Haïti/Finances publiques: La gestion de la dette, une vraie source d’inquiétudes
Source Dieudonné Joachim | Le Nouvelliste
La dette externe, qui grossit inconsidérément, fait définitivement débat dans les milieux concernés. Près de 3 milliards de dollars de dette, la majeure partie contractée par Haïti concerne celle envers le Venezuela, qui représente moins de 2 milliards de dollars. L’économiste Riphard Serent, également chroniqueur économique Radio Vision 2000, a attiré l’attention en ce qui a trait à cette dette dont l’accroissement prodigieux inquiète l’opinion.
Pour l’économiste Riphard Serent, de grands pays contractent des prêts pour financer des investissements publics productifs. En Haïti, ce n’est pas le cas. « La majeure partie de notre dette est passée dans de petits projets et de petits programmes qui ne sont pas générateurs de croissance. » Selon lui, durant ces 10 dernières années, personne ne peut identifier un grand projet d’investissement public d’au moins 100 millions de dollars émanant des prêts contractés de l’extérieur, qui génère des emplois durables, avec des retours sur investissement capables de garantir le remboursement de la dette dans le futur.
On parle déjà de plus de 2 milliards de dollars dépensés seulement des fonds de PetroCaribe, soit près de 25% du produit intérieur brut du pays (PIB). En ce sens, la qualité de la dette externe d’Haïti a toujours été l’une des préoccupations majeures dans l’analyse des relations économiques d’Haïti avec le reste du monde. « Je crois qu’aujourd’hui, il s’avère crucial de réorienter l’utilisation de la dette du pays dans des politiques publiques stratégiques pour de meilleurs impacts sur la croissance et le développement », a proposé Serent dans un entretien avec Le Nouvelliste. Le mode de gestion de la dette va compromettre l’avenir des générations futures et leur capacité à répondre à leurs besoins, prévient Serent. « J’estime que le niveau du stock de la dette d’Haïti représentant aujourd’hui environ 34 à 36% du PIB n’est pas le problème, car des pays comme la France, l’Espagne, la Belgique et le Portugal ont des dettes représentant respectivement 97,5%, 100,3%, 108,8% et 133,4% de leur PIB ».
Selon l’analyste économique, le problème, c’est la diminution de notre capacité de solvabilité à cause d’un ensemble de facteurs d’ordre politique, économique et environnemental et nos choix de politiques en matière de gestion de la dette. Le chroniqueur économique de Vision 2000 pense que l’administration Moïse a intérêt à opter pour la bonne gouvernance, en vue de mieux gérer le service de la dette d’Haïti qui fait face de nos jours, entre autres, à un ensemble de défis, notamment les fluctuations du taux de change et le faible niveau des recettes fiscales qui, jusqu’à présent, n’arrivent pas à atteindre 1 milliard de dollars américains.
« Toutes les données ont montré que la situation socio-économique du pays est très inquiétante et qu’Haïti reste l’un des pays les moins compétitifs sur la scène économique mondiale (137 sur 144 pays) », s’est désolé Riphard Serent, qui croit que si des efforts ont été consentis au niveau des autorités monétaires pour contenir le taux de change moyen en dessous des 70 gourdes pour 1 dollar depuis quelques jours, le marché reste encore dans une certaine incertitude quant au comportement attentiste des agents économiques, surtout avec cette perspective d’ajustement des prix du carburant à la pompe. Après analyse de la conjoncture, Serent estime qu’il est nécessaire de s’assurer que les ressources budgétaires dont dispose l’Etat, sous quelle que ce soit la forme, soient bien gérées de manière à ce que, pour chaque gourde et chaque dollar dépensés, on obtienne un maximum de résultats possibles tant sur la croissance que dans la réduction de la pauvreté. L’économiste Riphard Serent est persuadé qu’il faut réorienter les investissements publics vers de grands projets générateurs de croissance.
« Il faut, explique Serent, casser cette tradition de petits projets par ci, par là à impacts marginaux. Il est nécessaire d’utiliser des modèles économiques pour analyser au préalable l’impact des grands projets d’investissements publics envisagés sur la croissance.» L’économiste propose de redéfinir nos choix de politiques publiques dans la gestion de la dette. Sinon, dit-il, on restera toujours l’économie la plus fragile de la région avec toutes les conséquences politiques, sociales et environnementales que cela pourrait engendrer. Interrogé sur l’accroissement démographique soutenu qui ne s’accompagne pas des fruits de la croissance économique, Riphard Serent affirme que, depuis 1980, l’économie n’arrive pas à générer sur 10 ans même une croissance moyenne de 1%.
On n’ignore pas le poids des soubresauts politiques dans la morosité de la croissance durant ces 30 dernières années. Cependant, lorsque l’économie ne bouge pas, la croissance reste molle et que la population augmente avec une dette relativement importante, on doit s’inquiéter pour les générations futures qui auront du mal à maintenir le service de la dette du pays.