PetroCaribe : le CSPJ consacre la disgrâce du juge en charge de l’instruction du plus gros scandale de corruption
Pas de surprise
« Le RNDDH n’est pas du tout surpris par le fait que le magistrat Accimé ne soit pas certifié. D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de son comportement dans le dossier relatif à la dilapidation des fonds PetroCaribe. C’est un magistrat indexé pour ses comportements anti-déontologiques, et qui vit avec des moyens largement au-dessus de ses émoluments », a confié à Le Nouvelliste Marie Rosie Ducénat Auguste du RNDDH, mardi 17 janvier 2023.
Pour le dossier PetroCaribe particulièrement, on se le rappelle, « aucune mesure conservatoire n’a été prise à l’encontre des dilapidateurs des fonds PetroCaribe. Et, le magistrat a mené l’instruction dont il avait la charge, avec des motivations économiques », a poursuivi Mme Ducénat qui regrette « de manière plus générale », « que dans la juridiction de première instance de Port-au-Prince, les dossiers les plus importants sont souvent, pour leur instruction, distribués aux magistrats décriés. »
« Dès la nomination du juge Ramoncite Accimé, nous avions émis des réserves quant à la volonté réelle du gouvernement de réaliser le procès PetroCaribe », a confié Vélina Charlier, Petrochallenger, l’un des responsables de « Nou Pap domi ». « Il était évident alors que le but du gouvernement était d’entraver le procès à tout prix en polluant le dossier de mauvaises procédures pour mener à une incapacité de faire un procès transparent et équitable. Est-ce pourquoi, a rappelé Vélina Charlier, Noupapdòmi avait recommandé dans le document 4R la formation d’un parquet financier et d’un tribunal spécial ayant pour mission l’organisation des procès ».
« Il y avait beaucoup de controverses entre le juge Ramoncite Accimé et les avocats de la partie civile dans le cadre du traitement du dossier PetroCaribe. J’avais même déposé plainte contre lui au CSPJ. Est-ce que la mise à l’écart de Ramoncite Accimé me surprend ? La réponse, c’est non. Évidemment, je ne ferai pas trop de commentaires sur la décision du CSPJ le concernant. Pour une raison simple, je ne veux pas frapper un homme à terre », a confié Me André Michel, avocat de citoyens qui se sont portés partie civile dans ce dossier.
PetroCaribe: la société doit rester vigilante
« La société haïtienne devrait rester vigilante par rapport à ce dossier et continuer de faire pression pour qu’il aboutisse au cabinet d’instruction d’un magistrat sérieux, respectable et apte à mener son instruction, dans le respect de la loi », a estimé Marie Rosie Auguste Ducénat.
Pour Vélina Charlier, « la société civile a pour devoir de continuer à exiger la fin de l’impunité, la réforme et l’indépendance du système judiciaire, et le respect des institutions de la République. Pour arriver à un état de droit, il faut remettre la justice sur pied et faire de la loi notre vraie boussole. Il faut des personnes compétentes et courageuses qui ne baissent pas les bras et qui dénoncent l’inacceptable », a-t-elle indiqué, soulignant « qu’avant tout, il faut une volonté politique de refonder l’État. Les derniers mois nous ont prouvé le contraire », a observé Velina Charlier. Aujourd’hui, la transition dont nous parlons doit participer à la réorientation de la société, au redressement de l’administration publique. Il faut remettre les valeurs démocratiques et républicaines dans nos institutions comme la CSCCA, l’Ulcc, l’Ucref, la justice, la police, le CEP, le système éducatif avant d’aller vers les élections. Il faut établir pour de bon l’indépendance de la justice », a indiqué Vélina Charlier.
« La société civile doit continuer à faire son travail de vigile. Mais attention, le dossier n’est pas étouffé. Il y a deux recours qui ont été exercés par devant la Cour d’appel de Port-au-Prince dans le cadre de ce dossier: 1) un premier recours contre la décision du juge Accimé d’enlever la qualité de partie civile à Jhonson Colin, le premier plaignant, Jhonny Joseph, Walker Thélémaque et consorts qui s’étaient constitués partie civile; 2) un deuxième recours contre l’ordonnance définitive du juge Accimé ».
« La justice était pratiquement dysfonctionnelle pendant les 3 dernières années dans la juridiction de Port-au-Prince, mais, dès ce mois de février 2023, au nom de Jhonson Colin, Jhonny Joseph et Walker Thélémaque, je vais faire diligence pour que le dossier soit en état de recevoir jugement à la Cour d’appel de Port-au-Prince », a dit Me André Michel avant d’ajouter que: la bataille ne fait que commencer ! »
Steven Benoit indexe des dysfonctionnements systémiques
« Tous les juges révoqués ont été mal nommés vu que leur nomination n’a pas respecté les prescrits de la constitution et la loi sur le statut de la magistrature. Non soumission de listes par les assemblées communales et départementales qui n’ont jamais été installées par les différents pouvoirs exécutifs dans l’unique but de contrôler le pouvoir judiciaire », a détaillé l’ex-sénateur Benoît, l’un des tout premiers à dénoncer la mauvaise utilisation des fonds PetroCaribe et des nominations irrégulières de juges dans le système y compris à la cour de cassation.
Pour Benoît, la « nomination de citoyens corrompus dans le système vise à contrôler les décisions de justice ». « C’est finalement de bon droit que le CSPJ finalement fasse son travail. Mais qui a certifié les membres du CSPJ ? Qui a certifié les membres de la commission qui aident le CSPJ dans son entreprise ? Et finalement, est-ce qu’ils sont seulement 69 officiers de parquet et juges dont le mandat arrive à terme. Autant de questions à analyser et malheureusement il n’y pas de Sénat en place avec des sénateurs incorruptibles et compétents pour vérifier le sérieux du travail », a-t-il poursuivi.
Ce qui, a affirmé Steven Benoît, élu Premier ministre par l’accord de Montana, montre « la nécessité d’une vraie transition de rupture une fois pour toutes pour remédier à toutes ces anomalies constitutionnelles et légales »
PetroCaribe, l’ordonnance du juge Accimé
Le juge Ramoncite Accimé, en charge de l’instruction du dossier PetroCaribe depuis deux ans, a rendu début juin 2021 une ordonnance dans laquelle il sursoit à l’instruction, précise que l’absence d’arrêts de débet de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) ainsi que l’absence de décision du Parlement bloque le déroulement de l’enquête et ordonne le dégel de tous les fonds dans les banques et institutions financières de la COMPHENER S.A. rejoignant ainsi la ENERSA, la ELMECEN S.A., Archivolt, GK IMPORT EXPORT SA, Suntech Solar Haïti tout en les renvoyant hors des liens de l’inculpation pour faute d’indices graves et suffisants.
« Par ces motifs, adoptons le réquisitoire définitif du commissaire du gouvernement pour être juste et fondé ; disons que l’absence des arrêts de débet à l’encontre des personnes inculpées entrave le cours normal de l’instruction et la rend prématurée. Ordonnons aux institutions préposées à cet effet en l’occurrence le parlement et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif( CSC/CA) de faire ce que de droit pour faciliter le déroulement normal du dossier ; ordonnons donc un sursis à ladite instruction en attendant l’accomplissement des formalités légales prévues en la matière ; maintenons l’ordonnance rendue en date du trois février 2020 attribuant la qualité de partie civile à l’Etat haïtien et de dénonciateurs aux citoyens Garry Alliance, Christa Maisonneuve et consort ; ordonnons à toutes les institutions financières et bancaires établies sur tout le territoire national de dégeler tous les fonds par elles détenus au nom de la COMPHENER S.A. rejoignant ainsi la ENERSA, la ELMECEN S.A., Archivolt, GK IMPORT EXPORT SA, Suntech Solar Haïti tout en les renvoyant hors des liens de l’inculpation pour faute d’indices graves et suffisants. Ordonnons enfin, conformément aux dispositions de l’article 18 du CIC que toutes lesdites ordonnances soient transmises au commissaire du gouvernement pour être fait par lui ce que de droit », pouvait-on dans cette ordonnance dont Le Nouvelliste a consulté les minutes.
Après d’importantes manifestations populaires à travers le pays pour exiger des explications sur l’utilisation des fonds PetroCaribe, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif a produit des rapports accablants et démontré, dans beaucoup de cas, que ces actes étaient préjudiciables aux intérêts de la communauté. Il n’y a toujours pas de procès pour établir la vérité judiciaire.
Cependant, en dépit des préjudices subis, la population haïtienne, en proie à l’insécurité alimentaire, la pauvreté extrême, la violence des gangs et des déchainements cycliques de la nature, paie pour le service de la dette contractée auprès du Venezuela.
Le parlement n’a pas joué son rôle en amont de 2008 à 2016 dans le contrôle de l’utilisation de ces fonds, en exigeant de manière systématique la soumission des lois des règlements. Le Sénat, via deux commissions ( Latortue/Beauplan), a produit deux rapports envoyés à la cour des comptes.
A l’époque, la communauté internationale — qui inflige des sanctions à des personnalités politiques et du secteur privé depuis fin 2022 pour, entre autres, corruption — avait fait preuve d’une certaine passivité alors que la population haïtienne demandait des comptes, rêvait d’une coopération qui permettrait de retracer les fonds détournés et placés à l’étranger.
Pour le moment, s’il est difficile d’évoquer un tournant, le 21 décembre 2022, à la dernière réunion d’informations du conseil de sécurité sur Haïti, Bob Rae, le représentant du Canada — qui joue un rôle de premier plan ces temps-ci en Haïti — avait mis en avant, dans une approche holistique de la crise haïtienne le caractère « corrosif » de la corruption. À cela, la communauté internationale doit faire plus attention, avait soutenu le diplomate canadien.