Haïti, un pays à livres ouverts

Avis à tous ceux qui entreront dans la librairie La Pléiade, ou autre, de Port-au-Prince dans l’espoir de dévaliser le rayon d’auteurs haïtiens pour en faire cadeau une fois de retour en France, et ainsi participer à la prise de conscience qu’Haïti n’est pas uniquement ce pays dévasté par les dictateurs et les catastrophes naturelles. Vous serez de toute évidence déçus face aux rayons bien plus fournis en noms étrangers ou en manuels pour étudiants. Haïti compte des maisons d’éditions tout à fait honorables, mais les exemplaires disponibles des grands auteurs haïtiens n’étant édités que par des maisons d’édition françaises, le coût du livre est bien plus élevé qu’en France, importation oblige. L’achat aura néanmoins l’avantage de participer au fonctionnement des librairies du pays, à défaut de ces maisons d’édition.

J’aime rapporter dans mes valises les livres de mes auteurs haïtiens favoris, pour fabriquer une fois à Paris l’ambiance du pays qui me manque sitôt sortie de l’avion. Je m’enveloppe des arômes de terre du café Selecto dont j’ai également fait une réserve, rejoints aussitôt par les mots, les idées, les odeurs et les esprits fuyant des pages lues. Bien évidemment, il faut commencer par les trois monstres sacrés : Gary Victor, Lyonel Trouillot et Dany Laferrière. Puis tournez-vous vers Frankétienne, J-R Léonidas, ou lisez la prose d’Anténor Firmin pour comprendre l’histoire de l’île du XIXième et XXième siècle naissant.

Quiconque lit ces auteurs découvre ce qu’est Haïti : des couleurs et de la force. Chacun de ces livres est une déchirure, un précipice de sentiments. On y trouve les aberrations de la plupart des dirigeants, les injustices, les prostituées, les bas-fonds de Port-au-Prince tout comme ses quartiers riches, et le vaudou qui englobe le tout. Au cœur de ces remous, le peuple haïtien, brillant dans toute sa dignité, sa force et sa rage de vivre.

Lire ces romans, c’est entrevoir ce qu’est Haïti, bien au-delà du misérabilisme vendu dans les journaux d’informations. Malgré la terrible expérience de la mort collective, assistant à la perte de leurs proches en même temps que 250 000 autres inconnus, aucune plainte ne se dégage des écrits de ces auteurs, car il en est ainsi de leurs compatriotes : ils ont avalé la douleur pour ne pas plier. Ils se sont unis dans ce qui pouvait encore les animer : leur histoire, leur fierté, leur langue, leur culture. Ils écrivent, ils peignent, ils chantent, sculptent, dansent, sans s’arrêter. Autant de beauté pour compenser les pertes.

Et nous qui ne faisons que passer, nous nous devons de contempler. Apprendre à nous taire et regarder les couleurs vives des tableaux, les mots acérés et poétiques, les danses évocatrices, les chants douloureux et entraînants, pour mieux comprendre comment rester debout. Vivre, malgré tout.


Trouillot-Lyonel-Rue-Des-Pas-Perdus-Livre-893939405_ML« On s’habitue à vivre sans électricité, comme les ventres digèrent la faim. Seule la soudaineté de la coupure étonne à chaque fois, malgré l’attente, la fatalité de la panne. L’agacement était de se sentir brusquement la proie et l’ombre, partie de l’obscurité, nécessairement invisible à soi-même. Cette cécité circonstanciée nous servait aussi d’aide mémoire, de miroir maléfique au fond duquel sombraient nos défaites quotidiennes, nos échecs collectifs. Elle rectifiait nos erreurs de placement, corrigeait, pour l’histoire, nos fausses perspectives, nous révélait à nous-mêmes sans rimmel ni mirage. »

Lyonel Trouillot, Rue des pas-perdus

9782848762135« Chaque fois que je me retrouve dans une impasse de ma vie, chaque fois que cette terre risque de m’engloutir dans ses mythes et ses impostures, je vais mesurer la distance entre les bâtiments de cet hôpital et le Palais national. Cela me ramène à la mémoire les circonstances de la mort de mon père. Cela ravive mon ressentiment pour ce pays. Pas pour ce pays qui m’a vu naître. Cette terre, elle n’y est pour rien. On l’a abreuvée de lire la suite sur http://haiti.blogs.liberation.fr

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