Les parlementaires reçoivent de l’argent pour des bureaux qui n’existent pas
Après une première enquête qui a établi l’inadéquation entre le travail législatif assez maigre du Parlement et les millions que coûtent annuellement les députés et sénateurs au Trésor public, l’Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie (OCID) vient de réaliser une nouvelle enquête sur les bureaux que détiennent ces derniers dans leurs circonscriptions et départements. Les premiers constats de l’enquête ont permis d’esquisser un profil des bureaux des parlementaires en circonscriptions et dans les départements : globalement, un tiers de ces bureaux n’ont pas pu être repérés et 21% ne sont pas opérationnels.
Pour la réalisation de cette enquête, l’OCID dit avoir déployé, du 15 au 25 mars 2019, dans les dix (10) départements du pays et au niveau de 83 circonscriptions (sur un total de 116 actuellement représentées au Parlement), un ensemble d’enquêteurs pour chercher à repérer 83 bureaux de députés et 29 bureaux de sénateurs. Cette enquête, selon ce regroupement d’organisations de la société civile, s’inscrit dans le cadre de ses efforts visant « la promotion de la transparence parlementaire et d’une meilleure performance du Parlement haïtien ».
Les données recueillies par les enquêteurs sont sans appel. Les parlementaires reçoivent de l’argent pour assurer le fonctionnement d’un bureau afin d’être plus prêt de la population, mais ils ne le font pas. Sur un échantillon de 83 bureaux de députés visés seulement 57 ont pu être repérés. 45 bureaux sont opérationnels (sur les 57 bureaux repérés). Sur les 29 bureaux de sénateurs visés, 19 ont pu être repérés, dont 15 sont fonctionnels. 84 % des bureaux opérationnels des députés fonctionnent durant les cinq (5) jours ouvrables de la semaine, tandis que les 15 bureaux opérationnels des sénateurs fonctionnent cinq (5) jours sur cinq. Parmi ces bureaux fonctionnels, il y en a qui comptent une centaine d’employés qui ne viennent pas forcément travailler.
Les enquêteurs ont interrogé des maires, des délégués de ville, des membres connus des équipes de campagne des parlementaires, des représentants locaux des partis politiques de provenance des parlementaires et d’autres citoyens actifs des zones visées. Selon Rony Desroches, directeur exécutif de l’Initiative de la société civile (ISC), les enquêteurs ont fait tout leur possible pour essayer de trouver la trace des bureaux visés. M. Desroches s’est gardé de parler de détournement de fonds orchestré par certains parlementaires qui n’ont pas de bureau, faute de documentation et de rapport sur les fonds alloués et les dépenses effectuées, mais il reconnaît qu’il y a « matière à s’interroger ». « Notre démarche comme celle des autres citoyens vise à inciter les parlementaires à être plus corrects dans leur travail en considérant la situation économique difficile du pays », a précisé Rony Desroches.
Incertitude autour des élections de cette année
Par ailleurs, Rony Desroches a exprimé son inquiétude autour de la tenue des élections législatives à la fin de cette 50e législature. Il a souligné jusqu’ici l’absence de loi électorale et un apaisement politique pouvant faciliter un climat propice à la tenue des élections. « C’est vrai que nous sommes pour les élections, mais nous voulons aussi que les conditions soient réunies. L’exécutif n’a pas déposé en bonne et due forme la loi électorale car l’exposé des motifs n’est pas réalisé. Actuellement, les députés sont en train de travailler sur le décret électoral de 2015 pour l’actualiser, a-t-il ajouté, précisant au passage qu’il est assez préoccupé par le risque d’une situation anarchique qui pourrait se dessiner dans le pays.
Ricardo Lambert
Le Nouvelliste