Interpellation : Jack Guy Lafontant peut souffler…
Il y a eu « beaucoup de bruits pour rien » au Bicentenaire ce jeudi. La séance d’interpellation qui devait mettre Jack Guy Lafontant face à son destin est mise en continuation. La volonté des élus de l’APH d’y aller vite, de requinquer le Premier ministre dans ses fonctions parce que tous les éventuels frondeurs se sont vu couvrir, la veille, de promesses par le gouvernement pour aplanir les insatisfactions de chapelle, a achoppé aux refus des députés interpellateurs. Ces derniers ont exigé la mise à la porte de quatre ministres, pas en règle avec la loi selon une correspondance de la Cour des comptes, ayant intégré le gouvernement fin avril. Mais le président de l’assemblée en a décidé autrement.
Justement, tous les ingrédients étaient réunis pour que la séance se tienne, que les députés de l’opposition éructent leur colère à la barbe du Premier ministre et ceux du pouvoir Tèt kale aient l’impudence de défendre les actions du gouvernement. Mais la lettre de la Cour des comptes, adressée la veille à Gary Bodeau, président de la Chambre des députés, a changé la donne. La Cour des comptes a donc renvoyé dans les cordes ces ministres, dont celui de la Culture et de la Communication Guyler Delva, bel et bien présent au bord de mer. Elle indique que ceux-ci devaient préalablement avoir décharge de leur gestion pour avoir été « comptables de deniers publics ».
Dans une salle où papillonnent les élus de l’opposition décidés à déloger Jack Guy Lafontant du confort de la Primature, Gary Bodeau, le premier d’entre les députés, s’est ingénié à dicter le tempo. Il a sorti les articles 159 et 161 de la Constitution et soutenu que ces ministres ont leur entrée au Parlement. « En attendant que nous constituions une commission d’enquête à la plus prochaine séance pour vérifier le dossier des ministres indexés, nous levons la séance. Parce que le gouvernement ne doit pas être interpellé en partie. C’est l’ensemble du gouvernement qui a été interpellé », explique Gary Bodeau, soulignant qu’il convoquera une nouvelle séance une fois qu’on aura étudié les dossiers de ces ministres.
« C’est une lettre que m’a envoyée la Cour des comptes. Ce n’est pas un rapport d’audit », justifie Gary Bodeau, insistant sur la nécessité d’approfondir les informations contenues dans la lettre de la Cour des comptes. Jean Marcel Lumérant, l’un des députés interpellateurs, parle d’une « violation flagrante de la Constitution ». « Le Premier ministre a violé la Constitution. Il nous faut faire sa mise en accusation. Il faut que l’action publique soit mise en mouvement contre ces quatre ministres qui engagent le pays sans titre ni qualité […] », s’enflamme, mi-exaspéré mi-ironique, l’élu de Grand-Goâve.
Les élus, de tout bord, enquillent les punchlines. Les ministres et le Premier ministre sont conduits vers la sortie. Les regards sont déjà tournés vers la nouvelle date d’interpellation qui n’est pas encore connue. Guyler Delva, lui, comme un symbole, reste seul dans la salle. Interrogé sur la teneur de la lettre de la Cour, il croit qu’il n’a rien à y voir. « J’étais pas comptable des deniers publics. C’était une subvention que recevait SOS journalistes dans le cadre de ses déplacements. Ça s’est passé une fois […]. » Le gouvernement n’est-il pas désormais dans ses petits souliers avec cette révélation de la Cour des comptes ? « Il y a des clarifications qui vont être apportées », dit-il, avec l’audace habituelle qui lui est propre.
Il faut dire que réunir 107 députés en période de Coupe du monde, couplée à celle des fêtes patronales, relève d’un exploit. Il sera difficile de le renouveler. Il y a la commission d’enquête, annoncée par Gary Bodeau lui-même, à mettre sur pied. En séance. La majorité, tout au moins confortable avec son gouvernement, peut jouer sur le temps pour le plaisir du titulaire de la Primature, jouer à l’usure, jusqu’à faire sortir de l’actualité la question de l’interpellation. C’est à ce défi que doivent répondre les élus de la minorité s’ils veulent garder la main sur la situation…
Juno Jan Baptiste, Le Nouvelliste