Les douze personnalités de 2019

Pour la neuvième année consécutive, Le Nouvelliste publie la liste des personnalités, évènements et phénomènes qui ont marqué l’année. Par ordre alphabétique et sans prendre en compte ce qui est bien ou mal dans leur parcours, nous publions ci-après la liste de ceux qui ont pesé sur 2019. Notre parti pris cette année est de rendre hommage aux résistants, de faire la part belle à ceux qui construisent, à ceux qui croient en un avenir possible et meilleur ici, pas à ceux qui détruisent la richesse d’Haïti et font le lit du désespoir et de la misère des Haïtiens et des Haïtiennes. Comme chaque année, cette liste reflète les choix de la rédaction du journal.

 

 

Paul G. Altidor : Ambassadeur d’Haïti à Washington sous trois présidents (Michel Martelly, Jocelerme Privert et Jovenel Moïse), ce qui est suffisamment rare pour être souligné, Paul Altidor, avant de rejoindre la diplomatie haïtienne, avait travaillé pour la Société financière internationale (SFI), la branche privée du groupe de la Banque mondiale après avoir obtenu son diplôme du DUSP de MIT.

Altidor a ensuite rejoint le Clinton Bush Haiti Fund en tant que vice-président, les deux anciens présidents américains en étaient les coprésidents. Cet organisme bipartisan s’était donné pour tâche d’aider Haïti à se relever après le séisme du 12 janvier 2010.

Cet originaire de Jérémie dans le département de la Grand’Anse, diplômé du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), a su donner, pendant son passage, de mai 2012 à mars 2019, une aura extraordinaire au # 2311 du Massachusetts Avenue, Northwest, à Washington, D.C., là où la mission haïtienne a appris à faire jeu égal (toutes proportions gardées) avec les autres adresses de cet « Embassy Row » où loge l’élite des diplomates accrédités dans la capitale américaine.

Le premier défi d’Altidor a été de retaper l’ancienne bâtisse que les Taïwanais avait offerte à Haïti pour un dollar symbolique. Le local qui loge aussi la mission d’Haïti auprès de l’OEA, l’unité du ministère de l’Intérieur qui fabrique tous les passeports haïtiens émis à l’étranger et le service consulaire a enfin la gueule d’une maison impeccable sur ses six niveaux. Classée par le patrimoine de la ville, ce qui rend toute réparation délicate et coûteuse, elle vaut plus de dix millions de dollars, faut-il le rappeler.

Le deuxième défi pour Paul Altidor a été d’aménager l’accueil des compatriotes qui font des heures de route avant d’arriver sur place. La mission est l’une des plus accueillantes par sa beauté, son service de petite restauration et la rapidité de livraison des documents réclamés.

La cuisine de l’ambassade est devenue l’une des plus célèbres de la capitale américaine quand les personnalités du Congrès des Etats-Unis d’Amérique et responsables politiques des deux camps se sont mis à y défiler pour apprendre les secrets des plats haïtiens avec des chefs de chez nous. Altidor a pu ainsi s’entretenir plusieurs heures avec responsables et élus américains de tous bords pour les sensibiliser au TPS pour les Haïtiens tout en comparant les subtilités gustatives de la boulette de morue à l’haïtienne et de l’acra de malanga.

Pour ne rien gâcher, l’ambassade, sous l’administration de Paul Altidor, était devenue un écrin pour la culture haïtienne : tableaux en exposition permanente, projection de films, défilés de mode, rencontres en tous genres ont mis en avant le meilleur d’Haïti dans cette ambassade qui avait cessé d’être la honte des Haïtiens. Un point de rencontre aussi pour des centaines d’Haïtiens de deuxième et de troisième génération hautement qualifiés et installés aux USA mais désireux de flirter avec une image digne de leur pays d’origine.

Cerise sur le gâteau, Altidor a tenté de redonner sa place à la représentation haïtienne auprès des autorités américaines en tentant de casser la préséance de l’ambassade américaine de Port-au-Prince dans toutes les affaires haïtiennes. Il a exigé et a fini par obtenir d’être informé par Port-au-Prince de ce qui se disait avec les Américains et porté les officiels américains à l’avertir avant de se rendre à Port-au-Prince. Ce fut son combat le plus difficile. Depuis des années, les autorités haïtiennes ne croient plus en leurs diplomates et les sinécures de nos missions sont souvent confiées à des incompétents notoires par calcul mesquin ou comme récompense politique.

Bien qu’il ait demandé a être relevé de ses fonctions après sept ans, Paul Altidor sera révoqué un matin de la plus laide des manières : une lettre d’une ligne. Il obligea la chancellerie à mettre les formes, à faire un audit et organisa, avec les diverses associations de la diaspora qui avaient apprécié son leadership, une soirée d’adieux qui restera dans les annales de la diplomatie haïtienne.

Après un congé sabbatique de quelques mois, on doit retrouver au printemps 2020 Paul Altidor comme professeur invité au Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour dispenser un cours intitulé «Planification (de réingénierie) et groupes de la diaspora» « (Re)engineering Planning and Diaspora Groups » au Département d’études urbaines et de planification (DUSP, en anglais), le département de l’École d’architecture et de planification du MIT.

Altidor a pour objectif « d’encourager les étudiants à examiner l’évolution des groupes de la diaspora, plus précisément comment les deuxième et troisième générations de descendants d’immigrés nés aux États-Unis sont devenues des moteurs de croissance dans leurs communautés aux États-Unis et dans les régions d’origine de leurs parents ».

Arnold Antonin : En Haïti, chacun fait son cinéma. Souvent sans caméra ni aucun autre moyen que leur imagination. Ces films virtuels alimentent les conversations et ne sortent dans aucune salle obscure. Avec Arnold Antonin, c’est tout le contraire.

Avec le peu de moyen disponible, le cinéaste allonge une œuvre qui aujourd’hui est d’un poids certain. Auteur de longs et de courts métrages, d’œuvres de fiction (« Le président a-t-il le sida ? » ou « Les amours d’un zombi ») et de documentaires (« GNB contre Attila »), portraitiste de nos plus illustres figures comme d’humbles méritoires (« Le faiseur de fanaux » ou « Ti Machin, la femme mécanicien »), Arnold Antonin est devenu notre Monsieur Cinéma.

La filmographie d’Arnold Antonin, en construction continue depuis 1974, compte déjà plus d’une cinquantaine de films en 16 millimètres ou sur support vidéo. Les sujets sont variés mais c’est la même passion de cet art, l’envie de la partager qui les traverse tous.

Le cinéaste s’est beaucoup intéressé aux créateurs, a proposé des films aussi bien sur les peintres Cédor, Préfète Duffaut, les écrivains Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Frankétienne, Jacques Roumain, Anthony Phelps, Bernard Diederich. Antonin nous offre de lire, de regarder Haïti par la lorgnette de sa caméra. Polyvalent, il écrit lui-même les textes de support aux documentaires, qu’il lit certaines fois.

Arnold Antonin est toujours sur les routes, dans les avions. Il va à la rencontre des lieux, des sujets. Il a ramené Frankétienne à sa Ravine Sèche natale pour tourner en 2015 « Traversée des mondes de Frankétienne » ; comme il est retourné sur les traces de Jacques Stephen Alexis pour tourner « Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture », s’est rendu auprès de René Depestre en France, d’Anthony Phelps à Montréal pour « René Depestre on ne rate pas une vie éternelle et « Anthony Phelps à la frontière du texte ».

Dans des conditions, sans doute pas simples, Arnold Antonin nous amène des mots, des images, des vies qui donnent sens à ce que nous sommes et nous rappellent, au milieu de la tempête, que nous sommes capables de merveilles.

Marc Alain Boucicault : S’il y a un modèle de courage pour cette année de peyi lòk, Marc Alain Boucicault et son entreprise Banj en font partie.

Les locaux, installations et équipements de cet incubateur pour entreprises ont été attaqués, à chaque fois, lors de chacune des grandes manifestations de 2019. Détruit deux fois, les initiateurs du projet ont su repousser les frontières de l’impossible pour recommencer, à chaque fois.

En ce mois de décembre, c’est la troisième inauguration qui a eu lieu.

Banj, non prétentieux parce qu’il fait référence à l’intelligence absolue, est devenu l’exemple même de la victime des épisodes de peyi lòk.

Par le feu ou le vol, les vandales ont saccagé et détruit l’œuvre de ces jeunes entrepreneurs qui voient Haïti autrement. Bien entendu, l’entreprise a de bons sponsors, mais, avant tout, il faut du courage pour ne pas baisser les bras et encore plus pour rester sur le terrain quand on peut être très bien ailleurs.

En Banj et en l’équipe autour de Marc Alain Boucicault, il convient de saluer ceux qui rêvent encore d’un pays meilleur et qui y travaillent. A leur façon. Avec un excès d’optimisme, peut-être. Mais l’optimisme n’est jamais de trop dans notre pays.

Etzer Emile : Auteur d’un best seller remarqué, « Haïti a choisi de devenir pauvre, les vingt raisons qui le prouvent », ce professeur d’université, consultant d’entreprise, conférencier vedette, multiplie les présences dans les médias et ne marchande jamais sa disponibilité pour partager ses points de vue et débattre.

Chouchou des jeunes publics de Port-au-Prince, de la province et de la diaspora, Etzer Emile s’inscrit dans la nouvelle liste des voix qui portent.

Sur les traces de Kesner Pharel, il partage le pain de la compréhension des questions économiques et fait la promotion de l’entrepreneuriat. Jamais en reste pour encourager les jeunes à s’engager, Emile, fils de pasteur, prêche aussi contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

Etzer Emile appartient avec d’autres jeunes de moins de 40 ans à la génération qui monte et qui essaient d’éviter les écueils de leurs aînés. La route qu’ils empruntent n’est pas la plus aisée mais elle est exaltante et les amène au plus près des problèmes et des gens.

Père Richard Leo Frechette : Quand en janvier 2018 le New York Times sort un long article multimédia sur le travail du père Richard Leo (Rick) Frechette, (article dont la traduction sera publiée par Le Nouvelliste), beaucoup de gens découvrent le travail de ce religieux américain originaire du Massachusetts qui se dévoue à donner, semaine après semaine, une sépulture chrétienne aux plus pauvres d’entre les pauvres : les cadavres abandonnés d’Haïtiens trop pauvres ou sans famille. En dix ans, le prêtre offrira des funérailles à plus de trente mille d’entre nous.

Un an plus tard, c’est ce sacerdoce qui remet en lumière le travail de l’humaniste Rick Frechette. Alors qu’il est connu de tous qu’il enterre nos morts abandonnés régulièrement, une station de radio lance la rumeur que ce sont des cadavres liés à de la répression politique. En temps de peyi lòk, il ne fallait pas plus pour que son équipe et lui se fassent attaquer. Ils échappent de peu à la mort après un affrontement entre gangs de la zone.

En fait, plus que nos morts, Rick Frechette s’occupe surtout de nos vivants. L’œuvre qu’il dirige depuis des années avec « Petits Frères et Sœurs » gère des écoles pour plus de deux mille enfants, s’occupe d’handicapés, monte des orphelinats et offre deux hôpitaux de référence.

Saint-Damien, principal hôpital pédiatrique du pays (224 lits, dont une vingtaine pour un des rares services d’oncologie du pays qui prend en charge les cancéreux) abrite un programme de résidence hospitalière pour la formation des jeunes cadres médicaux.

Saint Luc (100 lits, dont 14 sont dédiés aux traumas avec un plateau technique de qualité et le personnel adéquat) dispose d’un Training Center, construit en collaboration avec la USAID, dédié à la formation médicale continue. Le centre organise aussi des conférences scientifiques pour la communauté médicale en Haïti.

Ces deux hôpitaux, situés à Tabarre, offrent à coûts modiques des services médicaux de pointe et de qualité à plus de 80 000 patients par an et entretiennent des collaborations avec des centres de santé huppés à l’étranger.

Ordonné prêtre en 1979 (congrégation des Passionistes), installé en Haïti depuis 1987, le père Frechette est devenu médecin en 1998 pour mieux servir les Haïtiens. La Fondation St-Luc qu’il dirige aura bientôt vingt ans et administre plus d’une trentaine d’écoles. De nombreuses cliniques médicales, des maisons à bon marché et des programmes de développement communautaire qui allient entrepreneuriat, micro-entreprises, microcrédit, distribution d’aide alimentaire et secours en cas de désastres, complètent l’offre de service de la Fondation.

Au fil des années, l’ONG est devenue un partenaire fiable de plusieurs organismes internationaux pour intervenir dans les quartiers difficiles. Quand on regarde les photos de Rick Frechette, on le voit dans son sacerdoce religieux aussi bien avec Mère Theresa, le pape Jean Paul II ou avec des vedettes de la chanson et du cinéma. Il finance toutes ses activités à partir de collectes de fonds dans les grandes capitales du monde là où les mécènes sont disponibles.

Ces dernières années, le père Frechette n’a raté aucune de nos crises : violences après le coup d’Etat militaire, violences lors de l’opération Baghdad, violences du séisme, violence du choléra, violence au quotidien, violence des gangs. A chaque fois que les plus pauvres sont exposés, le père Richard Leo (Rick) Frechette est là. Il dit la messe, soigne les corps, nourrit les âmes et enterre nos morts laissés-pour-compte.

Le gallon jaune : vedette quelques jours, aujourd’hui oublié, le gallon jaune, ce récipient en plastique qui sert à stocker en temps ordinaire le plus précieux des liquides dans les quartiers où il n’arrive pas par adduction d’eau potable mais doit être transporté à dos d’homme ou de femme, a été pendant le mois de septembre le fidèle compagnon des automobilistes et de tous ceux qui s’étaient réinventés en marchands de carburant.

En ce temps-là, le gouvernement, incapable de payer sa facture pétrolière, avait provoqué une rareté de produits pétroliers ou les importateurs d’essence, inquiets de toucher leurs dus, avaient fermé les vannes.

Aujourd’hui encore, si on peut débattre sur les causes réelles de la rareté et même sur sa réalité, un fait demeure, la mauvaise gouvernance peut, à tout moment, affecter le pays et forcer tout le monde à en payer les conséquences.

C’est de ce mouvement gallon jaune-rareté d’essence que naîtra le plus long épisode de peyi lòk.

Reste que si les longues files dans les stations-services sont oubliées, chacun a gardé un gallon jaune au cas où.

L’Etat, entre-temps, ne peut toujours pas convaincre la population que le pétrole doit être payé aux justes prix, ni que les taxes sont utiles et bien gérées.

Toute l’incapacité du gouvernement haïtien à monter un budget équilibré, à traiter avec ses partenaires internationaux, à investir pour le mieux-être de la population et dans des projets viables passe par un seul symbole : le gallon jaune.

Dany Laferrière : C’est pour un mot que celui qui fut l’invité d’honneur de la 25e édition de Livres en folie figure dans ce palmarès : Vertières.

La dernière bataille de la guerre de l’Indépendance haïtienne n’existait dans aucun dictionnaire. Grâce à une stratégie digne des plus grands généraux, l’Académicien Dany Laferrière a fait entrer Vertières -le fracas de la mitraille, le cheval mort, le boulet de canon, Capois la Mort, les honneurs rendus par Rochambeau- dans les pages du dictionnaire de l’Académie française.

Ce n’est pas peu.

Pour cela, il a attendu patiemment que l’on arrive au mot Victoire pour proposer Vertières dans un exemple qui illustre le mot. Belle manière.

Pour le faire, à l’hôtel Marriott de Turgeau, en conférence de presse lors de son passage à Livres en folie, Dany a expliqué avoir dû ruser, se montrer patient et se faire des alliés. Ce jour-là, en plein peyi en phase de delòk, Dany, qui ne rate jamais une occasion de parler politique haïtienne en faisant celui qui n’y touche jamais, prit le temps d’expliquer qu’il faut savoir mener une lutte, une bataille, une guerre.

Merci, Dany, pour cette belle page qui n’allonge pas ta bibliographie mais inscrit ta légende un peu plus dans notre Histoire.

En 2019, encore une fois, les auteurs haïtiens ont écrit de belles pages. La leçon inaugurale de Yanick Lahens au Collège de France marque les lettres haïtiennes. La grande Yanick nous a éblouis. Les nombreux prix décrochés par Louis-Philippe Dalembert célèbrent un écrivain abouti. Mais personne ne nous a fait tressaillir de fierté comme Dany avec son combat pour Vertières.

Paul Latortue : Après une longue carrière au plus haut niveau dans l’enseignement et un peu dans les affaires à Porto Rico, un passage sur le terrain dans l’accompagnement d’organisations paysannes en Haïti, un petit tour dans la politique (ancien candidat au Sénat pour le département de l’Artibonite) et une expérience dans la haute administration publique haïtienne, le professeur Paul Latortue dirige depuis trois années un programme, le premier en Haïti, qui décerne, sous le label de l’université Notre-Dame, institution créée par l’Église catholique, un MBA, ce diplôme en administration des affaires qui fait la fierté des écoles de commerce.

Une cinquantaine de professionnels, chaque année, y reçoivent une formation de qualité dispensée par des professeurs venus du monde entier, tous détenteurs de doctorat dans leur matière de prédilection.

Il est encore trop tôt pour dire si cette institution mettra et laissera son empreinte sur la gestion de la chose haïtienne dans le privé comme dans le public. Il est un fait indéniable que cette initiative du professeur Paul Latortue dépasse ce que d’autres -qui comme lui on eu du succès dans des institutions de formation à l’étranger- ont pu mettre sur pied à leur retour au bercail. On pense ici à Leslie François Manigat ou à Georges Anglade, entre autres, qui n’ont pas fait école.

Nesmy Manigat : Rares sont les anciens ministres qui continuent de parler du sujet dont ils on eu la charge. Souvent en Haïti, les anciens responsables préfèrent se faire oublier. Peu de ministres, de directeurs généraux gardent de bons souvenirs de leur passage dans l’administration.

L’ancien ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle Nesmy Manigat fait exception à la règle. Il est toujours dans l’éducation. Il siège comme président du comité de Gouvernance et d’Ethique du Partenariat Mondial pour l’Education (Global Partnership for Education GPE). C’est son deuxième mandat de deux ans au sein de cet organisme qui finance beaucoup de projets à travers le monde. Manigat y est donc et ausculte l’éducation au niveau mondial. De plus, il continue de se penser au tableau local et publie messages sur Twitter et articles dans la presse.

Manigat a des points de vue, des positions, des devoirs à finir et il s’y attelle.

Tous les secteurs du pays ont besoin que les travailleurs qualifiés qui y ont exercé un jour continuent d’alimenter la machine de la réflexion pour accoucher de meilleures mesures et de nouvelles politiques. Haïti a un déficit d’expériences et d’engagements. L’exemple de Manigat est à suivre, à encourager, à défaut de faire renaître un Grand conseil technique efficace pour alimenter le débat et vivifier les expertises.

Naomi Osaka : Ce n’est pas la tenniswoman qui finit l’année numéro trois mondiale qui fascine en Haïti. Ce ne sont pas ses victoires lors du Grand Chelem qui nous passionnent. Naomi Osaka est avant tout cette Américaine, cette Japonaise qui reste attachée à ses racines haïtiennes qui nous plaît.

Pour une fois, ce n’est pas le public haïtien qui réclame l’haïtianité d’une personnalité connue, mais bien la jeune fille qui rappelle fièrement, à chaque fois, tout ce qu’elle garde de sa famille haïtienne du côté de son père.

D’ailleurs, elle venait déjà en Haïti avant ses victoires au tennis. Elle aime Jacmel et le dit. Elle adore les diri-ak-legim comme seul un natif-natal peut aimer la cuisine haïtienne. On n’est pas dans le minimaliste  »j’aime pikliz ou akra ». Non. Elle aime ce que sa grand-mère et son père lui ont fait découvrir de leur pays, son lakay.

Ticket Magazine a rapporté comment Naomi Osaka clame son amour d’Haïti à chaque fois qu’elle le peut. « Quand elle ne fait pas allusion à ses envies de bananes pesées ou qu’elle ne montre pas les photos des délicieux mets haïtiens qu’elle dévore, Naomi utilise Twitter pour exprimer sa désillusion en arrivant à Los Angeles. »

« Alors que la numéro trois mondiale du tennis vient d’emménager à L.A. sur la côte ouest de la Californie, dans la ville des plus grandes célébrités du monde, la jeune femme a tout de suite fait savoir au monde entier sa grande frustration en ne trouvant pas de restaurant haïtien dans la ville. « Est-ce que L.A. n’a vraiment pas d’endroits qui vendent de la nourriture haïtienne ou est-ce moi qui ne cherche pas assez bien ? », a écrit la championne dans un tweet. « Parce que je vais vraiment revenir à Miami au plus vite… Au revoir L.A., c’était cool le temps que cela a duré, mais je ne peux pas vivre sans bananes et légumes », peut-on encore lire dans le tweet complété avec un émoticône triste. »

Quel hommage !

Naomi fait partie de cette nouvelle génération de jeunes de la diaspora qui sont nés ailleurs, ont un, deux ou trois passeports étrangers, des origines diverses parce que l’un de leurs parents a fait sa vie avec quelqu’un qui n’est pas d’ici, mais qui réclament leur part d’Haïti.

Pas pour venir voter, se faire élire ou devenir chef, mais simplement pour se retrouver, trouver cette part d’eux-mêmes qui remonte à la surface de leur vie comme d’insubmersibles bagages.

L’histoire de Naomi peut être mise en parallèle avec celle de Ruth Jean-Marie, cette Américaine d’origine haïtienne qui a gagné un concours dans le cadre du programme « Nike By You x Cultivator » avec son modèle « Uprising » qui reprend les couleurs nationales et celles de son Brooklyn où la communauté haïtienne se mélange aux autres.

Il y a aussi Fabienne Colas née en Haïti qui fait de belles choses au Canada sans jamais oublier Haïti. L’actrice et organisatrice d’événement est devenue une vedette dans sa nouvelle communauté d’accueil plus qu’elle n’a eu le temps de l’être en Haïti. Mais quelle lancée et quelle trajectoire pour la Fabienne déjà vedette au collège Marie-Anne de son enfance.

De Wyclef, le premier à avoir imposé notre bicolore comme une marque de fabrique, à Patrick Day, ce boxeur qui arborait toujours les couleurs de son pays sur son short et qui est mort cette année à l’issue d’un combat, les nouveaux Haïtiens sont partout à travers le monde et ils réclament leur part d’Haïti, d’Haïtiens.

La diaspora haïtienne ne se résume pas aux milliards de dollars des transferts mais regorge de talents et de gens qui ont une histoire, une trajectoire en commun avec nous tous.

A nous de les accueillir.

Peyi Lòk : trois fois pendant l’année 2019 (11 jours en février, presque tout le mois de juin et du 17 septembre à mi-novembre) les maladresses du président Jovenel Moïse, de ses ministres et conseillers ont conduit le pays à des impasses. L’opposition radicale, comme acceptent de se laisser étiqueter les porte-étendards de la lutte contre le président, pour tenter de renverser ce dernier, a eu recours à la tactique des blocages systématiques qui consiste à mettre une multitude de barricades sur toutes les grandes artères, les rues et même les impasses de la région métropolitaine, des principales grandes villes et sur les routes nationales. Résultat : Peyi lòk, comme le mouvement initié les 5-8 juillet 2018 pour la première fois finira par se faire appeler.

Initiatives citoyennes et mots d’ordre politiques se sont confondus dans une anarchie frisant le rançonnage vers la fin du dernier épisode en novembre 2019. Alimentée par la pénurie d’essence du mois de début septembre, la plus longue des crises de Peyi lòk affecta lourdement le secteur éducatif, provoqua la fermeture d’entreprises, la perte d’emplois et fit de nombreuses victimes incapables de trouver des soins.

Englobant toute la classe politique, le mouvement insurrectionnel et politique entraîna dans son sillage la défaillance de toutes les associations de la société civile.

A chaque fois, il a fallu un coup de main des Etats-Unis d’Amérique pour permettre au président Jovenel Moïse de reprendre la main et pour contraindre l’opposition à lâcher prise. Ce soutien à un homme, à sa politique étrangère ou aux institutions établies a été déterminant pendant toute l’année 2019.

Cet appui politique ne se transformera pas cependant en levier pour redresser l’économie nationale ni pour aider le président Moïse à mieux mener la barque nationale.

Au fil des mois, le peyi lòk a emporté tous les mécanismes institutionnels de contre-pouvoir et de contrôle. Les élus ont été laminés, trois premiers ministres (Jean Henry Céant, Jean Michel Lapin et Fritz William Michel) ont eu un destin compliqué et au final c’est celui qui n’a jamais pu passer l’épreuve parlementaire dans aucune des branches du parlement qui a gouverné le pays le plus longtemps cette année.

2019 s’achève, Haïti se retrouve avec une démocratie orpheline de sens et de perspective.

Cécile McLorin Salvant : Quand Fred Paul, Monsieur Mini Records, le label des belles années du compas direct, essaie de présenter en Haïti une chanteuse de jazz, c’est l’étonnement. On connaissait le goût éclectique de celui qui a fait les belles aventures de Mini All Stars et de Haitiando, mais de là à écouter du jazz sur sa recommandation, il y avait un long pas.

Pourtant, comme à son habitude, Fred Paul avait le bon goût et le nez fin. Il avait vu plus loin que tout le monde et la carrière de Cécile McLorin Salvant lui donne entièrement raison dix ans plus tard.

Pour cinq albums, c’est une dizaine de prix, distinctions et honneurs, dont trois Grammy Award que la jeune fille originaire de Miami, de parents haïtiens et français, a décroché grâce à sa voix, ses inspirations et interprétations.

Bien avant son dernier Grammy reçu en janvier 2019 pour son album  »The Window », Cécile McLorin Salvant était déjà la plus titrée des musiciens d’origine haïtienne, toute catégories confondues. Trois Grammy pour Best Vocal Jazz Album en 2016, 2018 et 2019, il faut le faire. Si on ajoute une nomination dans la même catégorie en 2014 et le prix Thelonious Monk International Jazz Competition (2010) pour son premier album, il est indéniable que Cécile McLorin Salvant domine de la tête et des épaules son art depuis une décennie

Encore une fois, la diaspora nous fait la démonstration que pour aller plus loin, pour avoir du succès, il faut passer par la case école, par la formation, par le travail assidu. Le talent pur ne suffit pas pour entrer dans les standards mondiaux ou alors il faut mélanger une bonne dose de folie créative au talent pur pour faire ce que personne n’a fait avant soi comme Jean Michel Basquiat a pu l’accomplir en son temps dans la peinture.

Merci monsieur Fred Paul, et compliments Cécile McLorin Salvant.

 

 

 Source: Le Nouveliste

Frantz Duval

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