Haïti-Migration : Témoignage vivant d’une jeune haïtienne revenue bredouille du Chili

Identifiée en janvier 2018 comme 38e économie mondiale avec un PIB supérieur à 400 milliards de dollars américains pour un revenu par habitant en PPA supérieur à 23 000 dollars US et un taux de chômage autour de 6%, l’économie chilienne est l’une des plus stables en Amérique latine. Le Chili a un meilleur niveau de vie dans la zone. Il n’en finit pas d’attirer les migrants, y compris des Haïtiens fuyant massivement la misère noire et la précarité du terroir en quête d’un mieux-être. Cependant pour certains, le voyage laisse un goût mauvais. Sofiane, une jeune haïtienne de 21 ans a accordé une interview exclusive à HPN.

Sofiane : Je me suis rendue au Chili en octobre 2017. C’était mon premier voyage dans un pays étranger. C’était pour la première fois aussi que je foulais le tarmac d’un aéroport et montais à bord d’un avion. J’étais non seulement contente de cette première expérience, mais aussi et surtout de quitter Haïti pour y avoir vécu des jours trop sombres.

HPN : Comment étiez-vous parvenue à y aller ; les moyens où en avez-vous trouvés ?

Sofiane : Après  mes études classiques tant bien que mal, j’ai passé une année entière sans rien faire. L’année suivante, ma maman s’est démêlée pour trouver de quoi m’envoyer faire un tour dans une école professionnelle de la capitale. J’avais choisi le Secrétariat bureautique. Mais quelque temps après, j’étais obligée de rester cloîtrée chez moi, faute de moyens pour continuer à payer les cours. Ne voulant pas rester les bras en croix, j’ai opté pour le rodage vers un pays étranger. Destination Chili. Des amis m’ont aidée à acheter le billet. D’autres à qui j’en ai parlé, m’ont offert l’opportunité de trouver l’argent de poche. J’avais mon passeport valide que j’avais récupéré après toutes les peines du monde au service de l’Immigration haïtienne. J’ai dû mettre les voiles en octobre dernier. Voilà comment je me suis retrouvée là-bas sans un proche parent pour me supporter.

HPN : A bien comprendre votre discours, c’est la situation socio-économique difficile d’Haïti qui vous a poussée vers le Chili où vous avez vécu seulement six mois?

Sofiane : C’est exact. Je n’ai même pas besoin de vous le dire. Vous connaissez mieux que moi comment vont les choses en Haïti. D’ailleurs, votre âge et votre expérience pour y avoir vécu pendant déjà longtemps peuvent en témoigner. Les jeunes sont découragés et désorientés. Ils n’ont pas d’avenir. On observe d’autres qui sont plus âgés que soi trimant dans la misère, en dépit de leurs efforts pour meubler leur esprit et avoir un minimum de matière grise. La vie est trop difficile ici. C’est-ce qui pousse beaucoup de gens à aller voir ailleurs. Mais parfois, mieux vaut crever de faim dans son pays que d’aller se faire humilier au pays des autres.

HPN : Pourriez-vous nous confier la raison de votre retour anticipé au pays ?

Sofiane : Je me suis dupée. Je suis deçue. Je pensais que ça irait mieux là-bas. Au bout du compte, j’avais fini par comprendre que j’avais fait un mauvais calcul. Je ferais mieux si j’investissais cet argent dépensé pour effectuer le voyage dans un business. Mais quel business? Il faut dire que les choses ne sont pas du tout faciles pour les femmes migrantes au Chili, notamment les Haïtiennes. J’y ai fait de mauvaises expériences. Je n’avais même pas un parent là-bas pour m’accueillir. Je faisais le va-et-vient chez des amis qui m’accueillaient malgré eux. J’ai eu honte. Cela ne m’a pas plu du tout. Il y a bien d’autres choses qui ne faisaient pas non plus mon honneur. Je suis revenue chez moi. Même si, il faut l’avouer, en dépit d’un froid de canard insupotable, le Chili est dix mille fois plus propre, attrayant et mieux organisé qu’Haïti.

HPN : Avez-vous travaillé là-bas durant le laps de temps que vous y avez vécu ?

Sofiane : Ouais ! J’ai eu le temps de faire quelques expériences de travail, mais pas pour longtemps. Je n’aimais pas les travaux auxquels j’étais obligée de m’atteler. Je n’avais pas l’habitude de travailler dans les champs chez moi. Cueillir du citron, du pois et d’autres denrées en courant le grand risque de sauter sur des animaux parfois très dangereux comme des couleuvres venimeuses. Bof ! C’est dégoutant ! En plus, on ne fait pas toujours là-bas le distinguo entre la quantité de travail que puisse fournir une femme par rapport à un homme qui, anatomiquement, n’a pas la même construction physique. Toutefois, je dois dire que d’autres compatriotes sont parvenus à s’intégrer au Chili. Ils vivent vraiment mieux que s’ils étaient en Haïti. Néanmoins, tout le monde n’a pas la même chance ni la même motivation. La chance accorde toujours sa faveur aux esprits en éveil. Peut-être que je n’avais pas l’esprit en éveil. Je n’ai pas réussi.

HPN : Etes-vous la seule jeune fille ou personne à avoir mal vécue au Chili et qui est obligée de rebrousser chemin ?

Sofiane : Non, je ne suis pas la seule personne. Ils ne sont pas non plus nombreux les Haïtiens à vouloir, malgré toutes les difficultés, quitter le Chili pour retourner en Haïti. Mais je connais d’autres personnes, surtout des femmes n’aimant pas l’expérience, qui avaient avant moi, pris la décision de regagner leur pays natal. Il faut dire que je pouvais faire comme tant d’autres belles jeunes femmes haïtiennes à savoir : trouver un homme chilien pour enfanter sans prendre le temps de connaître à qui l’on a affaire, mais je ne l’ai pas fait. Je dois avouer que j’ai eu quand même quelques expériences éphémères avec certains latino-américains. J’ai même connu de grands moments dans des hôtels de luxe là-bas. Mais les hommes que j’ai rencontrés sur mon chemin ne m’ont pas plus. Ils ne sont pas de mon style. Ouf ! Cala ne me rapporte rien non plus. Sinon l’ultime moment vécu parce que mon désir l’a voulu. Mais après tout, c’est une bêtise à laquelle je n’ai plus la tête. Cela n’a pas été mon objectif d’aller vendre mon corps à l’étranger. Je n’ai pas été à l’école pour ça.

HPN : Le Chili est considéré comme l’Eldorado même pour d’autres migrants d’Amérique latine, par exemple : l’Argentine qui en compte plus d’immigrés là-bas, vous ne comptez plus y retourner alors ?

Sofiane : Pas du tout évident. Surtout pour aller chercher du boulot. Mes mauvaises expériences là-bas me laissent un goût de fiel. Je pourrais bien y retourner pour passer quelques jours si les moyens ne me font pas défaut. C’est un beau pays. Le système est mieux organisé même si des réserves j’en ai quelques-unes. J’ai un ami chilien là-bas qui m’offre déjà un billet de retour, j’ai refusé. Je regrette infiniment d’aller trimer au pays de Pinochet.

Propos recueillis par Alix Laroche

alix.l@hpnhaiti.com

NB : Sofiane est un nom d’emprunt

Photo : Google 

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