Haïti-France : Cette pauvreté créée et entretenue pour bâtir une richesse ostentatoire

Le monument le plus visité du monde entier, la Tour Eiffel, a été construit avec les ressources financières spoliées du pays considéré comme étant le plus pauvre de l’hémisphère occidental (Haïti). Ce n’est pas seulement un symbole, mais c’est le produit de toute une logique économique et d’une vision ‘gobiniste’ des races humaines ; plus précisément une façon de voir l’homme noir par rapport à l’homo neanderthalensis et, de surcroit, à l’homo sapiens. Par extension, c’est aussi une preuve de la traçabilité d’un ordre mondial d’antan qui a traversé le temps pour se convertir en ce qu’il est aujourd’hui : un ‘nouvel ordre’ cannibale dont le dessein inavouable et inavoué est de siphonner, jusqu’à la dernière goutte, le sang d’une catégorie d’êtres humains pour alimenter un système-monde de privilégié(e)s et pour générer massivement des richesses au profit exclusif d’une infime minorité.

La relation d’exploitation, qui liait et qui lie encore Haïti à la France, relève de cette vision du monde et il n’y a pas lieu d’amadouer les jeunes générations, en leur faisant croire que celle-ci appartient à une forme de relation internationale révolue et que l’ordre diplomatique actuel nous commande de tout oublier en y passant l’éponge. Comme s’il y avait des vérités qu’il faudrait abandonner à l’amnésie et les garder secrètes comme on cache une plaie béante qu’on laisse puer sous un pantalon, à l’abri des regards … sans traitement approprié. Bien au contraire, la société haïtienne est dans l’obligation de traiter ces problèmes autrement, car ce ne sont pas des linges sales qu’on est forcé, par convenance, de laver en famille. Entre blancs français et nègres ou négresses d’Haïti, nous avons des choses à nous dire – face à face – et des contentieux à vider dignement, sans faux-fuyant. Quand des esclavagistes n’avaient pas honte d’exiger des rançons à ceux-là qu’ils ont séquestrés et de piller leurs ressources financières, ce ne sont pas les descendants de ces esclaves qui doivent faire des concessions ou s’embarrasser de scrupule au moment d’exiger restitution et réparation.

De fait, on savait depuis Marx et Engels que l’esclavage est l’ancêtre du capitalisme, mais ce qui est factuellement établi de nos jours, par le biais des recherches menées par les journalistes-experts du New York Times, c’est qu’il existe un lien de causalité entre l’opulence des puissances économiques occidentales (comme la France) et la pauvreté inhumaine de certaines nations. Et, dans le cas spécifique d’Haïti, il ne s’agit pas seulement d’une hypothèse plausible, mais d’un fait irréfutablement établi. Les Haïtien.ne.s le savaient depuis des lustres et ont tenté à maintes reprises de porter la question sur la table de discussions entre les deux pays, tout en ayant comme observateurs ou témoins des pays dits amis comme les États-Unis et le Canada. Il y a eu toujours le boycott systématique des uns et des autres, car les grands et les forts finissent toujours par s’entendre au détriment des petits et des faibles. Comme de fait, toutes ces tentatives ont été décrédibilisées, tournées en dérision et qualifiées de purs produits de la schizophrénie. Fort heureusement, la vérité est comme la mère-nature, elle finit toujours par trouver son chemin et reprendre ses droits, même face à une hyper-mécanisation des espaces physiques ou l’enterrement volontaire des faits.

Au moment où la France s’y attendait le moins – en ces temps de focalisation sur l’Ukraine – des journalistes américains sont venus jeter un pavée dans la marre en publiant, dans une série de six articles révélateurs, leurs trouvailles sur les relations économico-financières qui unissaient, pour le pire, la première République Noire à la France napoléonienne. On savait déjà tout sur le vol à cannons-brandis (hold-up) des 150 millions de francs-or, mais les publications du New York Times sont venues éclairer d’un jour nouveau d’autres extractions financières flagrantes dont les documents y relatifs étaient savamment gardés dans le plus grand secret. Ces derniers faits sont choquants et démontrent, par exemple, la façon dont un fleuron du système bancaire français (l’actuel CIC) s’en était pris pour siphonner les ressources financières du pays à travers la Banque nationale d’Haïti (Bnh). Une part importante des montants subtilisés sous forme d’intérêts et de frais indus a été ouvertement utilisée pour construire la Tour Eiffel.

Ces cinglantes publications ont, de plus en plus, l’air d’une dénonciation massive et elles plaisent énormément aux citoyen.ne.s haïtien.ne.s avisé.e.s. Mais elles laissent pantois et groggy les dirigeants français comme s’ils avaient reçu un coup sur la tête. On comprend les raisons pour lesquelles ils sont bien peu les journaux de l’hexagone qui assument le courage de relayer la publication des résultats de l’enquête susmentionnée, comme ils l’ont fait – par exemple – dans le cas des ‘Panama papers’. Dans les coulisses, on apprend que ceux qui fonctionnent à la solde de l’État français sont en train de préparer une réponse qui va consister en la constitution d’un panel d’experts dont la mission sera de discréditer l’enquête dans sa méthodologie et sa rigueur scientifique, tout en évitant de générer une inflation médiatique sur la question, par la multiplication de débats en Afrique, en Amérique Latine, au Canada et aux États-Unis. Les médias impliqués dans ce nouveau boycott pensent beaucoup aux effets que les récents précédents concernant la Belgique et sont susceptibles de générer et n’écartent pas la possibilité de jouer la carte du silence, si en Haïti la question ne prend pas assez de relief politico-diplomatique.

En tout état de cause, les haitien.ne.s ont le devoir de rentrer à nouveau dans la danse, sans complexe politique. Les valeureux travaux des journalistes du New York Times devraient servir de déclic pour effectuer une énième tentative auprès de la société française (d’abord) et des autorités (ensuite) en vue d’exiger la restitution intégrale des montants extorqués, qu’il s’agisse des 150 millions de francs or en valeur actualisée et des extractions monétaires perpétrées à travers le Crédit Industriel et Commercial (CIC). Peu importe ce que cela va couter, nous autres haitien.ne.s doivent savoir que, dans cette affaire, nous n’avons absolument rien à perdre. Cela doit être une bataille de la société haïtienne dans sa globalité pour obtenir ce que la France nous doit. Elle sera portée par les jeunes générations qui vont se constituer – sur le terroir et dans la diaspora – en associations, en thinktank et en groupes de pression pour mener un combat de longue haleine ; l’objectif étant de porter les élites françaises et les médias français à accepter l’impérieuse nécessité de restituer à Haïti – en espèces sonnantes ou en équivalent en projets de construction d’ouvrages importants – la totalité des ressources financières subtilisées.

En ce qui nous concerne, Il ne s’agit plus de dénonciations stériles, mais d’une série successive d’actions contraignantes à entreprendre par tous les fils et filles du pays. Ces actions seront à la mesure de nos pertes et des torts qui nous ont été causés. Notre indignation face à cette pauvreté qui nous a été imposée par la France, avec la complicité des États-Unis, nous commande de prendre tous les risques possibles pour obtenir gain de cause. Le chemin à parcourir sera peut-être long et périlleux, mais il va falloir se préparer adéquatement en s’armant d’une détermination à toute épreuve et en utilisant une stratégie basée sur les technologies de la communication, les réseaux sociaux et les mobilisations sur des terrains bien choisis, tant en Haïti que dans la diaspora. Parallèlement, il faudra travailler pour mettre en place un point d’appui politique au niveau national et se défaire des nullards placés aux timons de la politique nationale par l’entité néocoloniale connue sous le nom barbare de Core Group. En même temps, il faudra se doter de moyens pour éviter d’être pris d’assaut par des politicards qui sont en quête de tribune pour redorer leur blason.

L’histoire des grands pillages en Haïti nous a laissé des leçons édifiantes et c’est le moment de les utiliser à bon escient. Depuis le procès de la Consolidation (sous le règne de Nord Alexis) jusqu’au méga-scandale de PetroCaribe (sous les règnes ténébreux de Préval et de Martelly), on a vu la façon dont les affairistes politiques et les réseaux internationaux de corruption ont réussi habilement à capoter toutes les démarches effectuées pour obtenir réparation. Donc, il est nécessaire d’être pleinement conscient de ce genre de risques pour mener cette longue bataille visant à obtenir de la France la restitution des ressources volées sans vergogne en Haïti.

Étant donné qu’un long chemin à parcourir commence toujours par un petit pas, il faut – pour donner suite au déclic occasionné par les résultats de l’enquête du New York Times – commencer quelque part. Une initiative simple, comme la création d’un hashtag mobilisateur sur les réseaux sociaux, pourrait être un bon début ; en ce sens qu’il pourra se révéler un point virtuel de ralliement (sans coût financier) et faciliter la mutualisation des efforts de toutes les personnes intéressées par cette cause haïtienne qui, à terme, pourra devenir une cause à embrasser par le monde noir – en particulier – et par toutes les victimes du capitalisme prédateur, en général. Alors, pourquoi ne pas essayer : #OccupezTourEiffeilReparezHaiti … ?

* Membre du haut conseil de l’Université Publique du Sud-Est (Upsej) à Jacmel
garyolius@gmail.com
25 mai 2022

https://sete.toureiffel.paris/fr

 

 

 

Source: APR

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *