Haïti-Langue : Après le vote par le parlement de la création de l’académie du créole haïtien…

Après la décision positive et unanime du Senat le 10 décembre 2012, les députés ont voté à l’unanimité la loi sur la création de l’académie du créole haïtien, le 23 avril 2013.

Mais cette « bonne nouvelle », accueillie avec « enthousiasme » par le « comité d’initiative de l’établissement de l’académie du Créole haïtien » et d’autres acteurs n’est qu’un « premier pas » pour matérialiser ce vœu constitutionnel.

Dès 1987, la constitution haïtienne dans son article 213 [213, 214-1 dans la version amendée] a exigé la création d’une académie haïtienne avec pour mission « de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux ».

Un comité d’initiative a été formé. Il est composé de l’Université d’Etat d’Haïti (Ueh) ; du Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp) ; du Ministère de culture ; de la Secrétairerie d’Etat pour l’alphabétisation ; la Faculté de linguistique appliquée (Fla) de l’Ueh ; la Confédération nationale des vodouisants et vodouisantes haïtiens (Knva en créole) et la Société d’animation et de communication sociales (Saks, en créole).

Un grand pas

Fritz Deshommes, vice-recteur à la recherche de l’Université d’Etat d’Haïti (Ueh) et membre du comité d’initiative interprète ce vote unanime dans les deux chambres comme « l’expression d’une prise de conscience de la problématique de notre langue nationale par les parlementaires ».

Pour sa part le professeur Guy Gerald Menard, coordonnateur administratif de la faculté des sciences humaines (Fasch) se réjouit du « vote qui va permettre de mettre en place cet outil nécessaire tant pour le pays que pour sa langue ».

En campagne pour ce poste, Menard avait préconisé la rédaction, la publication des notes administratives et académiques en créole et en français et l’encouragement de publications scientifiques en créole dans l’espace facultaire.

Pour le moment, Lanbi AKP de l’Asosyasyon kominikatè ak kominikatèz popilè (AKP) est la seule des deux revues scientifiques de la Fasch à être produite complètement en créole.

Claude Pierre, linguiste et professeur à l’Ueh comme Evrard Jean Charles, communicateur social et militant de l’Akp, croient que c’est un « pas considérable qui vient d’être franchi mais il reste beaucoup à faire ».

Beaucoup de chemin à parcourir

D’abord, il faut attendre que le président de la république promulgue la loi dans le journal officiel, Le Moniteur. Aussi, certains semblent se croiser les doigts pour que l’exécutif n’ait pas d’objections.

Même si Deshommes ne voit « aucune raison valable pour que l’exécutif ait une quelconque objection » en se basant sur l’utilisation du créole dans les discours officiels et les conseils des ministres ou de gouvernement télévisés, il sait que « la promulgation n’est pas automatique ».

Claude Pierre pour sa part ne manque pas d’optimisme mais mesure déjà les tâches qui demeurent.

Il s’agit notamment de l’obtention des moyens de fonctionnement, l’inscription dans le budget de la république, la mise en place des organes prévus ainsi que la « conscientisation de la population sur l’importance de l’existence d’une telle institution », souligne t-il.

D’ailleurs seuls 9% d’Haïtiens et Haïtiennes savent écrire correctement leur langue maternelle, regrette Pierre.

Aussi exige-t-il la priorité au Créole dès les premières années de scolarisation de l’enfant haïtienen précisant que « les langues ne doivent pas se battre. Haïti étant situé à un carrefour des langues, tout Haïtien, toute Haïtienne doivent pouvoir parler Créole, français, anglais, espagnol et plus ».

La mission de l’académie

Comme institution « étatique, autonome, indépendante à couverture nationale », l’Académie du créole haïtien est à caractère administratif, culturel et scientifique.

L’académie doit entre autres « faire le nécessaire pour encourager la production dans la langue créole ; encourager les expériences populaires dans la découverte, la création, la production tant orale qu’écrite en créole ; travailler et veiller à des relations équilibrées dans l’utilisation des langues par les institutions dans la société ; travailler pour la publication des documents officiels en créole par les institutions étatiques »

Cette institution a la mission également de proposer des canevas d’utilisation de la langue créole en communication publique, d’encourager des travaux de développement d’outils linguistiques tels grammaires, dictionnaires, lexiques en créole dans tous les domaines.

En tout cas, si le vice-recteur Deshommes croit qu’avec la création de l’académie « L’administration publique, la justice, l’Etat en général et la science doivent parler créole », le collectif des étudiants haïtiens en linguistique appliquée (Cehla) met en garde contre « une académie qui va pratiquer une linguistique de cabinet ».

Paul Molès, coordonnateur du Cehla estime qu’historiquement une académie a sinon freiné surtout compliquer l’évolution de la langue.

« C’est une démarche normative et non linguistique », précise Molès.

Toutefois comme pour rassurer, Fritz Deshommes explique que l’académie du créole haïtien ne sera surtout pas un « copier/coller » de l’académie française. (alterpresse.org)

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