Haïti-Paysannerie : Bilan et perspectives du Mpp après 40 ans d’existence
Du dimanche 17 au vendredi 22 mars 2013, environ 1,800 délégués paysans, dont la moitié sont des femmes, définissent des stratégies d’action devant orienter le mouvement paysan de Papaye (Mpp) [1] jusqu’en 2023, après 40 ans de lutte pour la satisfaction de revendications spécifiques, observe l’agence en ligne AlterPresse.
»Yon Mpp granmoun nan yon Ayiti granmoun » (un mouvement paysan autonome dans un pays souverain) a servi de leitmotiv à l’assemblée générale préparatoire au congrès.
Les congressistes ont particulièrement procédé à des amendements de 42 articles dans les statuts du mouvement.
Désormais, toutes les structures du Mpp doivent être de niveau égalitaire (1 femme, 1 homme). Au cas où une unité doit avoir trois représentants, 2 personnes élues peuvent être des femmes (pas question d’accepter 2 hommes sur 3 représentants), de manière à encourager une participation effective des femmes à tous les niveaux.
Un groupement, formé d’animatrices et d’animateurs et se réunissant à un rythme hebdomadaire, doit compter 7 membres au moins et 20 membres au plus. Chaque membre de groupement évitera de se comporter en chef, mais plutôt comme serviteuse et serviteur de l’organisation.
En plus du principe fondamental de la solidarité en leur sein, les groupements du Mpp contribuent à la réalisation des assemblées locales et zonales.
Tout groupement paysan tient une activité de production (agricole), en dehors de toute velléité d’exploitation des productrices et producteurs.
Les assemblées locales, dont les dirigeantes et dirigeants se montrent disponibles pour assumer les responsabilités qui leur incombent, déterminent le type de sanctions à appliquer contre tout membre absentéiste de groupement .
Les assemblées zonales, qui se déroulent tous les 3 mois, sont les lieux véritables d’informations sur toutes les activités conduites par le Mpp.
Principales lacunes relevées durant les 40 ans d’existence du Mpp
L’appui, donné par le Mpp au mouvement lavalas, est pointé du doigt dans le bilan dressé sur les 40 ans d’existence, à côté de l’instabilité politique, de la répression et de la trahison politiques, identifiées comme les principales causes de l’échec (et des faiblesses) de l’organisation paysanne.
Le Mpp s’est nourri d’illusions de changement en portant au pouvoir Jean-Bertrand Aristide et René Garcia Préval. Notamment, beaucoup de membres se sont laissés aller au découragement, lorsque l’administration lavalas a essayé de détruire le mouvement paysan.
Une des faiblesses, relevées chez le Mpp, c’est l’appui en faveur d’une série de candidats (aux postes politiques) non issus du mouvement paysan, en dépit de la trahison de certains « élus » initialement rattachés au Mpp.
2 tendances continuent de s’affronter au Mpp.
Une tendance se prononce contre toute implication des cadres paysans dans le mode de gestion désarticulée (tèt anba) de l’Etat, au profit d’une participation active dans les structures du mouvement ou au sein d’autres organisations sociales.
La deuxième tendance voudrait l’engagement des cadres paysans dans les processus électoraux.
Dans ce contexte, des critiques sont formulées contre le support apporté par le Mpp à des candidats d’autres classes sociales, comme Charles Henri Baker (candidat à la présidence en 2006).
Un esprit de peur et d’anxiété a également gagné les femmes et jeunes, membres du Mpp, avec la répression des militaires qui a poussé des militantes et militants à abandonner le mouvement paysan.
Durant les 40 dernières années, des erreurs sont signalées à différents niveaux.
Il y a d’abord la non poursuite du programme d’alphabétisation au sein du Mpp, l’irrégularité des paiements de cotisations annuelles par plusieurs membres, une mauvaise gestion dans certaines activités économiques, une mauvaise gestion de certains biens du Mpp sur le terrain, du parti pris dans le choix de militantes et militants appelés à participer à des sessions de formation spécifique au niveau central, de mauvais dirigeants n’ayant pas respecté les principes fondamentaux du mouvement paysan, de l’absentéisme chez beaucoup de groupements qui n’ont participé ni aux sessions d’assemblées locales, ni aux sessions d’assemblées zonales.
L’absence d’activités de production (agricole), génératrices de richesses propres, dans plusieurs groupements paysans, est soulignée par les congressistes.
Les activités, entreprises par le Mpp, ont eu une diffusion restreinte. Le développement des activités d’autofinancement, visant une diminution de la dépendance vis-à-vis des fonds étrangers, s’est révélé limité.
Il y a eu un manque de rentabilité des coopératives de production agricole ainsi que des coopératives de transformation et de commercialisation. Le Mpp n’a pas conclu de contrats formels, liant le mouvement et les bénéficiaires de bourses d’études à l’étranger (sur un temps de contrepartie à restituer au sein du mouvement paysan).
Depuis quelque temps, le Mpp a cessé ses activités de conservation de sols et de préparation de pépinières dans toutes ses zones d’implantation. Trop faible sur le plan économique, le Mpp a eu des lacunes en ce qui concerne le suivi d’actions sur le terrain, manifesté de la tolérance vis-à-vis de dirigeants ayant commis des bêtises.
En plus de faiblesses, pointées pour certaines zones spécifiques, les congressistes ont également noté peu d’engagement du mouvement paysan dans la lutte politique.
Des stratégies d’actions jusqu’en 2023
Des équipes sont en train, ce jeudi matin 21 mars 2013, de faire la synthèse de 30 ateliers qui ont débattu de thèmes spécifiques la veille (mercredi 20 mars).
Des résolutions doivent émerger, en fin d’après-midi, sur le type de lutte à engager par le mouvement paysan contre les transnationales ainsi que les actions d’inclusion paysanne pour sortir de l’exploitation des forces dominantes.
Une attention particulière sera accordée sur tous les aspects de souveraineté nationale en Haïti, y compris la souveraineté alimentaire et une réforme agraire véritable.
Le Mpp et les organisations de femmes, luttant pour une transformation des conditions sociales, devront également mettre en œuvre des initiatives pour faire cesser la domination et la violence envers les femmes.
Les jeunes, qui représentent 60 % de la population nationale, ne sont pas bien organisés à l’échelle nationale. Ils manquent de conscience politique et de force idéologique, la plupart craignent de s’engager dans les affaires politiques. Ne croyant pas à un itinéraire de changement possible en Haïti, ils préfèrent se modeler sur les pays riches.
Aussi, les jeunes paysans doivent-ils définir des stratégies d’engagement pour construire une autre Haïti.
Une résolution est attendue sur le mode d’entraide insulaire (Haïti et la République Dominicaine) contre les projets d’exploitation des mines d’or des deux côtés de l’île. Des dégâts environnementaux, incluant des pertes en vies humaines, sont déjà enregistrés avec l’utilisation du cyanure dans l’exploitation aurifère en République Dominicaine.
L’environnement se dégrade de plus en plus en Haïti, les mornes sont totalement dénudés, tandis que les sources d’eau tendent à se tarir. Les pluies deviennent rares, la sécheresse s’abat, durant plusieurs mois, en divers départements du territoire national.
Les organisations paysannes doivent réfléchir sur les initiatives à prendre pour un retour à une Haïti verte, une régénérescence concrète…
De même, les femmes, hommes et jeunes doivent entreprendre des actions pertinentes face à la menace de dépérissement des richesses culinaires nationales.