Discours de René Préval à la conférence de Punta Cana
Des représentants de plus d’une cinquantaine de pays et d’organismes internationaux se sont réunis, le mercredi 2 juin 2010, à Punta Cana en République Dominicaine pour discuter de l’avenir d’Haïti, dont une bonne partie a été dévastée par le séisme du 12 janvier. A l’occasion, le président René Préval a prononcé un discours à travers lequel il a appelé à la réalisation d’élections en vue de remettre le pouvoir à des dirigeants légitimes. Il plaidé en faveur de la construction d’un système politique antisismique en Haïti.
Nous publions in extenso le discours du président de la République. Bonne lecture
Chers amis et partenaires,
Mes chers compatriotes,
Nous voici aujourd’hui répondant à un nouveau rendez-vous dans ce vaste mouvement de solidarité avec le peuple haïtien si rudement éprouvé depuis le 12 janvier dernier. Vous me permettrez tout d’abord de saluer chaleureusement le peuple frère dominicain avec lequel nous sommes liés pour le meilleur autant que dans le malheur et d’exprimer ma reconnaissance au Président Leonel Fernandez qui a pris la généreuse initiative de cette rencontre. La présence de toutes ces délégations venues de plusieurs pays et que nous remercions très sincèrement peut être considérée aussi comme une récompense de la ténacité que vous mettez, Monsieur le Président, à plaider la cause d’Haïti au sein de la communauté internationale.
De cette tribune je m’en voudrais de ne pas adresser les sympathies du peuple haïtien et les miennes à nos amis de l’Amérique centrale et, notamment du Guatemala, qui viennent d’être frappés par une tempête dévastatrice. La répétition de ces désastres un peu partout dans le monde renforce la conscience de la nécessité de ces rassemblements solidaires et des actions concrètes qui devraient en résulter. Nous sommes placés pour en témoigner et vous comprendrez que nous attendons beaucoup de cette conférence qui, venant après plusieurs autres, précède de peu la mise en place de la structure administrative vouée à la gestion de l’aide exceptionnelle à la reconstruction d’Haïti, la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH).
Le 12 janvier 2010, l’univers haïtien a basculé dans le cauchemar. Au fur et à mesure de la transmission des informations, le monde entier prenait connaissance du terrible drame. On connait aujourd’hui l’ampleur des désastres matériels ayant vu sur les écrans les images sidérantes de nos villes dévastées. Écoles, hôpitaux, bâtiments administratifs, usines et maisons de commerce, résidences se sont effondrés comme des châteaux de sable, entrainant dans la mort des centaines de milliers de personnes, laissant un nombre incalculable de blessés graves et plus d’un million de sans abri. Les séquelles encore visibles sont impressionnantes, mais il reste à évaluer les effets des traumatismes au sein de la population et les conséquences du désarroi résultant de la perturbation totale de la vie quotidienne.
Il est réconfortant de rappeler le courage du peuple haïtien. De Port-au-Prince à Léogâne et à Jacmel, des milliers de femmes et d’hommes ont, souvent à mains nues, porté secours à des parents, des amis, des voisins ou à des inconnus enfouis sous les décombres. De même, nous ne cesserons de mentionner l’extraordinaire mouvement de solidarité que les peuples et les gouvernements du monde entier nous ont manifesté et la détermination avec laquelle ils continuent de nous accompagner.
Aujourd’hui il s’agit de faire converger les bonnes volontés, les amitiés sincères, les projets, les interventions multiples, locales, nationales et internationales, dans un plan global de reconstruction et de réhabilitation de notre nation. Un tel objectif, d’autant plus ambitieux qu’il touche à toutes les dimensions de notre vie de peuple, un tel objectif, dis-je, ne va pas sans un examen approfondi des causes de ce grand malheur, ni non plus sans un souci aigu des conditions générales de cette refondation nationale dans laquelle nous nous engageons.
Les éléments essentiels de nos vulnérabilités mises à nu par le séisme sont: hyper concentration des activités économiques, administratives, politiques; urbanisation anarchique, conséquence de la décapitalisation et du désespoir d’une paysannerie laissée pour compte, affaiblissement considérable de l’État.
En 1960, Haïti et la République Dominicaine affichaient le même PIB par habitant. En 2010, le PIB dominicain est sept fois plus élevé que celui d’Haïti. 1960-2010 : cinquante ans ! Cinquante ans, que s’est-il passé ? Ce dernier demi siècle haïtien, sans aller dans les détails d’analyse, a été marqué par deux processus d’à peu près égale durée qui ont contribué à la détérioration de la situation nationale : la dictature des années 60 à 80 et l’instabilité chronique (1986-2006) résultant d’une recherche chaotique de la démocratie. Dans les deux cas, l’expérience s’est soldée par un exode significatif de nos meilleurs cadres et par une saignée abondante dans la population active alors que la baisse de la production, l’explosion démographique, la désertion des campagnes ont fait s’accroître dangereusement les besoins sociaux que l’État n’a pas été en mesure de prendre en compte.
Ces dernières années, des efforts ont été consentis et des solutions tentées avec un relatif succès. Je peux affirmer que nous étions en train d’avancer sur la voie de la stabilité, de la démocratie et du développement. En 2006 déjà, on pouvait relever une croissance du PIB et une baisse significative de l’inflation. Avec l’appui de nos amis de la communauté internationale, la gangrène de l’insécurité était enrayée. De même avons-nous pu progresser sur la voie de la sécurité alimentaire par la progression significative de la production vivrière, malgré la série de cyclones dévastateurs de la saison 2008.
Notre volonté tenace d’atteindre un climat de stabilité durable, condition essentielle à la relance économique et au progrès social, a été en grande partie récompensée par, entre autres, l’intérêt des investisseurs étrangers pour l’industrie du textile, la réévaluation prometteuse du grand potentiel touristique de notre pays et par le projet agréé de mise en œuvre d’un nouveau partenariat entre les secteurs public et privé. C’était également une avancée certaine vers la normalisation démocratique en dépit des remous et des confrontations qu’amènent les compétitions électorales annoncées pour l’année 2010. Mais la catastrophe du 12 janvier a tout remis en question et nous oblige à un réexamen sans complaisance et avec rigueur de nos problèmes et des solutions envisagées.
J’ai confiance, nous avons confiance, Haïti se relèvera, portée par le courage de son peuple et par la solidarité internationale. Une Haïti déconcentrée, décentralisée, plus solidaire, plus juste envers ses filles et ses fils, plaçant au cœur de son projet national l’éducation, la santé, la souveraineté, la protection de son environnement à réhabiliter et la sécurité alimentaire. Une Haïti mieux intégrée dans sa région et dégageant peu à peu les ressources lui permettant de prendre en charge son avenir.
Le défi est gigantesque et multiforme : construction de routes, de nouveaux ports et aéroports. Que vaudraient en effet une production agricole et un développement touristique sans facilité d’échanges tant à l’intérieur qu’avec l’extérieur? A quelle refondation pourrions-nous prétendre si la majorité de nos jeunes restaient privés de l’accès à l’éducation, au savoir, au savoir-faire et savoir être citoyen que cette éducation apporte? Si les fils et les filles d’Haïti vivant à l’extérieur ne sont pas étroitement et institutionnellement associés à notre projet national?
Le défi est immense. Nombre d’experts nationaux et internationaux ont évalué les pertes subies à plus de 11 milliards de dollars. Le chiffre est intimidant certes, mais il ne nous fera pas oublier qu’en deçà et au-delà l’intervention consciente, volontariste des forces vives de la nation constitue un atout essentiel au succès de nos plans, fussent-ils les plus beaux, les mieux équilibrés. Le peuple haïtien, voilà l’acteur principal avec lequel tout est possible. Il doit adhérer librement à ce projet en choisissant tout aussi librement ses dirigeants auxquels il en confiera l’exécution.
Depuis le 12 janvier, le mot parasismique est sur toutes les lèvres, faisant référence aux normes à respecter dans la construction des bâtiments. S’il faut en effet rebâtir nos maisons pour leur permettre de résister aux catastrophes naturelles, il faut également édifier une société et un système politique résistant aux perturbations qui sont le fait de l’iniquité, de l’injustice et de l’exclusion sociale. Le peuple haïtien exige un système politique parasismique qui s’appelle la démocratie dont le socle est constitué par la justice sociale, l’efficacité administrative et le verdict des urnes pour trancher les débats de société.
La tâche qui nous attend exigera plus qu’un mandat présidentiel, et le mien touche à sa fin. La reconstruction ne pourra pas se passer du mandat populaire à tous les niveaux : présidentiel, législatif et local. Sans une telle légitimité, ni le ralliement de la nation, ni le rapatriement des multiples compétences de notre diaspora, ni les investissements étrangers, ni l’aide internationale ne se concrétiseront. Sans la stabilité dans la démocratie, la reconstruction échouera.
Je m’engage donc à œuvrer sans relâche à l’organisation d’élections libres et transparentes afin que le 7 février 2011 je transmette le flambeau de la refondation aux élus du peuple.
J’en appelle au peuple haïtien pour qu’il se remobilise pour les prochaines compétitions électorales. Au Conseil électoral pour qu’il s’acquitte de sa tâche avec compétence et impartialité. Aux partis et organisations politiques pour qu’ils s’engagent avec conviction, sérénité et patriotisme. A la communauté internationale enfin pour qu’elle continue à nous accompagner dans cet exercice difficile mais indispensable.
La démocratie, cette pierre angulaire du chantier de la refondation, nous la devons à notre peuple et ce sera notre manière de dire merci à vous tous qui nous venez en aide.
je crois que le President a pour la premiere fois fait preuve d´un bon responsable par son discours.