Les lois copiées-collées
Il est une tradition en Haïti pour le législateur de s’inspirer des lois françaises pour meubler le corpus juridique haïtien. On a recours depuis des siècles à cette forme d’aide juridique pour meubler nos codes et autres textes.
Au fil des années, de l’inspiration, on est passé au copié-collé. Il faut dire que les versions numériques des textes aident beaucoup les rédacteurs peu inspirés. Certains des derniers décrets publiés sont des perles rares en la matière.
Depuis quelques années, la France n’est plus la seule source de nos lois. Il y a aussi les textes issus des pays d’Afrique francophones et les prêts-à-voter fournis avec des projets d’aide de la communauté internationale. Les organismes de financement apportent de plus en plus d’argent et de lois dans un paquet complet que les consultants trimballent d’un pays aidé à l’autre.
Dans les fameuses conditionnalités des millions et des appuis divers, il y a des lois qu’il faut adopter d’urgence, des dispositions à modifier et des habitudes à changer. Haïti prend son temps, rechigne et d’un coup publie tout, en absence de Parlement généralement. Il en est ainsi depuis plus de cinquante ans !
Au fil des ans, Haïti s’est retrouvé avec des montagnes de lois venues d’ailleurs mais qui ne sont ni taillées sur mesure pour ses réalités ni portées par un parrain local, autorité en poste ou parlementaire. Le consultant étranger reste dans l’ombre ; le ministre haïtien veut les millions sans la responsabilité de défendre un texte qu’il n’a ni écrit, ni lu, ni souhaité ; et un jour, tour de passe-passe, la loi est bonne pour publication.
Si un jour, parce que le Parlement ne peut pas faire autrement ou comme aujourd’hui le gouvernement a les mains libres pour publier tous les textes qui traînent, il y a une fenêtre d’opportunités pour débarrasser les classeurs, alors on accouche des lois à la pelle.
Notre registre regorge de lois non désirées comme autant d’enfants mal aimés.
Le pays se retrouve subitement enrichi de dizaines de lois, de milliers d’articles qui ne parlent pas la langue du pays ni n’épousent les préoccupations de la population, ni ses coutumes.
Dans l’histoire de nos grandes publications de textes de loi, il y a les lois Duvalier, souvent publiées lors des vacances du Parlement. Il y a les textes de circonstance et de transition du Conseil National de gouvernement (CNG) après la chute de la dictature. Il y a les lois Avril, du nom du général Prosper Avril, président provisoire. Il y a les lois des deux présidents Lavalas, Jean Bertrand Aristide et René Préval. Il y a les textes de Boniface Alexandre, encore un président provisoire. Et voilà la fournée des Jovenel Moïse qui ressemble beaucoup aux textes du président Michel Martelly.
Depuis les années 2000, beaucoup de lois, arrêtés, décrets et compagnie sont des copiés-collés suggérés par des pays et institutions amis qui veulent le bien d’Haïti ou qui souhaitent façonner la société haïtienne à leur image.
Les nouvelles dispositions ont la vertu d’exister et le malheur de ne pas être appliquées car jamais expliquées à la population. Les gouvernements successifs les ont publiées pour faire plaisir à leurs tuteurs et surtout pour faire passer les vrais textes qui les tiennent à cœur.
Les vrais gagnants de la stratégie « copier-coller » ne sont ni ceux qui les suggèrent ni la population, mais le président et son équipe qui mènent un combat ou veulent régler une situation en légiférant sur mesure.
Source: Le Nouveliste