Quand la Cour supérieure des Comptes tirait la sonette d’alarme sur PetroCaribe début 2017
Le rapport sur la « situation financière du pays et efficacité des dépenses publiques pour l’exercice 2014-2015 » n’a pas fait de vagues. Pourtant, déjà, ses conclusions et recommandations auraient dû mettre la puce à l’oreille du Parlement, de l’administration de l’époque et de la société civile au sein de laquelle est sorti aujourd’hui ce mouvement citoyen pour demander des comptes sur l’utilisation du fonds PetroCaribe. Entre opacité, investissements inopportuns, en dehors des règles prudentielles avec l’argent du prêt PetroCaribe et les difficultés à retracer des marchés publics, la CSC/CA avait, à sa manière, sans faire grand bruit avec ce rapport, tiré la sonnette d’alarme. Le Nouvelliste publie in extenso les conclusions et recommandations de ce rapport sorti au début de l’année 2017, a confié un conseiller de la CSC/CA
Conclusions et recommandations
L’analyse de la situation financière et l’efficacité des dépenses publiques pour l’exercice 2014-2015 amène à dégager les conclusions et recommandations suivantes :
Un niveau d’endettement public qui soulève des questions. Après les annulations de dettes dans le cadre de l’initiative « Pays pauvres très endettés » (PPTE) et suite au séisme du 12 janvier 2010, l’endettement du pays a recommencé à s’alourdir et atteint presque le niveau d’avant. Le pays se retrouve ainsi dans le même cycle et court le risque de voir une bonne partie de ses maigres ressources captée par le service de la dette.
Ce qui aurait pour effet de diminuer la part qui pourrait être affectée à la satisfaction des besoins de base. En outre, le rythme de l’endettement représente un paramètre à ne pas négliger puisqu’il augmente à chaque arrivage de produits pétroliers dans le cadre du programme PetroCaribe.
Ainsi, le pays a emprunté en l’espace de quatre ans presque l’équivalent de ce qu’il avait mis auparavant une bonne vingtaine d’années à réaliser. Dès lors, la question de la soutenabilité de cette dette se pose.
Des stratégies pertinentes doivent donc être mises en place pour éviter que le service de la dette n’annihile les faibles capacités du pays à financer des projets à même de sortir des couches de la population de la pauvreté.
Bien investir les montants empruntés. Le mal en soi ne se situe pas tant dans le fait de recourir à des emprunts, mais dans l’usage qu’on en fait. Il est admis qu’un pays ne gagne nullement à emprunter pour financer des dépenses courantes, mais au contraire il a tout intérêt à bien investir le produit de ces emprunts dans des projets structurants, dans les infrastructures économiques et sociales par exemple.
L’analyse du portefeuille des projets financés par PetroCaribe montre que l’allocation des ressources n’a pas toujours respecté ces règles prudentielles. Trop de projets répondent à des considérations conjoncturelles, et non structurelles.
La Cour recommande donc au gouvernement de renouer avec les meilleures pratiques en ciblant mieux les projets et programmes susceptibles d’être financés à travers des emprunts. Cette recommandation s’étend d’ailleurs à l’ensemble des projets inscrits au Programme d’Investissement Public (PIP). Ce qui éviterait que des crédits budgétaires soient alloués à l’acquisition de fiches de borlette par exemple pour compte de la Loterie de l’Etat d’Haïti.
Un système peu intégré. Le système de gestion des ressources publiques ne forme pas un tout organique. Il projette plutôt l’image d’un ensemble de systèmes superposés. Il y a par exemple un système de planification national géré par le ministère de la Planification et de la Coopération externe et un système de gestion des dépenses publiques géré par le ministère de l’Economie et des Finances mais n’entretenant aucun lien synergique entre eux.
Parallèlement, d’autres systèmes se greffent comme celui des marchés publics atteignant le seuil d’intervention de la Commission nationale des marchés Publics ou encore celui des contrats de travaux, de fourniture ou de prestations intellectuelles, domaine de compétence de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
Retracer l’ensemble des marchés publics en dessous des seuils d’intervention de la CNMP passés durant un exercice budgétaire s’avère une entreprise vaine, puisque ces marchés restent pour une bonne part cantonnés au sein des administrations concernées et ne sont pas catalogués, ni répertoriés. Une partie des ressources publiques échappe ainsi à tout regard externe et à toute appréciation quant au respect des règles régissant la matière.
Il est souhaitable que s’installe une pratique d’échange d’informations automatique entre les diverses entités chargées du contrôle (la CNMP, la CSCCA, les corps de contrôle du pouvoir exécutif, dont l’Inspection Générale des Finances) pour éviter que des transactions échappent à toute vérification, même a posteriori.
Un système peu transparent. L’exécution budgétaire, telle que pratiquée jusqu’à présent, apparaît pour le moins opaque. On a d’un côté des codes budgétaires, des projets, des programmes et sous-programmes générant eux-mêmes plusieurs activités.
Dans le cas d’un projet spécifique, la construction d’un lycée par exemple, les choses sont relativement claires. Tel n’est pas le cas pour la décomposition d’un programme ou d’un sous-programme en activités. Car ce sont ces activités qui vont donner lieu à des marchés ou, éventuellement, à des contrats.
Le hic, c’est que ces contrats et ces marchés ne font pas référence aux codes budgétaires, aux programmes et aux sous-programmes. En sorte qu’il n’est pas possible de relier tel marché et tel contrat à tel programme ou sous-programme ou encore à tel code budgétaire. Il se pose un problème de traçabilité, alors que les dépenses publiques répondent à la disponibilité de crédits y afférents.
Il faudrait donc, d’une part, que le code budgétaire suive les marchés et les contrats qui en découlent et que de l’autre, au terme de l’exercice, les comptes puissent être soldés code budgétaire par code budgétaire de manière à assurer un meilleur suivi des dépenses publiques.
Des pratiques ne favorisant pas la reddition de comptes. Comme conséquence de ce qui précède, le système actuel ne favorise pas l’imputabilité et la reddition de comptes. Une part significative des dépenses publiques sont indéchiffrables. Ces dépenses sont effectuées sans qu’on puisse déterminer sur la base de quels crédits ou apprécier si les activités financées étaient formellement inscrites au budget. Il y a une culture de la reddition de comptes à instaurer au niveau des différentes administrations concernées et des systèmes d’informations appropriées doivent être mis en place.
Il faut retourner aux fondamentaux en matière de comptabilité publique en insistant sur la régularité des dépenses.
Lacunes et déficiences multiples. Des lacunes et des déficiences ont été observées au niveau de presque toutes les entités entrant dans la chaîne de gestion des ressources publiques. Le Ministère de la Planification et de la Coopération externe, par exemple, a été incapable de fournir des informations exhaustives sur l’état de réalisation ou le niveau de financement des projets inscrits au Programme d’Investissement Public de l’exercice. Trop de données se révèlent approximatives et incomplètes, quand elles ne sont pas tout bonnement inexistantes. La Banque de la République d’Haïti n’est pas en mesure de présenter la liste des opérations et transactions réalisées pour le compte du gouvernement avec leurs montants respectifs, leurs dates, leurs bénéficiaires et l’origine des ordres de paiement.
Le ministère de l’Economie et des Finances a ordonné des paiements pour des activités ou des projets non inscrits aux différents budgets de l’exercice, ni même d’un autre exercice. En outre, obtenir la moindre information requiert, dans la plupart des cas, un temps fou, parce que bien souvent l’existence d’un système de traitement des données fait défaut et quand il existe, il répond à d’autres préoccupations. Bien des réflexes d’un autre temps doivent disparaître.
Il y a donc un besoin partagé de renforcer la gouvernance des différentes institutions intervenant dans le cadre de la gestion des finances publiques en vue d’atteindre un meilleur niveau d’efficacité et d’améliorer la transparence.
Certains contrats et marchés portant sur les mêmes objets sont enregistrés respectivement à la CNMP et à la CSC/CA sous des appellations différentes. Ce qui représente une source potentielle de confusion.
Il importe de travailler à standardiser et uniformiser autant que possible la nomenclature, les méthodes et les codes de saisie utilisés par les deux institutions.
Double casquette portée par le MPCE. Le renforcement de la gouvernance du système de gestion des finances publiques passe par une clarification des champs de compétence de toutes les entités qui interviennent dans la chaîne à un titre ou à un autre. Le double rôle joué par le ministère de la Planification et de la Coopération externe dans l’exécution du Programme d’Investissement Public appelle des redressements. Il y a dans les faits une situation de substitution de compétences dévolues à d’autres structures administratives de l’Etat. Cette situation fragilise l’institution et ses titulaires.
Il faudra donc laisser le MPCE coordonner le système national, s’occuper de la coopération avec les bailleurs, ne pas s’impliquer dans la conduite des projets, mais s’assurer de leur monitoring, de leur suivi et de leur évaluation et faire en sorte que les secteurs fassent effectivement leur travail.
Le MPCE gère le Programme d’Investissement Public, alors que, dans la pratique, il n’est pas toujours au courant des interventions des secteurs à partir de ces ressources.
Les passerelles de communication, de coordination et de suivi entre le MPCE et les secteurs doivent être améliorées et renforcées.
L’efficacité des dépenses publiques en question. Dans son rapport de la deuxième année du Programme Triennal d’Investissement ( PTI) 2014-2016 et relatif à la mise en œuvre du Plan Stratégique de Développement d’Haïti (PSDH), le ministère de la Planification et de la Coopération externe établit un diagnostic sans concession du Programme d’Investissement Public : « Les résultats des programmes et projets ne sont pas évidents (….) De nouveaux projets avec peu de lien direct avec les objectifs fixés dans le PTI 2014-2016 ont été financés. Les procédures de programmation, notamment la transmission des documents requis tels que documents de projets, les bilans d’exécution, rapport et plan opérationnel, n’ont pas permis de garantir l’efficacité et l’efficience des dépenses publiques. Des projets hors PTI et hors PIP ont été priorisés dans leur financement par rapport aux projets programmés ». Le jugement est donc sans appel. Qu’ajouter de plus à un constat aussi accablant et aussi interpellateur ?
Roberson Alphonse
Le Nouvelliste