Haïti-Droits Humains: Le RNDDH se dit préoccupé par l’éviction des occupants du Parc National La Visite
Le Réseau National de Défense des Droits Humains s’est, dans son dernier rapport, dit préoccupé, par la manière dont une opération policière s’est déroulée au cours de laquelle quatre (4) personnes tuées, trois (3) portées disparues, un (1) policier blessé, quatre (4) maisons incendiées, deux (2) boeufs tués, un blessé et deux (2) arrestations effectuées le 23 juillet dernier. L’incident est survenu au Parc La Visite situé dans le département du sud’est du pays.
Voici le rapport tel que publié par le RNDDH:
Préoccupé par le grave incident survenu au Parc National La Visite le 23 juillet 2012, le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) tient à partager avec la population haïtienne, le rapport d’enquête du Réseau Sud-est de Défense des Droits Humains (RESEDH/RNDDH), l’une de ses dix (10) structures régionalisées.
Présentation sommaire du Parc National La Visite
Le Parc National La Visite, situé à Séguin – Section Communale de Marigot, commune du département du Sud-est – et logé dans le Massif de la Selle, représente l’une des zones les plus riches en biodiversité de la Caraïbe. Sa superficie est de deux mille (2000) hectares de terre dont trois cents (300) sont couverts d’une forêt de Pins et de quelques fragments de latifoliées.
En 1980, estimant que cette zone méritait d’être protégée par l’Etat, le gouvernement du Président à vie d’alors, Jean Claude DUVALIER, conclut un accord avec les quarante-deux (42) familles habitant la zone à l’époque, et un décret, créant le Parc National La Visite, fut promulgué en 1983.
Il convient de noter qu’en 1942, le Parc National La Visite était habité par un groupe de paysans venant de la localité » Kasedan « , de la commune de Marigot. Aujourd’hui, environ cent quarante-deux (142) familles y vivent, et, pour subvenir à leurs besoins, elles s’adonnent à diverses activités dont l’agriculture et l’élevage.
II. METHODOLOGIE
Dans le cadre de cette enquête, Le RESEDH/RNDDH a rencontré :
1) Des membres de la population
2) Des victimes
3) Des responsables d’organisations
4) Des membres de la délégation du Sud-est
III. FAITS ANTECEDENTS
Le 23 mars 2012, un groupe d’individus est arrivé à Seguin et a numéroté les maisons du Parc. A titre d’exemples, Elisnord et Felius ALFRED ont vu respectivement attribuer à leurs maisons, les numéros M.71 et M.72.
Le 28 mars suivant, le maire de Marigot, Monsieur Myrthil Fifon MIDY et le Directeur Technique de la Protection Civile du Département du Sud-est, Monsieur Jean Michel SABA, ont rencontré les familles et les ont informées qu’un délai de dix-huit (18) jours, expirant le 15 avril 2012, leur était accordé par le Président de la République afin qu’elles se retirent du Parc National La Visite ; cet espace étant retenu en vue de l’organisation de la cérémonie de lancement d’une campagne de reboisement prévue pour le 1er mai 2012.
IV. FAITS
le 23 juillet 2012 vers 12 heures pm, le Directeur de la police du Sud-est, Sagesse OVILMAR, le Délégué Départemental du Sud-est, Pierre Michel LAFONTANT, le Commissaire du Gouvernement du Sud-est, Antoine Jean FREHAUD, le Juge de paix, Desruisseaux PRATZ et le greffier en chef du Tribunal de paix de Marigot, Sanon BERNARD, accompagnés d’une trentaine d’agents de l’Unité Départementale de Maintien de l’Ordre (UDMO) et d’une dizaine d’individus choisis au sein de la population de Seguin et dénommés «Hommes de peine», se sont présentés au Parc National La Visite et, à l’aide d’un mégaphone, ils ont demandé aux résidents de vider immédiatement les lieux. Parallèlement, des hommes en possession de marteaux se sont mis à démolir les maisons des résidents sous l’oeil approbateur des autorités. La population a protesté en lançant des pierres en direction des hommes de peine et de leurs accompagnateurs. Devant l’ampleur de la réaction de la population, les autorités ont arrêté la démolition des maisons. En partant, les policiers ont tiré sur les protestataires. Un lourd bilan en a résulté :
Quatre (4) personnes tuées, trois (3) portées disparues, un (1) policier blessé, quatre (4) maisons incendiées, deux (2) boeufs tués, un blessé et deux (2) arrestations effectuées.
a) Personnes tuées
• Nicolas DAVID
• Désir ENOSE
• Désir ALEXIS –
• Volcin ROBENSON alias Tidye
b) Personnes portées disparues:
• Rosemana ALFRED, une mineure âgée de neuf (9) ans ;
• Ofaky MEZIDOR, un mineur âgé de sept (7) ans ;
• Mislaille ALFRED, une mineure âgée de quatre (4) ans
c) Personne blessée
• Garry BAPTISTE, un agent de la PNH.
d) Personnes arrêtées.
• Elius ALFRED, arrêté le 23 juillet 2012, au marché de Séguin avant l’opération.
• Jean Louis CINFORT, arrêté le 25 juillet 2012.
Deux jours plus tard, le 25 juillet 2012, les cadavres des personnes tuées jonchaient encore le sol. Sur demande des parents des victimes, le Juge du tribunal de paix de Marigot, Me Desruisseaux PRATZ, accompagné d’agents de la MINUSTAH, s’est transporté au Parc National La Visite où il a procédé au constat et a autorisé la levée des cadavres.
Le gouvernement haïtien, représenté par la Délégation du Sud-est, a remis cent cinquante mille gourdes (HTG150, 000.00) aux familles pour l’inhumation des corps.
1. Version des membres de la population
Sous le gouvernement de René Préval, des négociations ont été initiées, par le Directeur Départemental du Ministère de l’Environnement d’alors, avec les familles occupant le Parc National La Visite, en vue de les porter à vider les lieux. Toutefois, ces négociations n’ont pas abouti.
Les négociations ont été relancées par le Gouvernement de MARTELLY, et, de ce fait, le Directeur départemental du ministère de l’environnement du Sud-est, l’Agr. Arcene BASTIEN, et la Direction de la protection civile dudit département, représentée par M. Jean Michel SABA, ont rencontré les familles à maintes reprises.
En plus d’une promesse d’embauche lors de la mise en oeuvre des projets de reboisement de la forêt, ces représentants de l’Etat haïtien ont proposé à chacune des familles de leur payer des frais de dédommagement de cinquante mille gourdes (HTG50, 000.00) répartis comme suit : quarante pour cent (40%) de la somme, soit vingt mille gourdes (HTG20, 000.00), payés à la signature de l’accord et les soixante pour cent (60%) restant, après la démolition des maisons. La date du 15 juin 2012 ayant été proposée aux familles pour qu’elles quittent le Parc, la majorité de celles-ci ont refusé, arguant que leur situation n’était pas prise en compte par l’Etat et que leurs droits, par conséquent, étaient violés. Depuis, le processus a été bloqué, cependant, à l’échéance du 15 juin 2012, douze (12) familles ont reçu chacune vingt mille gourdes (HTG20, 000.00).
Le 23 juillet 2012, les autorités policières et judiciaires accompagnées de plusieurs individus armés de marteaux et de haches, venus de Seguin, ont démoli les maisons se trouvant dans le parc. En réaction, les propriétaires ont organisé une manifestation. Les policiers ont tiré sur les manifestants et les animaux, occasionnant ainsi des pertes humaines et matérielles. Rapport d’enquête sur l’éviction des occupants du Parc National La Visite Page 5
Version des autorités
Questionnés autour des informations selon lesquelles la police a tiré sur les manifestants et que plusieurs personnes ont été tuées, portées disparues, blessées et d’autres arrêtées, le Directeur Départemental de la Police du Sud-est, Monsieur Sagesse OVILMAR, et le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Jacmel, Me Antoine Jean FREHAUD, tout en confirmant leur participation à l’opération du 23 juillet 2012, ont déclaré n’être pas au courant de ces faits. Toutefois, Monsieur Sagesse OVILMAR a affirmé qu’un policier a été blessé par la population.
V. COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS
Le Réseau du Sud-est de Défense des Droits Humains (RESEDH/RNDDH) constate que la Direction Départementale de la Police du Sud-est et le Parquet de Jacmel ont banalisé l’incident meurtrier survenu le 23 juillet 2012 au Parc National La Visite. Le Directeur Départemental de la Police du Sud-est et le Commissaire du Gouvernement de Jacmel, par leurs comportements, ont affiché un mépris total du droit à la vie garanti par :
• La constitution haïtienne de 1987, stipulant en son article 19 : «L’état a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à la déclaration universelle des droits de l’homme ».
• Les instruments internationaux et régionaux auxquels le pays a adhéré, dont le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, stipulant en son article 6-1 : «Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ».
• Et par la convention américaine des droits de l’homme, stipulant en son article 4-1 : «Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie ».
De plus le RESEDH/RNDDH croit que l’expulsion forcée des résidents du Parc ainsi que le déplacement des personnes vivant dans les camps, sans alternative de logements décents, favorisent la prolifération de bidonvilles. Ce qui constitue une violation flagrante de l’article 9 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), récemment ratifié par Haïti, stipulant : Rapport d’enquête sur l’éviction des occupants du Parc National La Visite Page 6
«Les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ».
Le RESEDH/RNDDH croit que le Gouvernement MARTELLY/LAMOTHE est tenu de respecter et d’oeuvrer pour la mise en application des instruments nationaux et internationaux ratifiés par Haïti, à travers les différents ministères dont celui de l’Environnement et dans toutes actions du gouvernement. Par ailleurs, l’événement tragique du 23 juillet 2012, survenu dans la localité de « Kasedan », vise à rétrograder les acquis démocratiques ;
Le RESEDH/RNDDH condamne les comportements du Directeur Départemental de la Police du Sud-est et du Commissaire du Gouvernement de cette juridiction et, par ricochet, rend l’Etat haïtien responsable de l’événement tragique du 23 juillet 2012.
Tout en présentant ses condoléances aux familles des victimes, le RESEDH/RNDDH enjoint les autorités à :
• Diligenter immédiatement une enquête pour faire le jour sur cet événement ;
• Traduire par devant la justice tous ceux impliqués dans la tragédie du 23 juillet 2012, et dédommager les parents des victimes ;
• Prendre toutes les mesures nécessaires afin d’empêcher la reproduction de ces incidents regrettables.
• Porter les résidents du Parc National La Visite à quitter l’espace à travers une proposition respectant leurs droits.
Image: http://www.rnddh.org/