Québec-Haiti : Une fille de la mer
Entretien avec Laure Morali.
Série, dans le cadre des rencontres québécoises en Haïti
Née en France, Laure Morali est poète et romancière. Depuis dix ans, elle vit à Montréal et publie chez Mémoire d’encrier : La terre cet animal (poésie, 2003), Aimititau ! Parlons-nous ! (anthologie, dir., 2008), Traversée de l’Amérique dans les yeux d’un papillon (roman, 2010) et Les bruits du monde (anthologie, co-dir., 2012).
Q : Qui est Laure Morali ?
R : Laure Morali est vraiment Laure Morali. Je suis à l’aise dans mon nom. Mon père est né en Afrique du nord et ma mère, très amoureuse de lui, cherchait un prénom qui lui rappelle l’une des plantes odoriférantes de son pays perdu, le laurier. Laure Morali, elle trouvait que ça sonnait bien. Elle disait : « on en aura plein la bouche ». Je suis le goût des mots pour l’amour. Je me sens à l’étroit, comme dans un vêtement trop petit, dans les appellations identitaires, mais comme j’ai grandi dans une presqu’île, je suis immanquablement une fille de la mer. Je suis surtout ce que j’écris : la mer à la porte, la route des vents, la terre cet animal, les yeux d’un papillon…
Q : Quand et comment avez-vous commencé à écrire ?
R : J’ai écrit mes premiers poèmes dans un carnet rouge. J’avais six, sept ans. Il y avait un joli champignon sur la couverture et un petit cadenas pour l’intimité. J’écrivais des comptines pour ma chienne, Clochette. J’ai déchiré les pages de ce carnet à l’adolescence et bien sûr je le regrette. Je me souviens d’un poème qui commençait comme ça : « Quelle heure est-il dans le grenier ? disait le meunier. Il est cinq heures. On va bien s’amuser… ».
Q : Quel sens a pour vous le fait d’écrire ?
R : Écrire n’a aucun sens, sinon de rendre hommage à la gratuité de la vie et de maintenir vivante l’étincelle du regard de l’enfance. Écrire donne la joie d’entendre une petite musique… celle que fait la vie quand elle nous traverse. Écrire permet de faire circuler le souffle du monde dans l’enveloppe des mots et comme les mots font partie de notre corps, l’écriture aide à mieux respirer. Elle propulse. Écrire donne le pouvoir de s’approcher si intimement des gens – plus que permis – qu’on se loge au cœur même de leurs contradictions, sans jugement, sans raison. On éprouve une sorte d’amour inconditionnel. C’est déraisonnable d’écrire. En nous permettant de devenir autre, l’écriture donne de la légitimité à notre folie. L’écriture est le seul pays que je connais où il fait bon se sentir un étranger.
Q : Pouvez-vous nous parler de votre roman Traversée de l’Amérique dans les yeux d’un papillon ?
R : « Au papillon je propose/d’être mon compagnon/de voyage » (Shiki). Pourquoi au papillon ? Parce que j’ai besoin de son regard. Il possède mille yeux simples sur chacun de ses globes oculaires et perçoit le monde en mosaïque. Son regard rassemble, en une symphonie de couleurs, nos vies d’errances. Dans les yeux de la narratrice qui papillonne et migre d’un bout à l’autre des Amériques (Guyane, Alaska, Nouveau-Mexique, Québec…) les personnages les plus éloignés se reflètent les uns dans les autres. C’est un roman de transformation, un tissage serré du rêve dans l’épaisseur de la réalité.
Q : C’est votre premier séjour en Haïti. Quelles sont vos attentes ?
R : Avoir longtemps rêvé Haïti ou été rêvée par elle, je ne sais pas, je dépose mes rêves à la porte, comme on enlève ses chaussures à l’entrée d’un temple. Je me détache de mes attentes pour mieux me fondre au flux de la vie. Je ne connais pas Haïti. Haïti me connaît. (alterpresse.org)