Choléra : Ricardo Seitenfus éclabousse les Nations unies avec son nouveau livre
Diplomate et universitaire, ex-représentant de l’OEA en Haïti, Ricardo Seitenfus n’a jamais eu sa langue dans sa poche. Alors qu’on pensait le sujet du choléra épuisé, le Brésilien le remet à l’ordre du jour en signant ce nouvel ouvrage « dérangeant » pour l’Organisation des Nations unies (ONU). « Les familles des victimes ont le droit de savoir la vérité », a déclaré Ricardo Seitenfus, qui, sans broncher, assimile à un crime la position de l’ONU sur le dossier de l’épidémie de choléra en Haïti.
Prenant ses responsabilités à deux mains, il dénonce un « crime commis par les plus hautes autorités des Nations unies, le Secrétaire général, le département des affaires juridiques [du secrétariat général de l’ONU], le représentant des Nations unies en Haïti, le commandement militaire [de la MINUSTAH] » pour avoir nié pendant très longtemps, jusqu’en 2016, leur responsabilité dans l’introduction du virus de choléra en Haïti.
A l’écouter, on se rend compte combien les mots qui sortent de sa bouche ne sont pas assez forts pour exprimer l’indignation de l’ancien diplomate horrifié par le déni absolu onusien. Il fait usage de formules choc. On peine à reconnaitre le diplomate en lui, lui l’ancien représentant de l’OEA en Haïti, tellement la langue de bois est bannie dans cette interview exclusive accordée à la rédaction du Nouvelliste.
Sans hésiter, il fait choix de son camp. Il prend position. « C’est une prise de position en faveur des victimes, des familles des victimes, de la vérité, des droits humains », a martelé Seitenfus. Et, contre toute attente, il affirme que la parution de son livre est également une prise de position en faveur des Nations unies. « De la véritable Organisation des Nations unies, pas de celle de ces dernières années qui a décidé de cacher ses méfaits en Haïti », a-t-il précisé, rappelant que l’ONU a été créée en 1945 pour maintenir la paix, la concorde internationale et non pour apporter la mort.
Entre autres révélations, le livre de Seitenfus dévoile que le nombre de victimes fatales de l’épidémie de choléra se chiffre à plus de 50 000, contrairement aux 10 000 décès officiels annoncés par l’Organisation panaméricaine de la santé et l’Organisation mondiale de la santé. « Les Nations unies doivent reconnaitre leur culpabilité mais aussi leur responsabilité légale », a fulminé le diplomate brésilien, expliquant qu’il ne s’agit pas d’une question d’argent, d’indemnisation, d’amélioration de l’accès à l’eau ou encore moins de système sanitaire.
« Le livre est un dialogue entre la médecine et le droit », confie Seitenfus, qui dit avoir établi tous les faits, suivi étape par étape l’évolution de l’épidémie pour pouvoir tirer une conclusion sur les responsabilités. Dans la deuxième partie du livre, le lecteur découvre une discussion assez approfondie sur le droit international, les traités sur le droit international, militaire et humanitaire.
Pour l’auteur, les Nations unies ne peuvent pas être seulement coupables sans être responsables. « Il ne s’agit pas d’une responsabilité morale mais d’une responsabilité légale », dit-il, écartant d’un revers de main le concept de « responsabilité morale » évoqué par l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, à la fin de son mandat.
Afin d’aider les Nations unies à « sauver ce qui est possible d’être sauvé et reconnaitre leur responsabilité objective », Ricardo Seitenfus propose dans son livre quelques solutions, à savoir un renoncement à « cette soi-disant immunité » seulement pour le cas spécifique d’Haïti, la demande d’un avis consultatif par le gouvernement haïtien à la Cour internationale de justice que les Nations unies s’engagent à respecter ainsi qu’une médiation du pape François.
Seitenfus dénonce un désintérêt de l’État haïtien, des autorités haïtiennes, somme toute compréhensible, dit-il, étant donné leur dépendance au système des Nations unies, alors qu’entre-temps la négation systématique de la participation des Nations unies a provoqué des morts inutiles. Et l’une des conséquences de l’épidémie de choléra en Haïti, fait remarquer le Brésilien, est l’introduction par les Nations unies des examens prophylactiques sur les Casques bleus avant de les envoyer en mission.
N’étant ni médecin ni épidémiologiste, Seitenfus s’est fait aider dans la rédaction de cet ouvrage par d’éminents spécialistes en maladies tropicales et surtout en épidémie de choléra, par des Haïtiens et des étrangers, dont le Dr Renaud Piarroux, le premier à avoir identifié que l’épidémie partait de la base onusienne de Mirebalais. Mario Joseph, directeur du Bureau des avocats internationaux (BAI), un cabinet d’avocats qui lutte pour le dédommagement des victimes de l’épidémie de choléra, et le professeur Jean Hugues Henrys, doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH), ont préfacé l’ouvrage. La postface a été confiée à Brian Concannon Jr, directeur exécutif de l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti (IJDH).
Patrick Saint-Pré
Le Nouvelliste