Haïti – Justice : Investiture de Me. Jacques Letang au CSPJ (Discours)
Jeudi 7 mars, Jacques Letang, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats des Cotaux a été installé, par le Président Michel Martelly, comme nouveau Représentant de la Fédération des Barreaux d’Haïti (FBH), au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), en remplacement de Me. Nehemy Joseph, démissionnaire. Cérémonie qui s’est déroulée en présence entre autres : de Jean Renel Sanon, le Ministre de la Justice, de Simon Dieuseul Desras, Président du Sénat et Jean Tolbert Alexis, Président de la Chambre des députés et de Me Arnel Alexis Joseph, Président du CSPJ.
Me Arnel Alexis Joseph, a souhaité la bienvenue au nouveau membre du CSPJ, et s’est dit fier de la venue de ce jeune avocat très expérimenté. De son côté, le Président Martelly a déclaré « Vous avez une tâche particulière parce que vous allez devoir jouer le trait-d’union entre 2 groupes qui pensent fondamentalement avoir raison […] Maintenant que le CSPJ est au complet, j’invite tous ses membres au dépassement de soi et à plus de sérénité. »
Discours d’investiture de Me Jacques Letang :
« Depuis 1987, notre pays a heureusement tourné le dos à la dictature en posant les fondements d’un Etat démocratique respectueux des droits et libertés fondamentales de l’ensemble de ses citoyens. Le bilan des vingt six années qui nous séparent de l’adoption de la constitution du 29 mars 1987 est malheureusement loin d’être satisfaisant. Si le constat est amer, cela ne peut cependant être une raison de se détourner des principes fondamentaux inscrits dans notre loi mère, et en tout premier lieu celui de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs.
L’article 59 de la Constitution de 1987 proclame en effet, et je cite : « les citoyens délèguent l’exercice de la souveraineté nationale à trois pouvoirs : 1) le pouvoir législatif ; 2) le pouvoir exécutif ; 3) le pouvoir judiciaire. Le principe de la séparation des pouvoirs est consacré par la constitution ». L’article 59-1 poursuit : « l’ensemble de ces trois pouvoirs constitue le fondement essentiel de l’organisation de l’état qui est civil ».
Ce principe de séparation ne prend tout son sens que lorsqu’il est conjugué au principe de la soumission de la puissance publique au droit. Cet Etat de droit se matérialise avant tout dans la Constitution, acte fondateur soumettant les différents pouvoirs à des règles préétablies organisant leurs actions et encadrant leur liberté. Au sommet de la pyramide du système juridique, la Constitution garantit les principes de hiérarchie des normes, d’égalité devant la loi et de respect des droits fondamentaux.
Dans tout état démocratique, nul n’est au-dessus des lois. Si celles-ci doivent être respectées par l’ensemble des citoyens, les trois pouvoirs eux-mêmes leur sont soumis. Le rôle de l’institution judiciaire est ici charnière, puisque, autorité chargée de dire le droit et de rendre la justice, c’est à elle qu’il revient de veiller au respect des règles par ces différents acteurs. Mais alors, comment pourrait-elle exercer convenablement cette fonction si elle subit des pressions de la part des deux autres pouvoirs ?
D’où l’importance primordiale du principe d’indépendance, corollaire essentiel de cette séparation effective – qui n’interdit pas pour autant bien sûr la nécessaire collaboration des acteurs, permettant d’éviter la paralysie de l’Etat. L’article 60 de notre Constitution est on ne peut plus clair : « Chaque pouvoir est indépendant des deux autres dans ses attributions qu’il exerce séparément ». L’article 60-1 précise, je cite : « aucun d’eux ne peut, sous aucun motif, déléguer ses attributions en tout ou en partie, ni sortir des limites qui lui sont fixées par la constitution et par la loi ».
L’indépendance du pouvoir judiciaire est à la fois la condition nécessaire de la promotion de l’Etat de droit et le moyen de sa sauvegarde. Le principe est formellement énoncé à l’article 8 de la Convention Américaine Relative aux Droits de l’Homme de 1969, qui reprend en partie l’article 14 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966 : « Toute personne a { je cite} droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial».
Cette indépendance est attachée au principe de l’inamovibilité des juges du siège et à celui, complémentaire, de l’avancement librement consenti. L’article 177 de notre Constitution proclame ainsi : « Les Juges de la Cour de cassation, ceux des cours d’appel et des tribunaux de première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée, ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent faire l’objet d’une affectation nouvelle sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée ».
Dans la pratique, force est pourtant de reconnaître les contradictions inhérentes à la situation du juge, tout à la fois magistrat indépendant et agent public intégré dans un corps et une hiérarchie. Si l’institution judiciaire est en effet un pouvoir public constitutionnel exprimant dans son domaine la volonté souveraine de la nation, elle ne cesse pour autant d’être, simultanément, un service public administratif relevant du pouvoir exécutif. L’indépendance des juges se trouve ainsi en équilibre instable, dans la mesure où la distinction n’est pas toujours aisée à faire entre ce qui est exercice de l’autorité judiciaire souveraine et ce qui est fonction administrative ordinaire soumise au pouvoir hiérarchique.
Deux éléments permettent heureusement une conciliation de ces contraires : 1) Tout d’abord, la consécration d’un statut propre aux magistrats, leur assurant des garanties statutaires doublées d’obligations spécifiques ; 2) Ensuite, la large part accordée à « l’auto-administration » du service, notamment à travers l’instauration d’un pouvoir de régulation séparée et autonome. Avec l’adoption concomitante le 13 novembre 2007 de trois lois, respectivement relatives au statut de la Magistrature, à l’organisation de l’Ecole de la Magistrature et à la création du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, Haïti a incontestablement franchi un grand pas en faveur du renforcement du pouvoir judiciaire.
La première de ces lois vient donc inscrire au cœur même de notre législation un véritable statut de la Magistrature. L’article 33 donne toute sa dimension à cette prestigieuse fonction. Je cite : « Les juges sont indépendants, tant à l’égard du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif, ils n’obéissent qu’à la loi et ne peuvent s’en affranchir, même pour des motifs d’équité. Ils sont aussi indépendants entre eux dans leurs fonctions juridictionnelles. Leurs décisions peuvent être infirmées, cassées ou annulées par les juridictions supérieures, mais celles-ci ne peuvent les contraindre à juger autrement qu’ils ne pensent ».
Au-delà du principe constitutionnel de l’inamovibilité, la loi vient encadrer les modalités de nomination, d’affectation et d’avancement des magistrats, qui reposent désormais sur des règles d’application objective et transparente, fondées avant tout sur les compétences professionnelles. La fonction de magistrat prend ainsi de la hauteur pour être associée à ce qu’elle doit être ou devrait tout au moins devenir : une véritable carrière. A cet égard, l’adoption de dispositions législatives venant encadrer la mission de l’Ecole de la Magistrature apporte incontestablement sa pierre à l’édifice, permettant d’acter enfin la priorité à donner au recrutement par concours donnant lieu à une formation initiale de qualité.
Mais l’indépendance s’applique avant tout à l’acte de juger lui-même. Il s’agit d’une donnée essentielle : le mauvais jugement ne doit être corrigé que par l’exercice régulier des voies de recours juridictionnelles, et ne saurait donc en aucun cas servir de fondement à l’exercice d’une action disciplinaire, car il ne constitue pas, à lui seul, une faute professionnelle.
Le principe d’indépendance n’exclut cependant pas un principe de responsabilité, étroitement lié au respect d’un ensemble de règles déontologiques auxquelles le magistrat doit nécessairement se conformer. L’article 65 de la loi portant statut de la Magistrature prévoit ainsi : « tout manquement par un magistrat à la loi, à l’honneur ou au devoir de son état, constitue à sa charge une faute disciplinaire ». Si la commission de cette faute doit à l’évidence donner lieu à sanction, tout l’enjeu est alors de définir la juridiction disciplinaire susceptible de connaître des faits dénoncés sans faire intervenir des considérations d’opportunité ou de calculs politiques.
C’est ici que l’on aperçoit le lien étroit unissant la reconnaissance d’un statut à la Magistrature et la création d’un Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. L’article 2 de la loi portant statut de la Magistrature énonce en effet, je cite : « l’indépendance du Pouvoir judiciaire est matérialisée par l’existence d’un Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire garantissant le cheminement du métier de Magistrat et assurant la discipline des Juges ». La révision constitutionnelle adoptée le 2 mai 2011 est venue consacrer l’existence de ce nouvel organe en ajoutant à la Constitution l’article 184.2, que je cite : « l’administration et le contrôle du Pouvoir Judiciaire sont confiés à un Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire qui exerce sur les magistrats un droit de surveillance et de discipline, et qui dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature. Les conditions d’organisation et de fonctionnement du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire sont fixées par la loi ».
Ce Conseil se voit ainsi attribuer un ensemble de compétences qui étaient jusque là dévolues, dans une certaine mesure, au Ministère de la Justice. L’article 1 de la loi créant le CSPJ énonce : « le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est l’organe d’administration, de contrôle, de discipline et de délibération de ce pouvoir. Il formule un avis concernant les nominations de magistrats du siège et met à jour le tableau de cheminement annuel de tout magistrat. Il dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature ». Pour accomplir sa mission d’administration du service public de la justice, le Conseil est secondé par un secrétariat technique qui tient lieu de Direction de l’Administration centrale regroupant les directions : celle des affaires administratives et du budget d’une part et celle de l’inspection judiciaire, d’autre part.
La création du CSPJ est de nature à constituer une avancée considérable en faveur de l’autonomisation de la justice de notre pays. Il s’agit en effet de transférer des compétences jusque là concentrées dans les mains de l’exécutif vers un organe indépendant et autonome mis en place selon le principe de l’auto-administration.
J’ai l’honneur d’intégrer aujourd’hui cette prestigieuse institution à titre de représentant de l’Assemblée des Bâtonniers, en ma qualité de Bâtonnier en exercice de l’Ordre des Avocats des Coteaux. L’Assemblée des Bâtonniers, régulièrement réunie en date du 7 février 2013, a en effet fait choix de ma personne pour remplacer notre ancien représentant, ex-bâtonnier des Gonaïves, ce, conformément aux dispositions des articles 4, 8 et 11 de la loi créant le CSPJ.
Il me revient maintenant, dans le cadre de cette cérémonie de prestation de serment, de renouveler l’engagement formel de représenter dignement et loyalement l’Assemblée des Bâtonniers dans l’exercice de cette importante fonction.
Il sied de souligner à cette occasion que cette Assemblée, composée des Bâtonniers des 18 juridictions du pays, a pour la première fois mis à l’honneur une jeune juridiction de province. Créé suite au choc provoqué par le 12 janvier, le Barreau des Coteaux est lui même le fruit d’une mobilisation de plusieurs avocats originaires de la côte sud, convaincus que le relèvement des institutions haïtiennes ne pourra se faire qu’à travers une véritable décentralisation et un renforcement corrélatif des institutions locales au profit des populations rurales. A l’envergure certes encore modeste, le Barreau des Coteaux peut d’ores et déjà s’enorgueillir d’avoir comblé un grand vide dans le ressort de cette juridiction. Qui aurait imaginé que cette aventure avant tout bénévole nous conduise aujourd’hui à offrir à notre juridiction un écho national ?
Je tiens ici à saluer ce choix de l’Assemblée, en faveur d’un Bâtonnier d’une juridiction éloignée, lui-même fils de paysans ; lequel choix marquera, je l’espère, un précédent positif en faveur d’une nouvelle conception plus intégrative de l’ensemble des forces vives de notre pays.
Au-delà, je souhaite renouveler toute l’estime que j’éprouve à l’endroit du travail réalisé par la Fédération des Barreaux d’Haïti. Celle-ci a en effet prouvé en acte à plus d’une reprise sa capacité à remplir les hautes tâches qui lui sont confiées, ce, sans se laisser instrumentaliser par les pressions diverses, issues tant du pouvoir que de groupements d’intérêts de nature diverse, dont les positions – qui influencent sans conteste une opinion publique parfois manipulable – ne me semblent pas toujours conformes à l’idée que je me fais de l’éthique.
Le CSPJ a pour mission de garantir l’indépendance et l’impartialité de l’autorité judiciaire, gage de la confiance du public dans les institutions étatiques. Il s’agit à n’en pas douter d’une lourde tâche qui impose à ses membres une conduite exemplaire. Pour cela, la loi comme la Constitution leur offre toutes les garanties statutaires. L’article 9 de la loi créant le CSPJ dispose : « […] Dans l’exercice de leurs fonctions, les membres du Conseil jouissent d’une totale liberté. Ils n’obéissent qu’à la loi et ne répondent de leurs actes que devant leur conscience […] ». Cette liberté ne peut cependant être effective que si les Conseillers remplissent efficacement leur mission, sans céder à la crainte de déplaire ni au désir de plaire au pouvoir exécutif, aux parlementaires, à la communauté internationale, au secteur économique et financier, aux médias, ou encore, à l’opinion publique.
L’indépendance n’est pas un dogme. Il ne suffit pas de la proclamer : elle se mérite. La légitimité, la dignité, la confiance ne se décrètent pas. C’est parce que l’on est au-delà de tout reproche et de toute suspicion que l’on est véritablement indépendant. Les responsabilités que nous acceptons de prendre vis-à-vis du peuple nous imposent de nous montrer à la hauteur de cette indépendance pour la mettre au service de la justice. Serviteur de la loi, les magistrats -et de manière exemplaire les conseillers du CSPJ, doivent se préserver des pressions politiques, mais aussi des motivations d’ordre corporatiste, personnel ou clanique.
Pour cela, il faut nous en remettre aux règles déontologiques, lignes de conduite incontournables et discipline consubstantielle à la formation de tout magistrat, formation que j’ai d’ailleurs eu le privilège de recevoir ici-même, il y a quelques années de cela. Deux principes me semblent particulièrement éclairants pour le sujet qui nous intéresse : le devoir d’impartialité et l’obligation de réserve.
L’impartialité assure la légitimité de l’action du magistrat en renforçant la crédibilité de l’institution judiciaire. L’impartialité doit se donner à voir. Elle suppose l’adoption d’une attitude emprunte de neutralité, d’objectivité et d’écoute de l’autre. En particulier, elle exige des agents chargés de l’application de la loi de se départir de leurs préjugés et d’éviter tout parti pris, attitudes propres à annihiler la nécessaire distance entre le magistrat et le dossier dont il a la charge. La mise en avant de regroupements affinitaires constitués en amont de toute décision préjudicie ainsi à l’évidence à cette exigence d’impartialité, qui s’attache à chaque membre pris individuellement comme à l’organe dans son ensemble.
Intimement lié à ce premier principe, le devoir de réserve suppose quant à lui, selon la formule consacrée, d’agir avec délicatesse, prudence et modération. L’article 39 de la loi portant statut de la Magistrature est à cet égard on ne peut plus clair. Je cite : « en vue de garantir l’exercice d’une justice impartiale et le droit à un procès équitable, les juges comme les officiers du ministère public ne peuvent exprimer publiquement des propos susceptibles de faire douter de leur neutralité et de leur objectivité. Ils ne peuvent commenter, en particulier dans la presse et les médias, les affaires dont ils ont à connaître en raison de leurs fonctions. »
A ces principes déontologiques, j’aimerais également associer la notion de responsabilité au sens éthique, c’est-à-dire la conscience que doit avoir tout serviteur de la société de ce qu’est son devoir, ce devoir auquel les manquements n’entraînent pas d’autres sanctions que celle de la perte méritée du respect de soi-même.
Il nous faut méditer ces règles éthiques et déontologiques qui éclairent la bonne manière d’user de la liberté qui nous est confiée. Même si l’indépendance dépend d’un statut reposant sur des conditions et des garanties objectives, elle relève aussi d’un état d’esprit et d’une attitude volontaire dans l’exercice concret de sa fonction. A l’indépendance statutaire, il nous faut donc nécessairement associer l’indépendance de caractère !
Contrairement à l’image tant relayée dans les médias, le CSPJ n’est pas et ne doit pas être un organe politique, mais avant tout, un organe chargé d’administrer l’institution judiciaire. Et il y a du travail à faire ! Force est aujourd’hui de reconnaître que notre système judiciaire est profondément défaillant, marqué tant par la faiblesse des moyens et des compétences que par les dérives en matière d’arbitraire, de corruption et de trafics d’influence en tout genre.
Nous ne partons cependant heureusement pas de rien. Le système judiciaire fonctionne aujourd’hui grâce au concours inestimable d’acteurs de la justice qui, dans leur majorité, font tout leur possible pour permettre malgré tout à celle-ci de fonctionner. C’est ici la responsabilité première du CSPJ de reconnaître la valeur de ces contributions afin de les prendre en compte dans les nécessaires réformes à venir. La qualité et l’efficacité de ces réformes dépendent avant tout d’un recensement exhaustif des problèmes, de la définition de priorités et de la mise en œuvre de programmes adaptés fixant des échéances claires. J’aimerais à cet effet m’attarder sur cinq exigences qui me sont chères : l’exigence de compétences ; celle d’intégrité ; celle de respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles : celle de l’allocation de moyens suffisants à la bonne marche des services ; et enfin, celle de l’égal accès à la justice sur l’ensemble du territoire.
Compétences, d’abord. Celles-ci sont mises à l’honneur, comme je l’ai déjà souligné, avec la définition légale des missions confiées à l’Ecole de la Magistrature, chargée d’assurer en premier lieu la formation initiale de nos futurs magistrats mais aussi d’assurer sans cesse la formation continue du corps dans son ensemble. L’exigence de compétence dépend par ailleurs de la mise en œuvre rapide du programme de certification de l’ensemble des magistrats en exercice prévu à l’ article 70 de la loi portant statut de la Magistrature et de l’établissement du tableau d’avancement.
Intégrité, ensuite. Dans l’exercice de leurs fonctions régaliennes, nombre de magistrats ignorent plus ou moins délibérément les règles déontologiques les plus fondamentales. Dire le droit de manière impartiale et indépendante relève en grande partie, j’en suis convaincu, d’un état d’esprit, d’un savoir-être et d’un savoir-faire qui doivent être enseignés, cultivés et approfondis tout au long de la carrière. Pour cela, je me prononce d’ores et déjà en faveur de l’édiction et de la large diffusion d’un recueil de principes déontologiques. La mise à disposition d’un tel recueil, relevant du pouvoir d’information et de recommandation du Conseil, représentera un appui non négligeable dans l’exercice de sa mission disciplinaire. Cette mission générale de contrôle suppose par ailleurs une coopération renforcée avec les autres institutions compétentes.
Respect des droits fondamentaux, encore. Le magistrat est le premier gardien des libertés individuelles et doit afficher le souci de la dignité des personnes, car, s’il rend la justice, c’est in fine pour le peuple et en son nom. On ne peut que déplorer l’absence si fréquente de ce souci de l’autre dans le quotidien de nombre de nos tribunaux et centres pénitentiaires. Combien d’arrestations sans mandat ? De détentions préventives qui durent depuis des années dans des conditions infra-humaines, sans l’intervention du moindre magistrat ? De violations graves et renouvelées des droits humains comme des principes communs à tout procès équitable ? De victimes dénigrées et niées dans leur droit, alors que des bandits sans foi ni loi arpentent les rues sans aucune gêne ? Espérons que le travail concret et assidu du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire révolutionne une conception de la justice au service du prince et des puissants, qui ne doit plus avoir lieu d’être. Respect de la dignité de chacun et lutte contre l’impunité, il s’agit en réalité des deux faces d’une même pièce !
Allocation de moyens suffisants à la bonne marche des services, sans aucun doute. Une justice efficace, libre et intègre ne peut se concevoir sans la revalorisation des fonctions juridictionnelles au sein de l’Etat, doublée de l’augmentation des crédits budgétaires permettant d’offrir de meilleures conditions de travail. Comment attendre en effet un travail efficace de la part d’un juge d’instruction incapable de se déplacer faute de voiture de service ? Et de la part d’un juge de paix qui ne peut faire appel à aucun policier pour exécuter son mandat ? Quelle image d’une justice rendue dans des locaux en ruine, souvent plus proches du taudis que du palais ? Comment accepter qu’en plein XXIe siècle, la justice se rende sur quelques vieilles machines à écrire ? Que répondre, aussi, au magistrat qui s’aperçoit que son collègue reçoit le triple de son salaire – et souvent bien plus- lorsqu’il abandonne sa fonction régalienne pour jouer un simple rôle de monitoring dans des institutions qui ne produisent souvent rien d’autre que de simples rapports ? Que dire encore du même Magistrat, animé par le rêve de s’offrir la même voiture que ce dernier, dont le prix à lui seul représente des dizaines d’années de son maigre salaire ? … Il faut en convenir : il ne peut y avoir d’indépendance sans moyens. Leur insuffisance fait peser sur l’institution judiciaire toute entière des menaces multiples qu’elle est incapable de surmonter à elle seule.
Égal accès de la justice sur l’ensemble du territoire, enfin. S’il importe de renforcer les institutions de la capitale, particulièrement fragilisées par le séisme dont les traces sont encore visibles de nos jours, il n’est plus possible aujourd’hui d’occulter à ce point la réalité criante des zones reculées de notre pays, où une grande partie de la population haïtienne est réduite à l’état de citoyens de seconde zone. L’absence quasi totale d’institutions officielles sur des pans entiers du territoire favorise peut être, parfois, l’arbitrage et le règlement pacifique des différends à la lumière de nos coutumes… Mais on ne peut se cacher que cette carence est à l’origine de situations dramatiques, favorisant le déploiement d’une vengeance privée particulièrement cruelle et meurtrière. Si l’on pense à la justice en termes de service public, il est plus que jamais essentiel de garantir la mise en œuvre effective des principes d’égalité, de continuité et de droit d’accès à la justice, au service de l’ensemble des justiciables sans distinction aucune. Cela permettra peut être que le miracle s’opère, transformant enfin le droit en justice.
Je tiens, en guise de conclusion, à reprendre la mise en garde du doyen Guy Carcassonne, grand constitutionnaliste français : « L’indépendance est un droit, mais c’est aussi un devoir »… J’intègre aujourd’hui cette jeune et prestigieuse institution qu’est le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Conscient de la grandeur de la tâche, mesurant la liberté qui m’est offerte et la responsabilité qu’elle appelle, je m’engage devant vous à mettre mes compétences et mes capacités au service d’une meilleure administration de la justice. J’espère de tout cœur que le système judiciaire dans son ensemble s’associera à mon engagement pour appeler de ses vœux une autorité régulatrice qui, non seulement, donne elle-même l’exemple de l’indépendance, de la rigueur et de l’efficacité, mais encore protège et favorise de ce fait l’indépendance, la rigueur et l’efficacité de l’institution toute entière.
Merci. »