Grève au centre de transfusion sanguine : pas de sang pour la population

Le pire que l’on craignait s’est finalement produit. Les employés du centre de transfusion sanguine sont en grève pour n’avoir pas reçu leur salaire depuis 5 mois. Pour le moment, personne n’a accès à une pochette de sang dans un pays où les actes de banditisme avec leur lot de blessés par balle et les accidents de la route défrayent l’actualité.

« Hier, j’ai sollicité dans un poste votre aide en vous demandant de faire un don de sang au bénéfice de ma mère qui devait subir une intervention chirurgicale pour un pied diabétique. J’en profite pour remercier mes amis et tous ceux qui ont partagé le message afin de mobiliser des donneurs. J’ai passé toute la journée d’hier à cheval entre l’hôpital et le centre de transfusion sanguine pour apporter la requête de sang et le spécimen. Ce lundi matin, tout était prêt pour faire le prélèvement. Quand je suis arrivé au centre avec mes donneurs volontaires, j’ai buté sur une affiche indiquant que les employés sont en grève», a posté Paolo Charles pour exprimer son ras-le-bol.

Sa mère, Maryse Cambronne, âgée de 62 ans, supporte depuis 20 ans sa maladie. Au moment où elle n’en peut plus, elle a demandé qu’on  l’ampute. Elle a des démangeaisons. « Son médecin traitant m’a expliqué qu’il n’a aucun intérêt à la garder à l’hôpital, c’est-à-dire, qu’il va me la remettre », indique –t-il, la voix pleine d’inquiétude.

Cauchemar au centre de transfusion

L’ambiance est angroissante ce lundi au centre de transfusion sanguine, logé au premier étage du grand building de la Digicel à Turgeau. Il faut ne pas avoir de cœur pour ne pas sympathiser avec cette dame, larmes aux yeux, qui pleure la mort anticipée de sa fille en urgence de sang pour mettre au monde son premier enfant. « L ap mouri. M ap pèdi pitit fi m nan (ndlr elle va mourir, je vais perdre ma fille) », pleure-t-elle sans cesse.

Le médecin est formel. Sans sang, il ne peut rien faire pour sa fille, Johanne Price, qui devait accoucher depuis le 27 mai dernier. Johanne Price n’a pas de poussée, mais elle continue à se déhydrater. Sa vie tout comme celle de son bébé tiennent à un fil. « Doktè a di m li p ap manyen l si san an pa la (le médecin m’a confié qu’il ne la toucherait pas sans que le sang ne soit pas disponible) », sanglote la dame, qui arrive à peine se tenir fermement.

Son ultime geste pour aller chercher un employé demeure infructueux. Le centre de transfusion sanguine, en effet, se vide de ses employés. La salle de réception, celle des donneurs, le laboratoire… tout est désertique. Quelque deux à trois  employés rencontrés sur les lieux sont plus que frustrés que d’avoir la sagesse de parler aux médias.

« Je suis inquiet parce que ma femme a déjà subi une césarienne. Pour l’opérer cette fois-ci, on doit avoir obligatoirement du sang. Si l’on n’en trouve pas et qu’on l’opère, elle risque de mourir. Si le sang était vendu, on l’aurait acheté », lâche Gethro Lindor.

« Cela ne devrait pas être ainsi. Ce n’est pas à nous de payer les inconséquences de l’État. On dit souvent que le sang c’est la vie. On devait tout faire pour garantir sa disponibilité », critique le révérend pasteur Larosilière, en quête d’une pochette de sang pour sa femme qui, elle aussi, doit passer par la césarienne pour mettre au monde son enfant. « On souhaite que l’Etat prenne ses responsabilités. Ce n’est pas normal, on doit payer les employés », a-t-il ajouté.

Les employés réclament 5 mois d’arriérés de salaire

« Nou kanpe travay paske nou gen 5 mwa nou pa touche. Nou bouke. Lavi a di nou pa kapab ankò.  N ap reprann travay lè yo peye nou 5 mwa yo. MSPP kale nou lajan nou », reclament les 36 employés désemparés.

Depuis que le Fonds mondial a mis fin en décembre dernier à la subvention du programme de renforcement de la sécurité transfusionnelle, les contractuels de la Croix-Rouge haïtienne – institution qui gérait le programme- devenus employés du ministère de la Santé publique et de la Population(MSPP) ne perçoivent pas leur salaire. « Nous avons aussi des enfants, une famille on doit en prendre soin. Nous travaillons 24 sur 24, 7 jours sur 7. Dans des moments tel les évènements du 6, 7 février, quelles qu’en soient les conditions nous venons travailler parce qu’on sait que chaque vie compte. Malheureusement nous constatons que nos efforts ne sont pas appréciés », a expliqué l’un des protestataires, indiquant que nos autorités banalisent la vie tout comme la mort. Rien n’a d’importance ni de sens pour eux  s’il cela ne concerne pas leur famille. « On ne doit pas accepter que les gens meurent ainsi dans ce pays, que l’insécurité batte son plein », a-t-il ajouté.

MSPP : nous comprenons mais nous regrettons

« On regrette qu’ils soient arrivés là mais la ministre les avait rencontrés et ils étaient tous biens imbus de la complexité du dossier et le temps que cela prendra pour les régulariser. Ils avaient tous montré leur volonté de rester dans le programme et avaient pris l’engagement de continuer à servir la population le temps de “régulariser” leur statut, c’est-à-dire les intégrer à la liste du  personnel budgétisé du ministère ce qui était en cours mais paradoxalement, au moment où les lettres sont sorties, que l’Etat vient de prendre l’engagement de faire d’eux des employés budgétisés du ministère et reconnait leur devoir un salaire qu’ils recevront de toute façon  ultérieurement , ils décident de faire un arrêt de travail », a expliqué le directeur général du MSPP, le Dr Lauré Adrien.

Le MSPP exhorte les protestataires à reprendre le chemin du travail au bénéfice de la population. «

Nous leur demandons donc de reprendre le travail et les assurons que le ministère s’engage à travailler de près avec le ministère des Finances pour trouver une solution définitive à ce problème… Nous comprenons leur impatience mais nous regrettons quand même  qu’ils aient pris la voie de la grève, ce qui aura certainement des impacts très négatifs sur la santé de la population en général », a-t-il ajouté.

50 % des patients en situation d’urgence chirurgicale meurent faute de sang

Dans tous les pays qui se respectent, la sécurité transfusionnelle fait partie de la sécurité d’une nation. Le ministère de la Santé publique n’a pas su apprécier l’ampleur du danger alors qu’il savait que le Fonds mondial allait suspendre sa subvention.  50 % des patients en situation d’urgence chirurgicale meurent à cause de l’indisponibilité de sang, avaient expliqué au journal les chirurgiens Bitar de l’hôpital Bernard Mevs.

Les plaies par balle et les accidentés de la voie publique, deux phénomènes infreinables depuis peu en Haïti, sont en majorité les cas qui nécessitent du sang pour garantir la survie du malade. En moyenne, les hôpitaux qui font le trauma dans l’aire métropolitaine soignent deux à trois plaies par balle par jour. Selon le chef de service des urgences de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti, les accidentés de la route avec les blessés par balle sont les cas les plus fréquents dans le service des urgences de l’HUEH. Il y a un besoin, il faut agir vite.

Edrid St Juste

Le Nouvelliste

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