Une séance en Assemblée nationale sur la corde raide
Comme le veut la Constitution, les sénateurs et les députes se sont réunis ce lundi 14 janvier 2019 en Assemblée nationale en vue d’ouvrir la première session ordinaire de l’année législative 2019. Comme annoncé par les protagonistes de la bataille entre le président du Sénat Joseph Lambert et des députés à propos du parlementaire qui aurait aidé le chef de gang Arnel Joseph à s’échapper à une intervention policière, la séance s’est déroulée sur fond de crise.
Contrairement à l’heure annoncée, 10h30, par le bureau pour l’ouverture de la séance en Assemblée nationale, il était 3h 13 ce lundi 14 janvier 2019 lorsque, d’un ton rassuré, le président de l’Assemblée nationale Joseph Lambert franchit la porte de la salle de séance. À peine assis, il sollicite la tenue de l’appel nominal. C’est fait, mais jusqu’à ce que, à 3 h 20, le député de la 3e circonscription de Port-au-Prince Printemps Belizaire, loin de la tenue officielle, allume son mégaphone et perturbe la séance par le son aigu qui remplit la salle. Kétel Jean-Philippe lui vient en aide avec sa pancarte portant l’inscription : « Kot Kòb PetwoKaribe a? ». L’appel nominal est suspendu et des discusstions sont entamées dans la salle faite désormais de groupuscules agités.
La paix entre élus
Acculé par les députés protestataires, le président Joseph Lambert sollicite un « tête-à-tête » dans la salle de séance du Sénat avec les députés signataires de la correspondance. Il fait le premier pas et les députés le suivent. 15 minutes plus tard, les protagonistes reviennent et, comme un dernier coup de maître, Joseph Lambert, qui devait présenter des excuses publiques à Printemps Bélizaire, surprend ce dernier en lui passant la parole en ces termes : « Député Printemps Bélizaire, vous avez la parole ». Pris au dépourvu, le député, qui n’avait même pas trouvé bon de participer au « tête-à-tête » proposé par Joseph Lambert, gravit la tribune pour, contrairement à toute attente, prêcher un message d’unité et de coude à coude parlementaire. Ses mots de remerciement envers les députés protestataires et sa famille, qui ne l’ont pas abandonné après les accusations du président du Sénat le liant au banditisme, laissent présager que la hache de guerre est enterrée. Personne ne sait ce qui s’est passé dans le fameux « tête-à-tête », mais la salle est témoin d’un apaisement de la situation.
Désormais dans son assiette, Joseph Lambert a même tenté de culpabiliser les députés protestataires en traitant leur mouvement pour exiger des excuses publiques « d’incident regrettable ». Il continue dans cet état d’esprit en choisissant de communiquer à l’assistance la présence de 80 députés et de 16 sénateurs dans la salle sans avoir terminé avec l’appel nominal déjà interrompu.
Par ce décompte qui fait gronder journalistes et assistants, Joseph Lambert déclare ouverte cette séance en Assemblée nationale et enchaîne avec son discours d’ouverture dans lequel il promet de continuer à « lutter contre le banditisme d’où qu’il puisse venir » comme pour parler de corde dans la maison du pendu.
Dans ce discours, le président de l’Assemblée nationale suggère que l’année 2019 soit décrétée « l’année du dialogue haïtien » et admet la débâcle du Sénat cette année en termes de production, mais, comme pour amortir le choc, il crache : « Je sais que nous avons raté la quantité, mais nous nous consolons de la qualité ».
Une deuxième manche ratée
Pour n’avoir pas pris dans leur piège l’animal politique et dans sa velléité de gâcher la séance, l’opposition, malgré le premier coup dans l’affaire Printemps, ne se remet pas à l’adversaire. Lors du discours du premier ministre Jean Henry Céant, le député de Saint-Marc Samuel D’Haïti a osé introduire dans la salle un paquet de brindilles de riz et l’a déposé devant le lutrin du chef du gouvernement. Jean-Robert Bossé, armé d’un mégaphone, pas de trop bonne qualité, tente de perturber le Premier ministre. C’est sans succès, son message ne passe pas et les bruits du mégaphone sont comparables aux bruits que font les pharmacies ambulantes dans les rues de Port-au-Prince.
Bien aisé alors, le Premier ministre termine par une leçon de démocratie aux parlementaires en les invitant à la tolérance.
Ce groupe avait aussi tenté de défaire la morale du président Jovenel Moïse lors de son « État de la nation » en déployant une longue banderole avec la fameuse question : « Kot kòb PetwoKaribe a ? ». Par moments, outre le ronronnement de Jean-Robert Bossé dans son mégaphone défectueux, on entend la voix de Maurice Sixto scandant : « baaa li boulvard ! » comme pour dire que tous ces propos ne sont que du mensonge.
Samuel Celiné
Le Nouvelliste