurs agricoles. Pascal Pecos Lundy, 2010.

3-Etudes des marchés ruraux, Roosevelt Saint-Dic, 2011

4-MARNDR, Recensement agricole, octobre 2012.

5- Le Nouvelliste, 22 juin 2012. Le maire de Gros-Morne Antoine Rodner Daméus a protesté contre la décision du MTPTC de retirer Gros-Morne de la liste des zones dont les routes doivent être réparées. (alterpresse.org)

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