Raoul Peck: lettre ouverte à Ariel Henry et amis complices

Port-au-Prince, le 8 avril 2022
Monsieur Ariel Henry et amis complices,

Aucun citoyen ne doit rester silencieux face aux souffrances de son pays.

Aucun citoyen ne pourra se prévaloir de n’avoir pas su.

Se taire c’est se rendre complice de l’inacceptable.

Personne ne peut plus prétendre à l’innocence, à l’impartialité ou à la neutralité dans cette guerre.

Car c’est de guerre qu’il s’agit.

Une guerre contre tout un pays.

Une guerre contre toute une population.

Comment encore se dire citoyen quand notre propre devenir nous indiffère ?

Comment peut-on ne pas s’engager ?

La parole s’est toujours imposée à moi chaque fois qu’il fallait amplifier le cri de mon pays, quand trop souvent les chiens se taisent, surtout quand ils sont de garde.

Aujourd’hui est un de ces jours où il ne faut pas se taire.

S’opposer au silence des lâches.

Monsieur Ariel Henry et amis complices,

Celles et ceux qui se sont vendus comme étant les plus dignes, les plus intègres, ont accepté et acceptent encore des postes de ministre dans un gouvernement illégal, sans éthique.

A l’ère du faire semblant, des ministres squattent des ministères, prétendent prendre des décisions, voyageant, brassant du vent, des salaires et des commerces douteux.

Monsieur Ariel Henry, qui vous a fait roi ?

Serait-ce le Président Jovenel Moïse qui d’ailleurs n’avait plus de mandat constitutionnel ? Serait-ce le tweet de vos protecteurs du Core Group ? Désigné Premier Ministre, avez-vous jamais été homologué ?  Même quand on vous concéderait cette désignation illégale, au plus tard le 7 février 2022, vous auriez dû partir, quelle que soit l’argutie juridique utilisée.  Vous ne pouvez prétexter détenir aucun mandat.

Vous pouvez vous accrocher au pouvoir, mais sachez que ceux qui vous ont fait roi cesseront de vous porter dès que le peuple revendicatif parviendra à vous imposer son alternative consensuelle de pouvoir d’Etat. Ils vous lâcheront vite dès que leur opinion publique commencera à se poser des questions sur la ténacité et maturité du peuple haïtien.

Monsieur Ariel Henry, Amis et complices,

Face à la misère sociale, économique, morale, là où d’autres réfèreraient à votre incapacité ou votre incompétence, je constate que vous n’êtes que dans la démonstration de la limite de votre pouvoir et de votre mépris pour nos luttes. Vous vous réclamez d’un pouvoir qui n’existe pas parce qu’incapable de répondre aux urgences du moment :

L’effondrement du pouvoir d’achat de l’ensemble de la population ;

La faim et le désarroi qui règnent dans une grande partie du pays, coupé de la capitale ;

L’insécurité générale qui porte les gens à se terrer chez eux, pendant que d’autres, qui n’ont pas le choix, s’exposent à toutes sortes de dangers au quotidien ;

Les enlèvements, devenus une industrie florissante dont profitent beaucoup de gens, autres que les membres des gangs armés.  Leurs noms seront dévoilés au moment venu, quand la justice sera rétablie dans ses droits.

De grandes entreprises participent également à ce délabrement en payant pour faire circuler leurs camions, gérer leur port, garantir leur approvisionnement.  Avec pour seule ambition, survivre un autre jour.  Sans comprendre qu’ils sont en train de creuser leur propre tombe. Car il sera beaucoup plus difficile de faire rentrer la couleuvre dans la calebasse.

Monsieur Ariel Henry et amis complices,

Les dossiers sont connus, d’autres devront voir le jour incessamment. Cela va du détournement d’argent, des assassinats à la corruption en bande organisée, au trafic d’armes et de personnes, et surtout, au blanchiment des avoirs – ô crime suprême pour votre tuteur du jour, notre grand voisin américain-.

Tous vous mettront tout sur le dos. Tous vous lâcheront. Vos anciens amis, vos présents alliés, vos patrons américains et européens. Vous spéculez que le Pentagone, votre nouveau maître, vous soutiendra jusqu’au bout ? Vous vous trompez.

La presse américaine a lancé une multitude de bouteilles à la mer pour essayer de préparer leur opinion publique à une solution militaire camouflée en action policière. Mais heureusement les avancées et acquis de l’accord dit de Montana ont neutralisé ces velléités d’intervention.

Mais l’option reste sur la table et vous avez été désigné comme le maillon faible pour faciliter une telle pseudo solution. Tant pis pour vous. La lutte continue. Et à terme, comme beaucoup d’autres avant vous, vous vous retrouverez paria de l’Histoire, banni par la société dans un pays qui ne sera plus le vôtre.  Vous rendrez des comptes.

S’il y a une chose que vous ne devriez JAMAIS oublier, c’est que le peuple haïtien a toujours su se débarrasser de ceux qui l’étranglent avec leurs bottes, de ceux qui abusent de lui, de ceux qui n’avaient pour seule boussole que de l’exploiter, de l’humilier, d’exécuter les ordres de leur maîtres et complices étrangers.  Toujours.

Monsieur Ariel Henry et amis complices,

Faut-il vous le rappeler ? Le pouvoir est toujours éphémère.

Au-delà de la misère et des peurs que vos alliés et vous faites vivre tous les jours aux Haïtiennes et aux Haïtiens, ce qui est triste et pathétique, c’est que ce pouvoir que vous voulez garder à tout prix n’est qu’une boîte vide. Un cercueil fragile et vide.

Et, puisque de toutes les manières, vous allez devoir quitter le pouvoir, faisons comme si c’était déjà fait et parlons à tous les autres, vos accessoires :

A tous ceux qui ont réussi jusqu’ici, à rester hors du regard public, hors des polémiques politiques, à ceux qui opèrent dans les coulisses, ceux qui font jouer leurs contacts aussi bien avec les gangs qu’avec les politiciens véreux, avec les faux syndicalistes qu’avec les faux leaders populaires, avec les anciens élus qu’avec l’international ;

Vous qui avez au début, soutenu l’accord Montana, puis l’avez ensuite boycotté et même tenté de le déstabiliser, lorsque vous vous êtes aperçu que vous ne pouviez en prendre le contrôle;

Vous, qui après l’avoir accepté, avez prouvé qu’un processus réellement « koupe fache » vous déplaisait tout à coup, car cela vous demanderait de devoir abandonner vos prébendes, de ne plus avoir d’interlocuteurs dans les sphères d’Etat que vous pouvez soudoyer, que vous ne puissiez plus faire la pluie et le beau temps au parlement ou au sénat ; qu’il vous faudra de plus payer correctement vos impôts, rembourser à la DGI l‘argent que vous devez, respecter les lois tarifaires du pays et renoncer pour certains à vos connivences avec les gangs.

Permettez que je vous dise que vous rendrez aussi des comptes. Tôt au tard.

A la presse haïtienne dans son ensemble, je voudrais dire quelques mots :

Pour certains d’entre vous, commerce ne devrait pas venir avant information. Même si cela est déjà le cas vrai pour beaucoup de vos confrères des « démocraties » du Nord.  Cette liberté de la presse dont vous jouissez tous, a été payée par le sang des enfants de Gonaïves, par le sang des prêtres comme Jean Marie Vincent, ou des hommes droits comme Antoine Izméry, par la torture de poète comme Jacques Roche, par les assassinats de beaucoup d’entre vous, comme Jean Dominique, Diego Charles et Antoinette Duclair, ou par la disparition de Vladimir Legagneur.

Oui cette liberté dont vous faites si légèrement usage, a été acquise par le combat et le sacrifice de beaucoup d’autres haïtiens avant vous. Et force est de constater que certains d’entre vous ne sont pas à la hauteur des exigences de la nation aujourd’hui.

Je pourrais citer des noms, mais à quoi bon, vous vous reconnaitrez. Certains font partie de mes anciens amis.

Je sais que vous n’avez pas de leçon à recevoir de moi. Peut-être. Mais vous en avez à recevoir de la nation.

J’ai aussi quelques questions à poser aux soi-disant grandes familles de la société.

Qui vous a donc fait grand ? Est-ce à travers vos sacrifices pour le pays? Est-ce par vos faits d’armes démocratiques ? Eclairez-moi, en quoi consiste votre grandeur ? Certes, certains d’entre vous se sont engagés dans certaines de nos batailles. Là où le risque ne mettait pas en danger l’essentiel : ne pas renverser totalement l’ordre des choses, ni le rapport de force. « Wòch nan dlo, wòch nan solèy » avait dit le prêtre.

Combien d’entre vous n’ai-je pas croisé sortant de chez le nouvellement élu président Aristide. « Wòch nan dlo, wòch nan solèy » avait-il répété. Et vous étiez tous accourus chez lui pour déjeuner, cherchant à calmer son ardeur et trouver des compromis. Moi, assis dans l’avant pièce, je vous regardais sortir un à un de sa tanière.

J’ai souvent été témoin de vos conversations. Vous comme moi, savez que votre non-action n’est plus tolérable. Et, ne vous y méprenez pas, vous rendrez des comptes. Tôt ou tard.

Maintenant, j’aimerais parler à certains soi-disant « leaders » politiques.

Ceux qui habitent tous frais payés, dans les suites des grands hôtels alors qu’ils n’ont aucun travail officiel pour justifier leurs dépenses ;

Ceux qui sont toujours prêts à parler au nom du peuple alors qu’ils roulent en quatre quatre offert par on ne sait qui ;

Ces mercenaires cyniques qui exploitent la douleur et les malheurs de la population pour se remplir les poches et vivre comme des princes, sous prétexte qu’ils ont été, il y a longtemps – très longtemps – « sur le béton ».

Vous n’êtes que des défenseurs du peuple qui ne défendent que leur poche. Vous aussi, rendrez compte tôt ou tard.

Pour finir, je souhaiterais écrire quelques mots sur l’accord Montana.

J’ai participé, avec beaucoup d’autres citoyens, à la genèse de cet accord. Cet accord est le résultat de longues et intenses discussions, avec la majorité des organisations de la société civile tant en Haïti que dans la diaspora, et des corps intermédiaires : syndicats, églises et autres, et avec la totalité du monde politique.

Cela n’a pas toujours été facile, et cela ne l’est toujours pas. Tous les jours, les organes transparents désignés ou élus, doivent déjouer des tentatives par les uns ou les autres de revenir à des schémas de pouvoir ancien, à des réflexes de cultes de la personnalité, à des ententes d’arrière-chambre entre quelques « leaders illuminés » pour essayer de faire capoter le mouvement à leur avantage.

Ce qu’ils ne comprennent pas toujours, c’est que cet accord est inédit dans l’Histoire de notre pays. Cet accord, par sa transparence, sa diversité, son éthique, son cadre démocratique et plus que tout, par le fait qu’il s’appuie exclusivement sur des procédures, des structures, des feuilles de route, et non comme à l’habitude sur des personnalités, n’appartient de ce fait, ni à un groupe ni à un réseau quelconque.

C’est l’accord de tous.  Il est nôtre.  Un accord unique de sortie de crise, légitime, transparent et démocratique, qui nous permettra d’organiser des élections honnêtes, fiables, participatives, et en toute sécurité, auxquelles le peuple haïtien pourra exercer son droit à l’égalité politique, un homme/une femme, une voix.

Raoul Peck

Citoyen

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