Haïti conduite à importer du café vert

Source Michel William || radiotelevisioncaraibes.com

1-La commande

La nouvelle est tombée  la semaine  du 23 mars dans la presse  qui en a fait son buzz. Haïti, autrefois pays exportateur du café, est devenue pays importateur en 2016. Les  compagnies  de torréfaction en Haïti, Selecto et Rebo, ont produit à l’administration, Martelly une demande  de permis d’importation de 20 000 sacs de 60 kilos en provenance de l’Ouganda. La  commande équivaut à une production de 4 800 ha à raison de 250 kg/ha. À $ 2,80 le kilo, cette commande coûterait 3 456 000 dollars américains. Elle représenterait  une perte  de 1 340 000 h/j et un manque  à gagner de 2 572 800 dollars  pour combattre l’insécurité alimentaire dans les aires caféières…

2-Comment en est-on arrivé là?

-Superficie plantée

La sous-structure statistique du MARNDR a recensé  en 2009 une  superficie de  20 000 ha couverte en café contre  97 000 ha  en 1990. Sur le terrain, on constate que le café a presque disparu dans les zones marginales  estimées à 50 000 ha tandis que dans les zones stratégiques et stabilisatrices les superficies de 30 000 et 20 000 ha sont affectées par la rouille orangée et le scolyte. À cause des mauvais  prix payés aux producteurs par les spéculateurs, les cultures  vivrières ont pris le pas  sur le café.

-Production caféière  en Haïti d’après INCAH

Production annuelle 363 750 sacs de 60 kilos    ou 21 822 tonnes 100 %

Consommation        211 613 sacs de 60 kilos ,       12 696 tonnes  59 %

Torréfaction              21 825 sacs  ou                                                 6 %

Exportation café   149 137 sacs                            9 126 tonnes      35 %

L’exportation  du café est répartie comme suit

Vers Rép dom    119 309 sacs ou                                                    28%

Traditionnelle        21 305 sacs                                                          5%

Secteur coopératif  7 275 sacs  ou  2%

3-Données historiques

« Haïti a toujours été un pays exportateur de café depuis l’introduction de cette culture sur le territoire au moment de la colonisation française de Saint-Domingue en 1726 jusqu’à nos jours. Le café haïtien a connu son apogée durant la colonisation, en 1790 lorsque Saint-Domingue s’est hissée au rang de premier pays exportateur mondial de cette denrée. L’histoire relate que les exportations sont passées de 53 000 sacs de 60 kg en 1755 à 580 000 sacs en 1789. Les taxes prélevées sur le café à l’exportation ont même contribué au paiement de la dette de l’indépendance ou au financement de la construction du parc industriel de Port-au-Prince

(SONAPI) dans les années 70. Les exportations avoisinaient les 500 000 sacs entre 1850 et 1880 après l’indépendance. Près de 100 ans plus tard, soit entre 1987 et 2000, les exportations caféières ont chuté considérablement, passant à 196 404 sacs en moyenne. En 1987, le café a représenté 18% des exportations nationales. Le secteur a néanmoins connu un déclin sans précédent en un quart de siècle, où les exportations formelles sont passées de 412 189 sacs à 31 438 sacs de 1984 à 2004 en volume, et en valeur elles se sont contractées de plus de 90 millions de dollars américains en 1980 à moins de 10 millions trente ans plus tard en 2010.

Réf. Diagnostic Café KKO Étude faite par KOREKAFE pour IICA page 15)

4- Projet d’Importation du café vert

L’importation du café vert  en Haïti n’est pas une information, puisqu’on en parlait depuis 1999, avec Hubert Dufort, président de l’ASDEC dans « Les actes de l’Atelier national sur le café »,   » Le jour où Haïti exportera moins de 100 000 sacs, trois à  cinq ans après , elle sera importateur de café ». Plus près de nous,  en mars 2015, les compagnies Selecto et Rebo signèrent avec le ministre Thomas Jacques un protocole  dénommé Partenariat public-privé (P.P.P.) qui autorisait ces compagnies  à entrer dans la production et dans l’achat du café pour la transformation et la  vente  à travers le monde. Ce protocole,  qui prévoyait  la création de grandes fermes caféières  du type AGRITRANS/Banane  dans le pays, moyennant la mise à la disposition du privé des terrains de l’État, prévoyait aussi  l’importation du café vert en Haïti pour la torréfaction. Ce protocole  avait l’air d’une arnaque agricole . L’INCAH s’y opposait et soutenait que le terroir caféier est bien délimité, que la majorité des terres en café appartient  à des petits producteurs, que l’État ne dispose pas de terres à café publiques et qu’il aurait été préférable que les torréfacteurs entrent en joint venture avec les caféiculteurs qui produiraient le café en Haïti. Ce café serait acheté au prix du marché par les torréfacteurs.

Cette proposition mécontenta  les torréfacteurs qui firent marche arrière.

Avec l’arrivée du ministre Fresnel Dorcin, les torréfacteurs proches du pouvoir PHTK revinrent à la charge et renouvelèrent  leur demande d’importation du café vert. Le ministre Dorcin  s’empressa d’écrire une correspondance au ministre Wilson Laleau pour lui demander une lettre de franchise en faveur des torréfacteurs. Le ministre Laleau  fit du surplace et gela  la correspondance. À l’arrivée du ministre Valbrun, le MEF envoya une correspondance pour lui dire que le MEF  n’y voit pas d’objection mais s’inquiète à l’idée que cette  première exonération  n’ouvre la porte à l’importation massive  du café vert  étranger qui pourrait être très préjudiciable à la couverture forestière du pays et à l’économie caféière des 200 000 petits producteurs de café. L’information a éclaté dans la presse  avec l’arrivée du président Privert qui donne l’impression d’être différent de Martelly.

5-Qu’est-ce qui justifierait  la commande du café vert  pour la torréfaction en Haïti?

-Les torréfacteurs défendent la thèse qu’ils ne peuvent pas trouver à acheter  du café sur le marché local, que  leurs entreprises menacent de  disparaître. Comme ils ont leur famille  à entretenir et qu’ils ne savent pas faire autre chose,  ils se voient dans l’obligation de demander  au MARNDR l’autorisation d’importer 20 000 sacs de café vert de 60 kilos par an pour ne pas  mourir  dans la pauvreté.

-Baisse réelle de la production de café en Haïti

La production caféière a commencé à baisser depuis longtemps. Le café d’Haïti n’a bénéficié, depuis la création de l’INCAH en 2003, d’aucun investissement même  à minima pour refaire des plantations  âgées de plus de quarante ans. Il est frappé par les effets du scolyte et ceux de la rouille  orangée  contre lesquels aucune action substantielle n’a été tentée. Depuis  la fin d’OPRODEX en 1988, la rubrique appui budgétaire à la culture du café a disparu du budget de la République. Les dégâts cumulatifs des cyclones  à répétition sur le café n’ont jamais été réparés. Ajoutez à cela les effets destructifs de  la sécheresse des années  13-14, 14-15  et ceux du  premier trimestre de l’exercice  2015-2016, il en résulte une rareté du café dont la livre est vendue aux  environs de 65 gourdes sur le marché local. Le café est tombé  en crise.

6-La  reculade  de nos torréfacteurs dans la production caféière

Pourtant malgré la baisse de la production du  café, les Dominicains ont damé le pion  aux  torréfacteurs  haïtiens en  finançant  à l’avance de chaque  exercice fiscal les caféiculteurs du Sud-Est en engrais et en argent pour se garantir la récolte du café. Les Dominicains ont un besoin  constant du café vert parce qu’ils ont un contrat d’approvisionnement en café gourmet avec les bateaux de croisière qui sillonnent  les eaux caribéennes et parce que le café vert de cette région , du type arabica, répond bien aux goûts du tourisme étranger. Si les torréfacteurs  haïtiens étaient un peu plus concernés par le café haïtien, ils pourraient s’organiser aussi pour capter leur part de marché qui représente  seulement 6% de la production.

7-Quelles seraient les conséquences de cette importation?

Sur le plan environnemental, Haïti, de par son relief montagneux, est très vulnérable  à l’érosion et aux pluies cycloniques. La moindre  petite averse, malgré la présence du faible couvert dans les zones stratégiques de production du café, fait connaître au  pays des inondations aux conséquences désastreuses. Cette vulnérabilité a fait du café une culture stratégique. Encourager l’importation du café vert c’est encourager l’inondation dans le pays.

Sur le plan économique, tout permis d’importation de café vert accordé à un secteur privé qui ne vit que de l’économie  d’intermédiarité et d’importation ne peut aller  qu’en augmentant. Elle va faire baisser davantage la production agricole annuelle et voilà la compétitivité déjà faible du caféiculteur  haïtien annulée devant les producteurs ougandais et vietnamiens qui travaillent de grandes superficies caféières… C’est l’augmentation de l’insécurité alimentaire et de la vulnérabilité des producteurs vieillissants de café.

Du point de vue politique, les coopératives de café, les leaders paysans PAPDA, MPP, les ONG, les environnementalistes, les directeurs d’opinion des stations de radio engagés dans la  défense des intérêts paysans, Radio Kiskeya, Magick 9,Alter Prese, Le Nouvelliste, Radio Caraïbes, l’INCAH vont monter au créneau et accuser le gouvernement du PM  Evans Paul de saboter la paysannerie  et de vouloir enlever aux démunis  le maigre revenu que la paysannerie tire de la culture du café Réf. Pétuel Azor Lettre de protestation de la Plateforme nationale des producteurs de café d’Haïti, 14 decembre 2015).  Le pouvoir politique n’a aucun intérêt à se mettre sur le dos cette importation qui apporterait de l’eau au moulin des victimes de la forfaiture électorale  organisée par la bande  à Opont, Evans Paul et Martelly, et qui a valu au pouvoir de Privert un début de décomposition pour n’avoir pas voulu composer.

8-Enkystement de l’Institut national du café haïtien  INCAH

L’INCAH appelé à revigorer la caféiculture est entré dans une phase d’enkystement avancée depuis 1986 et n’a pas pu offrir les  services indispensables  au développement du café haïtien.Durant les trente dernières années, le coordonnateur de l’INCAH, l’agronome Angrand Joubert, a dit que  le café a à peine reçu 100 millions de gourdes. L’INCAH est réduit à fonctionner  avec trois cadres au  bureau central, un agronome sur le terrain et trois techniciens cantonnés à Dondon, à Batis et à Beaumont. Elle a pu se doter d’un bâtiment au bureau central et a pu réparer trois centres caféiers grâce à une allocation du Trésor public de 70 millions de gourdes. L’INCAH  ne reçoit aucun financement des bailleurs de fonds. Les  derniers services offerts dans le café remontent à Réné  Préval, lorsque l’État taïwanais avait mis  cinq millions de dollars américains pour cinq ans  à la disposition de l’ONG FACN que supervisait le président Préval lui-même. Cet argent  a été mal administré si l’on se réfère à l’article  » SCANDALE à la FACN: UN BOURREAU QUI VEUT SE FAIRE PASSER COMME VICTIME, de Sanon Guercin Edouard, 13 novembre 2009.

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