Haïti-Théâtre : Le vécu haïtien dans la représentation de Antigone de Palto Vanyan
Par Edner Fils Décime
P-au-P, 9 nov. 2014 [AlterPresse] — Ceux et celles qui ont assisté à la première représentation sur une scène haïtienne de la pièce Antigone, adaptée par la compagnie de Théâtre Palto Vanyan, en sont sortis médusés à la fois par la qualité de la prestation et l’originalité haïtienne sans conteste de l’adaptation.
C’était le jeudi 30 octobre 2014, dans une salle de l’hotel Royal Oasis, à Pétion-Ville (périphérie est).
« J’ai lu Antigone quand j’étais à l’école. Je connais l’histoire mais ce que je viens de voir sied tellement avec le vécu haïtien, mise à part la trame de la pièce originelle, je pourrais dire que Antigone est la propriété de Palto Vanyan » commente une dame, encore sous l’émerveillement, au bras de son compagnon à la sortie. Ce dernier acquiesce : « on vient de voir un truc vraiment haïtien ».
Antigone a été écrite par l’écrivain grec Sophocle (Antiquité). Elle a été traduite en créole et adaptée par l’écrivain haïtien, Felix Morisseau-Leroy. En 1953, elle est jouée pour la première fois au Rex Théatre à Port-au-Prince.
Le Roi Créon et Antigone sont les personnages centraux de la pièce. Symbole de la rébellion à l’arbitraire, à l’autocratie, à la tyrannie, Antigone, amante de Lemon, fils du Roi Créon, affronte le souverain, qui refuse sépulture à son frère Polynice, tué dans une prise d’armes contre le royaume.
La scène, les costumes
Un décor assez sobre, dans lequel s’inscrivent les palettes de couleurs du mouvement artistique Loray. Un fauteuil dont le qualificatif jongle entre des apparats royaux et l’allure d’un siège d’un « grandon » haïtien – sorte de potentat paysan – trône à quelques pas d’un hounfort vodouesque domestique.
Cruche, poignard, mouchoirs, « ti chèz ba », bouteilles dédicacées aux loas du panthéon vodou dont Legba, Erzulie, parfums traditionnels du vodou, l’incontournable florida plongent le spectateur dans l’univers des rapports étroits et singuliers entre cette religion vodou dédaignée en public mais pratiquée pieusement dans les familles mêmes les plus aisées.
Les costumes tentent de jouer sur le pan de la pièce originelle liée à une histoire royale et celui de son adaptation à une réalité haïtienne.
Couronne en matériel doré, mais les chemises « carabela » traditionnelles paysannes dans leurs variantes bleu et beige siéent aux comédiens, comédiennes et les sandales en cuir de l’artisanat haïtien chaussent chaque « vanyan ».
Le jeu des acteurs et actrices retient le public en haleine. Des potentialités s’expriment de manière convaincante, d’autres moins. Mais, l’ensemble produit un impact remarquable.
Théâtre total
Le metteur en scène Fritz Evens Moïse dit John Vanyan, au fond de la salle, tantôt assis, tantôt debout mais toujours plongé dans le jeu de ses poulains, ces jeunes issus de plusieurs quartiers populaires, quoique supervisant le travail de l’ingénieur de son lance, d’un air satisfait, « un théâtre total donne une pièce totale ».
En fait, la réadaptation d’Antigone par Palto Vanyan n’est pas une série d’actions, de monologues et de dialogues des comédiens. La danse folklorique d’Haïti, le chant traditionnel, le rythme du tambour y occupent large place à côté des effets sonores manifestant surtout la présence d’éléments naturels comme la pluie, le vent, le tonnerre, etc.
Presque tous les rythmes haïtiens, en général issus du vodou, sont mobilisés. Wangol, Petro, Yanvalou assurent le renforcement des émotions d’un acte, d’une scène.
Soit par le biais de Marraine ou Tiresias, respectivement prêtresse et prêtre du vodou, les esprits sont interpellés, dialoguent avec les humains, choisissent leur camp, supportent ou désavouent.
Un Roi Créon têtu comme une mule n’en fait qu’à sa tête et va jusqu’au bout de sa volonté. Il en résulte la mort de cette imprudente qui a eu l’audace de donner sépulture à Polynice, la rebelle Antigone.
Le sacrifice d’Antigone par le Roi Créon est l’un des moments de suspens de la pièce. En suivant le déroulement de la pièce, le spectateur ou la spectatrice s’attend lire la suite sur alterpresse.org