Le gouvernement rêve de référendum, à l’ONU on rêve d’élections
Le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni en session le jeudi 17 mai 2021 pour plancher sur la crise sociopolitique profonde que traverse en ce moment Haïti. Les États-Unis d’Amérique continuent de prescrire des élections législatives sans délai, la cheffe du Bureau des Nations unies en Haïti, elle, juge impératif d’organiser les élections locales, parlementaires et présidentielle tandis que le Premier ministre a.i. a donné la garantie que l’exécutif haïtien s’active pour s’assurer du transfert du pouvoir à un « président légitimement élu » le 7 février 2022.
Pour le représentant des États-Unis, Jeffrey Delaurentis, le gouvernement d’Haïti ne s’est pas suffisamment concentré, ces quatre derniers mois, sur la priorité la plus urgente qui consiste à organiser des élections parlementaires en 2021. « Le seul moyen de sortir du régime présidentiel par décret est la tenue d’élections libres et équitables afin que la législature haïtienne puisse reprendre son rôle constitutionnel, et qu’un président élu succède au président Moïse à la fin de son mandat, le 7 février 2022 », a indiqué Jeffrey Delaurentis avant de rappeler que les États-Unis ont exhorté à plusieurs reprises le gouvernement d’Haïti et les acteurs politiques à créer les conditions pour la tenue d’élections parlementaires et présidentielle libres et équitables cet automne.
Les États-Unis ont décidé de contribuer à la tenue de l’élection présidentielle libre et équitable en 2021en fournissant plus de 3 millions de dollars au « Consortium for Elections and Political Process Strengthening », a-t-il ajouté.
La représentante de la France au Conseil de sécurité, Nathalie Broadhurst Estival, a abondé dans le même sens que son collègue américain en jugeant que la priorité est d’organiser les élections législatives et présidentielle prévues cet automne. « Pour s’assurer de leur crédibilité, il importe en premier lieu que les autorités garantissent la sécurité des électeurs », a souligné la représentante française après s’être déclarée très préoccupée par la situation en Haïti, où, faute d’élections, le Parlement ne siège plus depuis janvier 2020, tandis que le président continue de gouverner par décret.
Il convient d’établir, selon elle, des listes électorales fiables et d’accélérer la distribution des cartes d’identification avant d’appeler toutes les parties à œuvrer à l’élaboration d’un consensus qui permette « la tenue d’un scrutin transparent dans un climat apaisé ».
Pour sa part, le Premier ministre par intérim, Claude Joseph, a assuré que l’exécutif haïtien, en attendant que l’opposition « se résolve enfin à jouer la carte du dialogue », « assume ses responsabilités » en se concentrant sur l’organisation des élections avant la fin de l’année, en vue de renouveler le personnel politique, de remettre en fonctionnement les institutions démocratiques et d’assurer le transfert du pouvoir à un « président légitimement élu » le 7 février 2022.
« Seules des élections honnêtes, démocratiques, libres, inclusives et crédibles sont susceptibles de garantir la stabilité politique nécessaire à la stabilité socioéconomique et au progrès de la nation », a fait valoir Claude Joseph, qui en a profité pour décrocher quelques flèches en direction de l’opposition politique. Contrairement à ce que pensent certains membres de l’opposition, a affirmé le Premier ministre par intérim, « la voie de la transition est la voie à éviter pour Haïti ». De 1986 à 2016, a-t-il rappelé, le pays a connu pas moins de 15 gouvernements de transition, dont 10 pour la seule période de 1986 à 1993, « avec pour seuls résultats de véritables paralysies institutionnelles et l’aggravation de la faiblesse de l’État ».
Si pour le représentant du Mexique, Juan Ramon De La Fuente, la situation politique, sécuritaire et des droits humains ne s’est pas améliorée dans le pays depuis février, il a néanmoins souligné l’importance de tenir des élections législatives, présidentielle et municipales avant la fin de cette année. Il a ensuite appelé les autorités, les partis politiques et la société civile à placer l’avenir du pays avant leurs intérêts personnels, pour ensuite insister sur l’importance du dialogue pour appuyer le renouveau démocratique et le développement durable d’Haïti.
« C’est essentiel pour remettre Haïti sur les rails de la stabilité et de la prospérité », a estimé Alice Jacobs, représentante du Royaume-Uni, après avoir réclamé des élections libres, justes, crédibles et transparentes en Haïti pour permettre le transfert du pouvoir en février 2022.
Par contre, son collègue irlandais, Martin Gallagher, a fait remarquer que moins de 100 jours avant le premier tour des élections législatives proposées, il faut intensifier les préparatifs afin que le peuple haïtien puisse exercer sa volonté démocratique aux urnes. Les élections, a-t-il souligné, constituent un pas crucial pour rétablir la crédibilité et le dynamisme des institutions démocratiques haïtiennes.
Helen La Lime, représentante spéciale du secrétaire général pour Haïti et chef du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), a pour sa part noté que la situation en Haïti s’est détériorée à l’approche des élections prévues pour l’automne. « Un accord reste hors de portée, alors que la rhétorique utilisée par certains dirigeants politiques devient de plus en plus acrimonieuse », a fait remarquer Mme La Lime, estimant qu’un consensus politique demeure le meilleur moyen possible de tenir un processus pacifique qui permettra au peuple haïtien d’exercer pleinement son droit de vote.
Alors qu’Haïti se prépare à entrer dans un nouveau cycle électoral, un processus inclusif et participatif sera essentiel pour consolider la voie vers la bonne gouvernance et la stabilité politique dans le pays, a-t-elle déclaré.
Pour Chantal Hudicourt Ewald, avocate au barreau de Port-au-Prince et ancienne membre de l’Assemblée constituante haïtienne de 1986 à 1987, le contexte sociopolitique actuel rend très difficile, pour ne pas dire impossible, la mobilisation de la population pour un quelconque processus électoral. La première préoccupation de la population, majoritairement pauvre, est de satisfaire ses besoins primaires. Les gangs font la loi. Les kidnappings, les vols, les viols, les crimes nous menacent tous. L’avocate a précisé que les habitants des quartiers défavorisés, à forte densité de population, sont les principales victimes. Les entreprises sont parfois forcées de fermer leurs portes à cause des gangs, a-t-elle conclu.
Source: Le Nouveliste